L’ingénieur salarié de Google qui méritait des baffes

Steve Yegge mérite des baffes
Contexte : Steve Yegge est un salarié de Google qui a critiqué violemment le service Google+ dans un rapport. Coïncidence étrange, ce rapport a malencontreusement été diffusé en même temps que la nouvelle de la baisse de fréquentation du réseau social de Google +. Non, ce n’est pas forcément Burston-Marsteller qui refait de la manipulation pour le compte de Facebook, mais c’est suffisamment grave pour qu’on en parle ou .
ZDNet m’a demandé mon avis sur le rapport de Yegge. Ils ont été suffisamment prudent pour publier les morceaux les plus éditorialement corrects. Voilà les autres…

On pourrait traduire « Un ingénieur critique les choix stratégiques de Google » par « Un jeune salarié sans beaucoup d’expérience critique sa direction » car c’est exactement le sentiment que l’on peut éprouver à la lecture de ce mail publié « par erreur ». L’argumentation de Steve Yegge est en effet remplie de d’approximations stratégiques et de trous logiques que l’on peut tout à fait imputer à son inexpérience excessive.

Google+ est une réaction réflexe, une étude pensée à court terme, fondée sur la notion erronée que Facebook est un succès car ils ont construit un grand produit »

Et alors ? Je ne vois pas le problème. Quand Facebook ajoute la fonction « statut » en réaction réflexe au succès de Twitter, peut-on les critiquer ? On peut les accuser de pomper, mais c’est tout. Et aujourd’hui tous les utilisateurs utilisent le statut sans savoir d’où ça vient.

De plus, cela fait plus 6 ans que Google s’amuse avec les Google profiles, avec les Google Groups, avec les comptes Youtube (et c’est quoi Youtube, sinon un réseau social ?), et des dashboards dans tous les sens. Plus de 6 ans que les hardcore users de Google attendent un réseau pour les réunir tous. Nous (les hardcore users) avons soufflé de plaisir quand G+ est arrivé. C’est quoi son problème à Yegge ?

Aucune API n’ait été mise à disposition des développeurs lors du lancement de Google+. »

Certes c’est dommage. Mais c’est pas toujours la technique qui décide car un lancement dépend du contexte concurrentiel mais également du contexte social. Il faut le choisir avec soin. Et la preuve que le moment du lancement de Google+ a été bien choisi : le service a eu plus d’inscrits en 24h que Facebook et Twitter en 3 ans.

Aurait-il fallu privilégier les développeurs plutôt que de s’assurer un volume d’utilisateur massif ? Yegge, tu déconnes là.

La plate-forme Google + est un coup pathétique »

Un jugement de valeur de la part de Yegge. Si il n’aime pas qu’il aille bosser chez Facebook.

Puisqu’on en est à donner son avis personnel : je trouve Google+ plus intéressant, mieux sécurisé et plus sympathique que Facebook. Et j’y passe beaucoup plus de temps que sur le réseau de Zuckerberg (où je ne vais jamais). Et j’y rencontre des gens différents mais fort sympathique.

Des jugements de valeur décrédibilisent (si il en était encore besoin) ce rapport censé être objectif.

le problème est que nous essayons de prévoir ce que les gens veulent et de leur donner… Vous ne pouvez pas faire cela. Pas vraiment. Pas de manière fiable »

Tout d’abord Yegge nous montre qu’il ne connait pas le crédo de Google : « Depuis sa création, la société Google concentre ses efforts sur le confort d’utilisation des internautes.« . En affirmant que c’est impossible de le faire de façon rationnelle, Yegge remet en cause l’existence même de sa boite. Avec ce raisonnement Google ne devrait pas marcher.

Et ensuite, c’est complètement faux. Il existe des sciences qui s’appellent la sociologie et la psychologie qui permettent de comprendre et prévoir les réactions des gens de manière fiable. Plus fiable que quand vous recherchez une information sur Google en tout cas. Yegge devrait lire un peu autre chose que le manuel du bon ingénieur.

Et enfin, qui peut aujourd’hui lancer un service Internet de manière fiable ? Facebook Places a par exemple été lancé en suivant le succès de Foursquare. Le raisonnement était imparable : puisque les gens utilisaient Foursquare et qu’ils étaient sur Facebook, forcément ils allaient utiliser Facebook Places. A -> B -> C. Un raisonnement bien carré. Résultat : échec complet du service de Facebook, alors que les gens utilisent encore Foursquare. Un autre exemple : Google Wave a voulu révolutionner les communications entre les gens. Un service profond, intelligent et à valeur ajouté. Résultat : lancement le 30 septembre 2009, abandon le 4 aout 2010. Les causes : un service qu’on utilisera peut-être dans 2 ou 4 ans, mais qui est encore trop en avance sur les comportements.

Il n’y a pas de prévisions fiables quand ça touche aux rapports entre les êtres humains. Et le digital, n’est basé aujourd’hui que sur des rapports entre des êtres humains.

Nous n’avons pas de Steve Jobs chez Google »

Steve Jobs est un peu le dieu des californiens startupeurs (et des wannabe californiens startupeurs). Mais forcément quand on invoque la religion dans un rapport soit-disant sérieux, cela l’invalide entièrement.

(et puis chez Apple ils n’ont plus de Steve Jobs non plus).

Le problème est que nous sommes une entreprise de produit »

Faux. Depuis le début Google est une entreprise de service. Et dont la fonction principale est l’accès à l’information. Google ne s’est pas construit en vendant des t-shirts ou des abonnements sur de la musique en ligne ! Google s’est construit en répondant à un besoin comportementale et en monétisant cette réponse.

Yegge devrait revoir définitivement réapprendre sa culture d’entreprise.

Une plate-forme a besoin d’une killer app »

Nous comprenons enfin d’où vient la confusion générale de Yegge : il vit dans la Silicon Valley. Et dans la Silicon Valley, vous ne faites rien sans Killer App. D’ailleurs personne ne sait ce qu’est cette  « killer app » mais tout le monde veut en vendre ou en acheter.

Alors Yegge se dit qu’il faut absolument une killer app. Elle est où la killer app de Facebook ou celle de Twitter ? Non, vous avez raison, il n’y en a pas.

Quel noob ce Yegge.

En conclusion : les sociétés innovantes ne doivent pas écouter leur ingénieur du benchmark

L’accomplissement ultime pour une startup est d’être rentable. Mais le problème d’une startup rentable, c’est qu’elle peut devenir une société et donc arrêter d’être une startup innovante. Ce processus est bien visible avec Steve Yegge. Comment casser les idées innovantes dans une société ? Il suffit de demander son avis à un ingénieur au CV long mais aux idées courtes.

En 1996, Yegge aurait critiqué Larry et Serguer en leur disant qu’il manquait une killer app dans leur moteur de recherche. Il aurait critiqué l’absence de « plateforme », le manque de killer app, le manque d’outil CRM intégré (c’était la mode à l’époque) et aurait comparé leur service à Lycos en disant que ça marcherait jamais. Et puis « Google » quel nom idiot…

En effet, plus que la critique de Google Plus, Yegge nous fait ici une critique de la « prise de risque » indispensable pour rentrer dans l’esprit digital. Pour Yegge, il ne faut pas prendre de risque. Il faut benchmarker les autres services, imaginer un gadget killer app, et avoir un bon vendeur comme Steve Jobs pour vendre à prix d’or. Le grand danger pour les sociétés innovantes est donc de laisser se faire influencer par des profils qui manquent de vision. Car ceux-ci n’anticipent, ne construisent, et ne jugent que par rapport à ce qu’ils connaissent déjà. Et le règne du benchmark ne produit rien. La marketing l’a prouvé, Internet l’a prouvé et Hollywood le prouve encore tous les jours.

Que GooglePlus soit une réussite ou un échec, Yegge aura juste montré qu’il est juste un conservateur pique assiette à l’opposé de l’esprit startup (et qui ne sait pas garder ses rapports pour lui même).

 

Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

Voir tous les articles de Cyroul →

15 réflexions sur « L’ingénieur salarié de Google qui méritait des baffes »

  1. Le mail de Yegge flirte surtout le mail d’ingénieur peu à même de la notion d’expérience utilisateur et de marketing. C’est un avis intéressant à lire mais clairement pas une stratégie à suivre.

  2. ouais les gifs sont violents :) Après sur le reste je n’ai pas tellement d’avis bien que hardcore user de Google et co je ne suis pas encore une grosse utilisatrice de Google+ et j’aime bien la diversification des services…

  3. Je n’ai pas dû lire le même « mail » de Steve Yegge.

    Je suis tout à fait d’accord pour dire que G+ est loin d’être si mauvais qu’il est présenté dans le mail de Yegge, mais franchement, quand on le lit de bout en bout, ce mail, G+ est plus utilisé à titre d’exemple dans l’argumentation que comme LE projet foireux de Google.

    La plus grande partie de son argumentation tourne autour de l’absence de « plateforme » chez Google, ce qui selon lui est une erreur stratégique qui finira par desservir la firme.

    Concernant son expérience, il a quand même 6 ans d’expérience chez Google et 6 autres avant chez Amazon, ça fait 12 ans, ce qui n’est pas si mal non ?

    Bref, je trouve ton article un peu dur avec le gonze, et je recommande à tout le monde de lire en entier sa diatribe, on y apprend plein de choses sur « la face cachée de Google » notamment.

    La mise en avant de ce « mail » et surtout la mise en avant des passages sur Google+ par les médias est hyper malhonnête et ne fait que nourrir les sceptiques …

    1. Oui, tu as en fait entièrement raison sur la diatribe de Steve Yegge. Et encore plus sur la mise en avant de morceaux choisis. (j’ai d’ailleurs fait la même chose).

      Néanmoins, je continue à trouver que son argumentation est fausse. « Manque de plateforme », oui. Mais « qui finira par desservir la firme », qui peut le dire ?

      1. Clairement, j’en sais rien. J’aurai beaucoup aimé pouvoir lire les réactions de ses collègues de Google pour en savoir un peu plus d’ailleurs, c’est super intéressant :)

  4. Assez d’accord avec la plupart des points, mais le paragraphe sur l’API me semble être, pour le coup, une « approximation stratégique » :)
    On ne peut pas prendre le buzz du lancement pour juger de la qualité/du succès d’un produit. La preuve, Google + a sérieusement fait parler de lui au démarrage, et il a su réunir du monde, mais il s’essouffle. Malgré la base d’utilisateurs immense qu’ils ont…
    Tous les services qui cartonnent sur la durée (Facebook, Twitter, LinkedIn…) n’ont pas connu de gros buzz pour leur lancement, ils se sont construits dans la durée. Contrairement à plein de services qui sont maintenant à moitié morts (Friendfeed, Quora, Groupon)…
    Le moment du lancement n’est pas un facteur clé de succès. S’il peut l’être pour une campagne de communication, il ne l’est absolument pas pour un produit qui veut aller au delà d’une tendance passagère.
    Je suis donc persuadé que Google aurait du attendre un peu, et ouvrir avec une API fonctionnelle. Critère bien plus important que le buzz du lancement pour la pérennité du service.

    Au delà de tout ça, le départ de Paul Adams pour Facebook ne présage rien de bon pour Google et ses applications sociales.

    1. Ah, je savais que j’aurai forcément un comment « oui mais ça baisse ». 

      Car je suis assez d’accord avec toi (je le dis rapidement dans l’article « Certes c’est dommage ».
      Mais je ne suis pas d’accord dire que le moment du lancement n’est pas un facteur clé de succès. Facebook n’a rien inventé que Sixdegrees (1997) n’avait déjà créé. Sauf que Sixdegrees s’est lancé 6 ans trop tôt. L’ouverture de l’API et la création de communauté est un facteur améliorant. Mais pour moi, le moment est primordial. 
      Et l’ouverture de l’API aurait-il freiné le départ des gens ? Certainement pas.

      Car on parle fort de la désaffection de GooglePlus, mais n’est-ce pas plutôt de la qualification d’audience ? -> Sur Facebook, le grand public et les bots. -> Sur Google, des gens sérieux ?
      Dans ce cas, Google a gagné la bataille de l’utilisation à long terme (et pas la bataille de l’audience, qui est le combat de Facebook).

      1. Il est clairement encore trop tôt pour dire si Google + sera un succès ou non, d’autant plus qu’on ne connaîtra sans doute jamais les objectifs de Google sur ce coup. Donc la baisse actuelle n’a pas d’autres significations que de dire que le buzz initial n’aura pas un impact majeur sur le succès du produit ou non. 

        Concernant le moment du lancement, je suis assez d’accord avec toi. Avec une vision plus macro, en effet, le moment est important (syndrome de la Renault Avantime, il faut être en phase avec son marché :). Mais à l’échelle de notre discussion (le temps de buzzer, le temps de construire une API), le moment précis du lancement n’a selon moi pas une importance capitale. Et si j’avais été Google, j’aurai attendu un peu de lancer pour avoir l’API.

        Pour moi, une API est essentielle sur un service généraliste: ce qui va rendre les utilisateurs captifs, ce sont les interactions entre les applications qu’ils utilisent au quotidien et le cercle social qu’ils se sont créés sur la plateforme. Facebook a conquis le grand public avec toutes les applications que les gens ajoutaient à leur profil. S’il s’agit uniquement de poker des gens, de partager des « 10 étapes pour réussir son marketing viral » et d’afficher ses photos avec la bouche en cul de poule, les services existants le font déjà très bien :)

        Après, je vois une autre raison qui aurait pu provoquer un lancement anticipé: si jamais les nouveautés sur Facebook n’étaient pas une réponse à Google+, mais des fonctionnalités prévues depuis longtemps, les équipes de Google auraient pu s’inquiéter de se faire souffler leur positionnement (meilleure représentation du graphe social des utilisateurs). C’est en effet une raison qui fait que le moment précis du lancement peut être important.

        1. L’article n’était à l’origine pas pour défendre google + (il le fait très bien lui-même). Mais si il fallait défendre se service et sa sortie rapide, je dirais qu’il est sorti car tout le monde l’attendait.
          Nous (les pros du digital sur Google et donc pas forcément sur mac) avions tous besoin d’un outil qui faisait la même chose que Facebook mais avec nos profils Google. 
          Que le truc sorte vite et mal, c’était pas grave. Il fallait qu’il sorte vite avant qu’on soit obligé d’aller sur FB. Google l’a compris. Merci Google. L’API peut arriver après, personnellement je m’en moque. J’ai l’outil FB-like mais propre qui me fallait.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.