Dans sa préface de l’ouvrage l’homme qui vendit la lune, Robert Heinlein (1940), pour lequel mon admiration n’a aucune limite, explique le postulat sur lequel repose ses histoires : « Qu’arriverait-il si… ? ». Dans le cas de l’exploration lunaire, on pourrait plutôt dire : « Qu’arrivera t’il quand… ? » tellement cette vision de la conquête de la lune se rapproche de jour en jour.
Mais cette longue nouvelle de Heinlein pose une question primordiale : pour quelle raison l’humanité pourrait-elle conquérir la lune en dehors du capitalisme ? Comment ça quel rapport ? Mais vous n’imaginez tout de même pas aller sur la lune avec vos tongs et votre poncho ? Aujourd’hui, seules des organisations privées et quelques organisations gouvernementales ont les moyens d’y aller.
Alors quelles sont les raisons de conquérir la lune ? La question est posée. Voyons comment la Science-Fiction y répond.
La lune pour l’adorer
Il est facile d’adorer la lune. Au milieu des 90s, alors que je vivais en Afrique, seule la lune immense (sur l’équateur, elle parait plus grande) me permettait de rentrer chez moi durant la nuit dans une ville privée d’éclairage public. La lune nous éclaire la nuit, mais la lune nous fascine aussi. Il n’est donc pas étonnant qu’elle soit incarnée dans toutes les mythologies.
Les égyptiens vénéraient Khonsou, l’une de leurs principales divinités lunaires, popularisée par le héros Moon Knight de Marvel. Dans la Mésopotamie antique, Sîn était la divinité personnifiant la Lune. On la retrouve sous le nom d’Ayyur chez les berbères ou Máni dans la mythologie nordique. Chez les Grecs, la Lune est associée à trois déesses : Séléné, Artémis et Hécate (respectivement Luna, Diane et Trivia dans la mythologie romaine). En Asie, Tsukuyomi est la divinité de la Lune dans le shintoïsme, chez les chinois la déesse de la lune est Chang’e et dans la mythologie polynésienne, le dieu de la lune est Fati. Je m’arrête là, mais il semble que toutes nos vieilles civilisations aient personnifié notre seul satellite.
Par un processus de paréidolie (de reconnaissance de forme sur sa face visible), l’humanité a également peuplé la lune de créatures plus ou moins familières. Ainsi la lune héberge son lapin (ou lièvre de jade) et le lot d’histoires qui vont avec comme par exemple au japon avec Tsuki no Usagi où un lapin sympa se sacrifie pour l’homme de la lune mais aussi chez les Aztèques (où étrangement c’est également une histoire de sacrifice).
La paréidolie la plus connue est peut-être celle de l’Homme dans la Lune. Dans l’hémisphère nord, une perception occidentale commune du visage veut que les yeux de la figure seraient la Mer des Pluies et la Mer de la Sérénité, son nez serait Sinus Aestuum et sa bouche ouverte la Mer des Nuées et la Mare Cognitum (sur Wikipédia). On le retrouve même dans les religions du livre (Cain, le vagabond, condamné à faire le tour de la terre ou Jacob dont l’image serait gravée à la surface).
Mais son apparition la plus sympathique est peut-être dans le Seigneur des Anneaux de Tolkien (1954) dans le poème L’Homme dans la lune a veillé trop tard (The Man in the Moon Stayed Up Too Late) où l’homme dans la lune descend sur terre pour y boire une bière réputée. En voilà un personnage sympathique.
La lune pour y rencontrer les sélénites
Un seul homme dans la lune n’était pas suffisant. Il a fallut la peupler d’habitants plus ou moins sympathiques, les sélénites.
Au IIe siècle, Lucien de Samosate dans les Histoires vraies raconte « Une alliance est faite entre les Héliotes et leurs alliés, les Sélénites, à condition que les Héliotes rasent la muraille d’interception et ne fassent plus d’irruption dans la Lune ».
Savinien de Cyrano de Bergerac (le vrai, pas celui de la pièce d’Edmond Rostand) a écrit ’un des premiers romans de Science-Fiction : Histoire comique contenant les Estats et Empires de la Lune (1657).
La première partie de son diptyque raconte les voyage du narrateur sur la lune où il rencontre différents personnages et situations permettant d’exprimer une philosophie matérialiste (et emprunt de libertinage intellectuel du XVIIe, un bien beau courant de pensée).
Une centaine d’année plus tard du côté de l’Allemagne, un autre personnage qui mélange existence réelle et fictive va conquérir la lune.
Karl Friedrich Hieronymus Freiherr von Münchhausen (le fameux Baron) va ainsi raconter, à travers ses mémoires, son extraordinaire voyage sur la lune assis sur un boulet de canon. Il y rencontrera les sélénites à moitié plante et à têtes amovibles. Cinéphiles, je vous conseille la magnifique adaptation de ses aventures par Josef von Báky (Münchhausen, 1943) et celle tout aussi magnifique par Terry Gilliam (The Adventures of Baron Munchausen, 1988).
A partir de 1824, l’astronome allemand Franz von Paula Gruithuisen raconte dans ses découvertes qu’une Wallwerk (« cité lunaire » de 25 kilomètres de nord au sud témoin d’une grande civilisation) se situerait au nord du cratère Schröter sur les rives du Sinus Medii. De quoi bien ancrer l’idée que la lune est habitée.
Normal alors que Georges Méliès dans Le Voyage dans la Lune (1902), où les sommités scientifiques, un peu ridicules, y rencontrent des sélénites en rêve. En passant Méliès crée cette image iconique de la lune qui se prend la fusée des explorateurs dans l’œil. Un véritable symbole qui annonce la couleur : la lune va morfler quand les humains vont débarquer sur ses rivages.
H. G. Wells racontait de son côté l’idée d’insectoïdes sublunaires dans Les Premiers Hommes dans la Lune (1901). Je vous conseille en passant la fabuleuse adaptation First Men in the Moon de Nathan Juran (1964), animée par Ray Harryhausen et que vous pouvez voir ici en qualité médiocre (merci NovFut).
Dans la nouvelle il arrive que ça saute (Blowups Happen, Robert Heinlein, 1940) les scientifiques découvrent que la lune était autrefois habitée et qu’en manipulant l’énergie atomique sans précaution, ses habitants auraient annihilée la planète, la transformant en désert sans vie.
Cette nouvelle, réquisitoire sur les dangers d’utiliser des technologies trop puissantes pour l’humanité, est aussi une critique acerbe des politiciens et hommes d’affaires qui préfèrent ne pas regarder ce qui fâche (au fait, avez-vous lu NovFut #22 sur le déni ?).
A la fin des années 50, une nouvelle théorie émerge propulsée par l’astrophysicien russe Iossif Chklovski. Celui-ci raconte que la structure de la lune est creuse, et que l’astre est peut-être artificiel. Il mélange ainsi terre creuse et extra-terrestre.
Il n’en faut pas plus pour qu’en 70, les théories sur la lune habitée par une race extraterrestre commencent. Théorie annoncée d’abord par Michael Vasin et Alexander Shcherbakov, membres de l’Académie soviétique des sciences, dans le magazine Sputnik (source).
La lune pour conspirer
Car quel meilleur endroit que la lune pour y cacher des entités bénéfiques ou maléfiques ?
L’astronaute de la NASA Edgar Dean Mitchell (sixième homme à poser le pied sur la Lune), déjà très religieux, a subit une révélation lors de son retour sur Terre en 1971. Il s’est alors fait, jusqu’à sa mort, l’ambassadeur de déités aliens attendant l’élévation de l’homme.
Peut-être Edgar Mitchell a t’il tiré son inspiration des « Les Seigneurs de la Lune, aux Corps Aériens« , sortes de grands anciens à l’origine des évolutions de l’humanité, sont effectivement cités dans Les Stances de Dzyan, l’ouvrage ésotérique de Blavatsky soit-disant inspiré de textes d’ancienne sagesse tibétaine.
Mais beaucoup moins sympas que des extra-terrestres voulant faire grandir l’humanité, la lune abriterait depuis les années 40 la base avancée du IVe Reich. Et oui, le succès des V2, les premiers missiles balistiques de l’histoire (construits par Wernher von Braun, le nazi passé chez les américains après la guerre pour les aider à conquérir la lune justement) ont inspiré de nombreuses histoires sur ces nazis qui auraient conquis la lune avant les américains.
Robert Heinlein, encore lui, s’est amusé de cette idée dans Rocket Ship Galileo (1947) où de jeunes ingénieurs inventeurs de fusée découvrent qu’il y a des nazis sur la lune mais aussi qu’une ancienne civilisation lunaire s’est détruite à coup de bombes nucléaires.
En 1978, dans El Cordon dorado : Hitlerismo esoteérico (Le Fil doré : Hitler ésotérique), le chilien Miguel Serrano raconte que les hauts dignitaires nazis auraient fui en 1945 en soucoupes volantes, appelées V7, depuis l’Arctique, pour aller se réfugier dans des bases lunaires.
Une idée caricaturée dans le film Iron Sky (Timo Vuorensola, 2012) où des américains partis sur la lune pour trouver de l’hélium 3 sur la face cachée de la lune tombent sur une base de nazis prêts à conquérir la terre. Sa suite Iron Sky 2 (2019) emmènera les nazis sur Mars.
La lune, pour repousser les frontières de la science
Mais la lune est aussi le vecteur d’une immense attraction scientifique. Jules Verne a raconté sa version du voyage dans la lune où le Gun-Club envoie une capsule autour de notre satellite avec un canon géant (De la Terre à la Lune consultable sur Gallica). Pas si éloigné de nos lanceurs actuels finalement.
Tintin lui s’y risquera avec l’un des épisodes les plus réussis de ses aventures (On a marché sur la lune, 1950). Hergé y dépeint une lune grandiose et morte mais peut-être moins que l’humanité qui la colonise. On compte en effet deux morts dans cet épisode de Tintin, ce qui fait beaucoup pour un voyage scientifique (et pour une BD pour la jeunesse). Une prédiction des combats qui ne manqueront pas de se produire lors de la colonisation de cet astre ?
La lune, pour l’image
Dans le film coréen The Moon (Deo mun, Yong-hwa Kim, 2023), l’humanité est engagée dans la course à la conquête la lune. Croisement entre Seul sur Mars et Gravity, le film raconte comment un jeune astronaute inexpérimenté coincé sur la lune va être sauvé par toute la Corée et même d’autres astronautes de l’ISS (et ce, malgré les méchants américains). Un film évidemment bourré de sentiments fraternels, mais qui démontre surtout la place indispensable de l’image publique dans la conquête de la lune.
Une réalité depuis le 21 juillet 1969, quand Neil Armstrong est filmé descendant du module d’Apollo sur la surface poussiéreuse de la lune. Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour le capitalisme américain. Si vous voulez en voir plus, l’INA vous propose d’ailleurs les archives de ce moment historique. Des images très fortes dont la véracité sera d’ailleurs mise en doute très rapidement. Mais pour le coup, vu les mensonges et manipulations du gouvernement Nixon, il est assez logique de se poser des questions (d’ailleurs il semblerait que le drapeau américain sur les photos officielles aient véritablement été agrandit). Pour ceux qui voudraient passer un bon moment avec cette conspiration potentielle, je ne peux que conseiller Room 237 (Rodney Ascher, 2013), où l’on apprend que Stanley Kubrick, réalisateur présumé du film sur la lune, aurait caché des indices dans son chef d’œuvre Shining.
Car la lune est une histoire d’image et de relation presse. Et qu’importe si maintenant les images produites sont entièrement virtuelles, nous montrant ce qui est censé se produire et pas ce qui se produit réellement. Ca ne dérange pas les médias qui les diffusent à grande échelle.
On a ainsi pu voir en 2020 la couverture mondiale de l’alunissage du module chinois sur la face cachée de la Lune.
Mais ce n’était rien par rapport à la vidéo de l’alunissage de Chandrayaan-3, le module indien. Plus de sept millions de personnes auraient suivi en direct l’alunissage de cette sonde indienne sur YouTube. Il faut dire que les images sont assez folles, notamment celles du centre de contrôle Indien surpeuplé qui nous éloigne tellement des images du centre aseptisé de la NASA.
Ainsi les nations s’ingénient à mettre en scène leur alunissage (réussis) et à essayer de ne pas trop en parler quand ça rate (cf le crash de la sonde russe Luna 25). Si le sujet vous intéresse, foncez voir le Dessous des images (Sonia Devillers, 2024) consacré à l’alunissage de Chandrayaan-3.
La lune, pour faire la guerre
La mésestimée série Space Force avec Steve Carell et John Malkovich (2020) est peut être la première à annoncer l’inévitable confrontation USA-Chine dans la conquête de la lune. Une confrontation se manifestant par une hostilité permanente et des coups bas plus ou moins agressifs, la Chine étant présentés avec une efficacité et un pragmatisme incroyable face à des américains aux rivalités internes toxiques. Tu m’étonnes que la série n’ait pas duré longtemps.
La série beaucoup plus sérieuse For All Mankind (2019, de Ronald D. Moore, le créateur de Battlestar Galactica) suit le destin d’employés de la NASA, astronautes, ingénieurs et bureaucrates, dans une uchronie où le premier homme à marcher sur la Lune en 1969 est un Soviétique, et le deuxième, une femme soviétique, au grand dam des virils américains.
Dans cette série, la lune est conquise grâce (ou à cause) de la rivalité entre les russes et les américains qui en viennent rapidement aux mains sur notre satellite.
Le très beau Ad Astra (James Gray, 2019) nous montre une lune déchirée par les luttes intestines. Le film offre une superbe séquence de bataille (silencieuse, mais très pyrotechnique) à travers les infinies étendues grises. Une prévision des futures guerres lunaires, guerres de territoire, guerres de communication, guerres d’ego démesurés de dirigeants.
Car hélas ces guerres entre les futures colonies lunaires ne sont pas que de la science-fiction. Les États-Unis, toujours prêts pour montrer qu’ils ont un gros kiki, ont ainsi lancé en 2019 la US Space Force (USSF), la force armée destinée à conduire des opérations militaires dans l’espace.
Ce qui évidemment, bouleverse la vision de l’espace « comme un milieu démilitarisé et régi par le droit international« . Mais ce n’est pas ce que veulent les américains, terrorisés par la pugnacité Chinoise en matière d’espace et de business comme l’annonce cette citation de Foreign Policy (2012) : Unless steps are taken now to stop it, our children might someday look up to the night sky and really see a red moon rising (Si des mesures ne sont pas prises maintenant pour arrêter ça, nos enfants pourraient un jour lever les yeux vers le ciel nocturne et voir réellement une lune rouge se lever).
Rendez-vous compte, ces imbéciles ont même choisit un logo pour l’USSF qui ressemble énormément à celui de Starfleet Command (appelé le Delta ou encore Arrowhead par les fans de Star Trek).
Dans l’univers de Gene Roddenberry, Starfleet est chargé chargée de l’exploration de la Galaxie et de la défense de l’espace de la Fédération des planètes unies. Seulement, la mission première de Starfleet est de récolter autant d’informations que possible concernant l’univers comme l’illustre la devise « Ex Astris Scientia » (« Des étoiles, la science »), bien loin des raisons belliqueuses de l’existence de l’USSF.
La lune, pour faire de l’argent
En alchimie, la lune symbolise l’argent. Une sorte de prédestination car bien avant aujourd’hui, des auteurs de SF fins et perspicaces ont déjà écrit les enjeux économiques que portent cet astre qui semble inoffensif pour l’imbécile qui ne regarde que le doigt (celle-là est facile, non ?).
J’ai parlé en intro de l’excellent L’homme qui vendit la lune (The Man Who Sold the Moon, Robert Heinlein, 1950). Au début des années 1970, Delos D. Harriman, riche entrepreneur américain convoque une réunion des plus grands monopolistes du monde (une assemblée appelée « la corporation », Alien avant l’heure) pour leur demander de financer le premier voyage sur la Lune. Harriman va utiliser toutes les ficelles pour réussir son projet avec un grand sens de la stratégie et de la manipulation des gens.
Ce livre présente le pire de ce que peut produire le libéralisme économique américain : des vieux riches sans aucun sens moral ni considération pour la population et ne cherchant qu’à accumuler du profit en lançant de nouveaux projets. Un véritable mode d’emploi pour les grands dirigeants actuels de la Silicon Valley qui n’ont pas du comprendre l’ironie derrière la plume acérée de Heinlein.
Car outre une critique du libéralisme amoral, ce roman préfigure aussi la course au profit lunaire. C’est qu’effectivement, on sait aujourd’hui que le régolithe sur la surface de la lune a accumulé de l’Helium 3 (3He), un isotope non radioactif de l’hélium très recherché pour ses applications potentielles en fusion nucléaire. De quoi aiguiser l’appétit des grosses entreprises qui ont les moyens d’aller le chercher.
Dans le très bon Moon (Duncan Jones, 2009), Sam Bell (Sam Rockwell) est un employé de la société Lunar, entreprise d’extraction d’hélium 3. Une mission de 3 ans après lesquels il pourra rentrer voir sa famille. Seulement, c’est sans compter l’avidité de la corporation qui a décidé d’économiser sur le personnel.
Car la conquête de la lune pour des raisons économiques relancera les inhumanités qui ont accompagnées la colonisation des nouveaux territoires et continents sur la terre : travail forcé, indenture, esclavagisme, prostitution forcée, destruction des écosystèmes, etc. Ariel Kyrou (Dans les imaginaires du futur, 2020), parle de société d’extractivisme. Une société qui n’aurait d’autre but que de s’approprier un lieu, et d’absorber tout ce qu’il y a de valeur dessus avant d’aller ailleurs en prendre encore plus.
Mais peut-être que nous sommes trop pessimistes et que la lune sera finalement le lieu idéal pour réinventer une nouvelle forme de société ?
La lune, pour conquérir sa liberté
Dans Lune rouge (2018), Kim Stanley Robinson raconte les premiers moments de la colonisation lunaire en 2047. Aux enjeux économiques anticipés par Heinlein, il rajoute des dimensions politiques et sociales, en décrivant notamment la place prépondérante de la Chine dans l’échiquier international, et notamment spatial. Dans ce roman, il décrit également une zone cachée sur la lune, autogérée par des scientifiques de toutes les nations, où fleurit un libertarisme intellectuel (qui ressemble quelque peu à celui de Savilien Cyrano de Bergerac). On ne dira jamais assez que Robinson est un auteur formidable.
La lune serait en effet le lieu idéal pour réinventer une société, qui sortirait de ses modèles habituels. Alors, évidemment, ce genre de société ne pourrait se faire qu’avec des gens BAC+10 conscients des problèmes de notre société actuelle, mais l’idée présentée est fascinantes à notre époque de questionnement démocratique et montée des extrêmes.
Le superbe Frontier de Singelin (dont je vous parlais au dernier numéro) présente la même idée d’utopie scientifique et intellectuelle, cette fois dans une station spatiale. Comme si la contrainte de survie dans un milieu hostile (l’espace), obligeait les humains à s’élever, puis s’émanciper.
Bien loin des basses raisons pour lesquelles on irait sur la lune…
Alors la lune, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ?
La question aujourd’hui n’est certainement pas de savoir pourquoi on irait sur la lune, mais pourquoi on n’irait pas. Entre une terre à l’environnement qui se dégrade en permanence, des réserves d’énergie qui diminuent et une augmentation permanente de la population, la lune peut être clairement l’une des réponses aux problèmes de notre société.
Les hommes d’affaire et les états prévoyant l’ont compris et mettent en mouvement depuis quelques années leurs ressources pour la conquérir, voire la privatiser. Car après la course pour marcher sur la lune, ce sera la course pour y habiter et y tracer son territoire.
En 1967, un traité ratifié par 125 pays excluait l’appropriation de la Lune par un seul pays. En 1980, un deuxième traité interdisait aux entreprises privées d’acheter des terrains sur la Lune. Seulement, seuls 12 pays l’ont signé, ce qui permettraient sans problème aux entreprises comme Blue Origin (Jeff Bezos), Rocket Lab, Virgin Galactic (Richard Branson), SpaceX (Elon Musk) ou l’entreprise israélienne SpaceIL de planter leurs drapeaux sur notre astre pour revendiquer la parcelle qu’ils désirent (cf La privatisation de la Lune pourrait bientôt devenir une réalité).
Donc attendons-nous forcément dans les trois décennies prochaines à une conquête progressive de la lune par des boites privées ou des organisations publiques. Quels que soient leur raisons, les premiers colons permettront de mieux comprendre la vie lunaire. Puis d’autres générations de colons trouveront des solutions à des problèmes techniques ou biologiques (le transport, le renouvellement de l’air, l’ostéoporose, l’atrophie musculaire, le coup de la nourriture, etc.). Et peu à peu la vie / le travail deviendra plus agréable à la surface de la lune, jusqu’à, pourquoi pas, devenir désirable, notamment face à l’alternative terrienne.
Mais ça ne se fera pas sans souffrance, sauf si…
Hélas, cette conquête de la lune va poser un immense problème que la science-fiction a déjà pointé du doigt : celui de la recherche du profit à travers le malheur humain. Car si sur terre, les organisations sont obligées de respecter un minimum de règles, qu’est-ce qui les obligerait à suivre ces lois sur la lune ?
Cela commencerait certainement par la création d’un siège social sur la lune pour éviter de payer impôts et taxes aux pays terriens. Et ça continuerait tout aussi certainement par des procédés de servitude contractuelle de la main d’œuvre : un retour à l’indenture, un contrat d’engagement où une personne s’engage à travailler pour une autre en échange du remboursement d’une dette, par exemple le prix du voyage dans la lune. Mais le débiteur ne pourra jamais rembourser cette dette, car il devra s’endetter à nouveau pour vivre dans un environnement où les prix de l’air, de la nourriture et du divertissement seront fixés par le créancier. Cynisme ? Non, réalisme quand on voit les pratiques du Cathare, de la Chine ou des grosses boites de la Silicon Valley.
Ainsi l’exploitation de la lune passera par de l’exploitation humaine, loin des yeux des journalistes et associations de défense de nos droits élémentaires.
Mais il est toujours possible de faire quelque chose. Les idées fusent dans certains cercles.
Le dernier Usbek&Rica (n°41, Automne 2023, Faut-il sauver la conquête spatiale pour sauver la terre,) propose 6 propositions pour une charte éthique de l’espace, rédigées par des astrophysiciens chercheurs et personnalités.
Bon, le journaliste n’insiste pas trop sur la faisabilité de ces propositions. Mais, malgré tout, ces propositions sont pleines de bon sens et devraient aujourd’hui créer un soulèvement des scientifiques, experts et, pourquoi pas, des politiciens qui voient plus loin que les prochaines élections (si ça existe).
Car comme le disait le formidable Patrice Lajoye (mythologue et spécialiste de la SF russe) lors d’une table ronde aux Utopiales 2023, « Coloniser n‘a jamais résolu les problèmes, juste de les reproduire ailleurs« . C’est donc à nous de tenter de propager l’idée que la lune est un commun qui appartient à tout le monde. Et surtout pas à celui qui mettra le premier le pied dessus.
Cyroul (décembre 23)
PS: en parlant de ce sujet, on m’a posé la question : et nous, qu’est ce qu’on fait en France en ce moment dans la course à la lune ?
Une petite vérif en ligne me dit que le budget du programme spatial français en 2022 est de 2,5 milliards d’euros pour le CNES (source) (hors du budget pour les satellites météo). En comparaison, rappelons que le budget de l’armée devrait passer à 400 milliards d’euros en 2023. On a clairement plus envie de jouer aux cadors que d’aller sur la lune.
Par ailleurs, on peut constater une absence totale d’éducation astronomique (et scientifique au sens large) de nos enfants. On ne trouve définitivement rien dans les programmes scolaires français pour donner envie aux enfants d’aller sur la lune (voir de devenir scientifique). Face aux efforts de l’Inde, de la Chine, la Corée et les USA pour donner envie aux nouvelles générations d’aller conquérir l’espace, cette capacité bien française à surtout ignorer le futur est vraiment effrayante.
Les news SF de décembre 23
De quoi lire
J’en parlais dans mon édito, mais le dernier numéro de Usbek&Rica parle de conquête spatiale. Du prospectif, du glauque mais aussi du positif pour donner envie de conquérir les étoiles. A noter, la présence d’un carnet intérieur « le futur est autour de nous » où Usbek aborde de grandes questions (travail, ville, algorithmes, société, …) sur l’angle de la prospective.
L’éditeur ActuSF est de retour repris par le groupe éditorial Salomon-Sansonnet et Pollen Diffusion. C’est plutôt une bonne nouvelle vu leur catalogue de qualité.
Décembre a vu la sortie de la très belle revue trimestrielle Flaash. Une revue de science-fiction à l’approche à la fois culturelle et technique. Bon, je n’ai pas encore reçu mon numéro, donc je ne peux vous en dire grand chose à part que les deux éditeurs Estelle et Samuel sont très passionnés.
Nouvelles d’antan (1948-1965) de Jack Finney vient de sortir aux éditions Le Bélial. Pour ma part, j’adore particulièrement cet auteur de fantastique connu pour ses deux chefs-d’oeuvre Body Snatchers et Voyage de Simon Morley. De quoi passer un bon hiver.
A écouter
France culture vient de lancer une chaine dédiée à la Science-Fiction sur… Youtube. Un choix, heu.. étrange pour cette chaine publique française qui pourtant possède sa propre plateforme de diffusion. C’est clairement pas comme ça qu’on va revendiquer notre souveraineté numérique. Mais bon, la playlist est disponible ici.
Appel à textes
Un appel à article autour de la science-fiction sonique et novum sonore pour le dossier Res Futurae n° 25 (juin 2025). Les sujets demandés sont complexes mais passionnant : sémiotique et poétique de l’étrangeté et de la familiarité sonores, séries culturelles et histoires des imaginaires sonores, immersions et narrativisations SF par le son, engagement fictionnel et construction de mondes et matérialités sonores.
Lancement du prix Jacques Sadoul. Le regretté auteur français a désormais son prix de la nouvelle. Pour la première édition, la thématique est la science-fiction autour de la phrase : « JE VAIS AU CAFÉ POUR LIRE LE JOURNAL D’AVANT-HIER. » 25000 signes avant le 31 mai, c’est jouable, non ?
Et je viens de découvrir le concours Positive Future dont le sujet est Le travail en 2050. A rendre pour le 22 avril 2024. Bon courage !
Voilà, le NovFut numéro 24 spécial lune est terminé. J’espère qu’il vous a interloqué, interrogé, rassuré, inquiété, amusé, stimulé et épaté. N’hésitez pas à vous abonner et à le faire tourner autour de vous. Vous êtes de plus en plus nombreux à le lire à chaque numéro et c’est ma plus grande récompense.
Je vous donne donc rendez-vous l’année prochaine et en attendant passez de bonnes fêtes en lisant de la bonne SF !
Une réflexion sur « [NOvFut #24] Emmène-moi sur la lune »