Dans notre grands œuvre pour rendre l’apocalypse plus légère afin d’aider les gens à accepter le changement, nous avons vu le mois dernier que la survie en solitaire pouvait être relativement cool. En tous les cas dans ses représentations imaginaires issues de la SF. Ce mois-ci sera moins léger : on s’intéresse à la survie à plusieurs.
Car si l’humain est un mammifère grégaire, sa sociabilisation n’est pas naturelle chez les adultes. Il parait même d’après William Golding (Lord of the Flies, 1954) que les enfants auraient également ce problème, mais je n’y crois pas.
L’enfer c’est les autres
Jean-Paul Sartre
(Huis clos, 1943)
Après 5 minutes d’horreur télévisuelle de Touche pas à mon Poste, on est tenté de donner raison à Sartre. Le jugement d’autrui est insupportable, surtout quand cet autrui n’a aucune culture ni savoir vivre. On n’a certes pas envie de subir une fin du monde avec ces gens là.
Mais la Science-fiction nous écrit qu’il y a bien pire que de passer un effondrement avec les demeurés du staff de Hanouna.
Et c’est justement le sujet plombant de ce NovFut, qui ne devrait pas améliorer votre blues de la rentrée. Mais comme on dit, quand on a touché le fond on ne peut que remonter. Bonne lecture.
L’homme est un loup pour l’homme.
Hobbes
Dés qu’un système s’effondre, il y a toujours des sous-merdes pour profiter du chaos. Il suffit de constater dès les premiers signes de désordre, des opportunistes se précipiter, non pas pour cautériser, soigner ou apaiser, mais pour leur gain personnel, que ce soient des médias qui veulent faire du clic, des casseurs qui cambriolent, des flics qui tabassent, des politiques pour s’exhiber, etc.
Cette situation n’est pas nouvelle, même si elle atteint des proportions de plus en plus importantes dans nos sociétés occidentales peu habituées à une telle disparité entre les claquettes des gouvernements et les réalités de la vie.
Alors forcément, au vu de ces comportement humains réels, la Science-Fiction post-apocalyptique se doit d’aller encore plus loin dans le glauque. Mais ces horreurs ne sont souvent qu’un reflet déformé de nos réalités.
Le retour de la barbarie
Le genre post-apocalyptique cinématographique doit beaucoup à Mad Max (George Miller, 1979) qui révèle dans le premier opus, la barbarie de gangs n’ayant plus à redouter une loi s’étiolant dans un monde qui s’effondre.
Ainsi Max, un des derniers policiers de la route va venger le viol et le meurtre de sa femme par un gang, et ce faisant, apportant une réponse définitive à la question de la rédemption possible d’un meurtrier dans un monde sans lois : « Si tu traites les gens sans humanité, je ferai pareil avec toi.«
Le deuxième opus de Mad Max (Le défi), sorti en 1981, va habiller ces gangs d’oripeaux remarquables, croisement entre une collection “Genghis Khan” et une soirée SM. Une imagerie frappante qui va être reprise encore et encore jusqu’à devenir un cliché des œuvres post-apocalyptiques des années 80. Pas de film postapo sans punk habillé en SM !
L’effet vestimentaire évoluera dans les 90s avec les méchants de Waterworld, le postapo aquatique de Kevin Costner (1995), guidés par un Dennis Hopper survolté en veste en cuir blindé. Car le cuir blindé fait le méchant dans un postapo.
Cette image surannée de gangs dégingandés en cuir (dites le très vite pour voir) va évoluer petit à petit dans les nanars postapo hollywoodiens contemporains pour être remplacée par des habits militaires.
Ainsi dans The Book of Eli (Albert et Allen Hughes, 2010), Carnégie, le chef des méchants est habillé par Hugo Boss (grand fournisseur de fachos depuis 1924).
Idem pour The Postman (Kevin Costner, 1997) où le chef des méchants, Bethlehem, va parader dans des fringues de l’armée soviétique immaculées. On ne saura pas où ses hommes et lui se fournissent en uniformes, mais c’est la classe.
L’habit fait donc le barbare dans les films des 80s et 90s. C’est que, paradoxalement, il est plus réconfortant de voir des barbares détrousser, violer et tuer, que quand ce sont vos voisins de pallier qui le font.
Les années 2000 vont ainsi faire pivoter lentement l’image de la barbarie en insinuant qu’en cas d’effondrement, le barbare n’est pas ce gros costaud en cuir bardé de pointes, mais plutôt votre voisin, votre ami, et même vous.
Quand Monsieur tout le monde devient un monstre
Joel, un des (anti-)héros de la série The Last of Us (*) (Neil Druckmann – Craig Mazin, 2023) et du jeu vidéo éponyme, est un américain moyen, qui travaille dans le bâtiment (le BTP est un métier d’américain moyen pratiqué également par Tom Cruise, qui joue un américain moyen dans la Guerre des Mondes de Spielberg).
Joel, donc, après avoir perdu sa fille, s’est retrouvé à voler (et certainement tuer) des gens pour survivre jusqu’à devenir une sorte de monstre insensible.
Les horreurs de l’apocalypse transforment les gens, même votre voisin, même vous.
Beaucoup de récits de SF post-apo traitant de l’effondrement vont ainsi (de)montrer comment des gens normaux deviennent les pires pourritures en cas de crise. Illustrer à quelle point la frontière entre l’être humain et l’animal enragé (un animal normal ne se conduirait pas comme ça) est infime, et qu’un rien peut le faire basculer.
Cette bascule du voisin “normal” en pourriture est l’un des terrains de jeu préféré de Stephen King. On la retrouve notamment dans la nouvelle Brume (The Mist, 1980) et son roman Dôme (Under the dome, 2009). Dans ces deux ouvrages, les petites mesquineries des gens “normaux” (névroses, haines, irrationalités, …) deviennent des tares mortelles durant les crises importantes.
On peut remarquer d’ailleurs le facteur aggravant de la croyance absolue en des principes rigides qu’ils soient religieux ou politiques dans ce basculement. Les pires cinglés sont ceux qui ont des réponses à tout et ne se posent pas de questions. De quoi s’interroger sur la santé mentale de nos sociétés actuelles où les certitudes sont plus fréquentes que les questions ouvertes.
En creux, Stephen King nous raconte que tous les gens sont fous, et que seul le cadre inflexible de la loi ou de la religion les empêche de basculer définitivement. Et il se fait un plaisir de démontrer qu’en enlevant ce cadre, face au bon sens, la folie se révèle au grand jour. On est tenté de lui donner raison en voyant les dernières manifestations urbaines.
Le retour du cannibalisme
L’ultime oubli de l’humanité, c’est le cannibalisme. Dans un épisode de The last of Us, Joel et Ellie rencontrent une secte crevant de faim qui s’est résolue à manger ses morts. Un acte terrible, mais compréhensible et tolérable en cas de survie. Le pape Paul VI a ainsi absous le cannibalisme de survie, pratiqué par les survivants du Vol 571 Fuerza Aérea Uruguaya (le vol bien connu ayant été adapté en film avec Les survivants en 1993).
Mais le gros problème est le glissement d’auto-justifications qui aboutit à ne plus trop se poser de questions quand il s’agit de passer de l’alimentation de macchabées déjà morts à celle de personnes bien vivantes. Une fois le pire franchi (tuer des humains pour les manger), il n’y a plus de retour en arrière possible.
Le très bon film d’action post apo glaciaire The Colony (La colonie, Jeff Renfroe, 2013) nous montre un monde gelé en 2045 où des hordes de cannibales, ex-humains s’aiguisant les dents et ayant perdus toutes capacités de réflexion autre que celle de la chasse, dévastent les colonies de survivants une à une.
Mais le pire c’est bien quand les cannibales restent intelligents.
Le formidable Delicatessen (Caro et Jeunet, 1991), nous raconte le quotidien d’un immeuble de banlieue après un désastre apocalyptique, où un boucher-charcutier fait fortune en fournissant de la viande aux habitants de l’immeuble, sans qu’ils ne se posent trop de questions sur sa provenance. Une métaphore des consommateurs de KFC ?
Le très étrange film The Bad Batch (Ana Lily Amirpour, 2016) met en scène Miami Man (Jason Momoa) en chef d’une communauté de culturistes cannibales et d’une héroïne qui se fait bouffer petit à petit mais qui n’a peur de rien. Ce film postapo rempli de stars (Jim Carrey, Keanu Reeves) sent la métaphore californienne à plein nez. Du coup j’ai rien compris, sauf qu’en cas d’effondrement, il faut se méfier des culturistes qui ont besoin de leur apport quotidien en protéines.
L’aboutissement du cannibalisme, c’est la justification de l’acte par la ritualisation religieuse. Dans l’excellente série Yellow Jacket (Ashley Lyle, Bart Nickerson, 2021), un groupe de jeunes filles se retrouve coincé dans la foret. Par manque de nourriture, elles vont, presque malgré elle, inventer des rites pour justifier la chasse et la consommation de viande humaine.
The Road (La Route, Cormac McCarthy, 2006) nous propose au contraire une vision très (trop) réaliste de cette humanité déviante. Un cataclysme a ravagé la planète et les survivants ont le choix entre crever de faim ou … devenir cannibale. Certains stockant même leur nourriture pour leur servir d’objet sexuel.
Les survivants doivent non seulement trouver de quoi se nourrir, mais aussi éviter les cannibales qui recherchent de la nourriture à deux pattes (et je ne parle pas de poulet). Une ambiance de peur et de désespoir qui ne peut conduire qu’à baisser les bras.
Le désespoir et finalement le suicide
Le film (et le livre) The Road baigne ainsi dans le désespoir, le regret du passé et l’horreur d’un futur sans lumière. Très vite la mère, ne supportant pas l’attrition permanente de leur mode de vie, se suicide. Le père, lui, plaque son flingue à la tempe de son gamin en permanence, car il préfère le voir mort que de subir des alternatives encore pires.
On trouve ainsi dans la plupart des films ou livres post-apocalyptiques récents une maison des suicidés, souvent une ferme du Midwest, avec à l’étage, les habitants couchés sur leur lit ayant préférés la mort que la lente décrépitude, la maladie, la faim ou la transformation en zombie. Le symbole que la vie était mieux avant et qu’il ne sert à rien de continuer.
L’idylle entre Bill et Franck du magnifique épisode 3 de The Last of Us se termine d’ailleurs sur un plan cette fenêtre ouverte alors que tous les spectateurs pleurent à chaudes larmes.
Le suicide est également un thème récurrent dans la série de comics Walking Dead (Robert Kirkman – Tony Moore, 2003). Cette série, concentrée de nihilisme pure, nous montre à quel point les humains sont nettement pires que les zombies. Personnellement je déteste ce comics (dont j’ai lu quasi tous les épisodes, il faut croire que j’aime me faire du mal) où cet enflure de Kirkman, le scénariste s’amuse à détruire ses personnages dans situations les plus macabres et traumatisantes pour surprendre ses lecteurs. Pire que George Martin, c’est dire.
L’enfer c’est les autres, mais pas que…
Je vous avais prévenu. A l’aune de nos sociétés de plus en plus individualistes, il semblerait qu’il ne fasse pas bon vivre cette apocalypse à plusieurs, alors que la survie solitaire semble plus acceptable. Alors faudrait-il définitivement vivre seul en cas d’apocalypse ?
Dans l’un des meilleurs épisodes de la série la Quatrième Dimension, Question de temps (Twilight Zone, Time Enough at Last – Saison 1 épisode 8 – 1959), Henry Bemis, un petit employé de banque constamment humilié par son patron et sa femme, a une seule passion : bouquiner. [Attention spoiler] Alors qu’il s’isole pour lire dans une chambre forte, une explosion atomique rase la ville et il se retrouve seul sur terre. Au début désespéré et tentant de se suicider, il découvre soudain la bibliothèque…
Une infinité de livre rien que pour lui. Le rêve ? Le happy end ? [Attention nouveau spoiler] Quand soudain, bing, ses lunettes tombent, se cassent et le voilà maintenant incapable de lire, ni même de se suicider… Fin. Argh !
Cet épisode résume exactement le paradoxe de la sociabilisation : vivre avec les autres est dangereux et implique beaucoup de concessions. Mais vivre seul est impossible car on a besoin des autres, ne serait-ce que pour réparer ses lunettes.
L’enfer est tout entier dans ce mot : solitude.
Victor Hugo
Alors comment vivre avec les autres en cas d’apocalypse ? C’est le sujet du prochain NovFut qui sera, je l’espère, nettement plus joyeux que cet épisode.
Cyroul
(*) Merci à Sabrina, Damien, Clément, Emmanuel et les autres qui m’ont conseillé de regarder sans attendre. Cet épisode (glauque) de NovFut leur est dédié.
Les news SF de septembre 23
A voir
- Le Spinoff de la série TV The Walking Dead tournant autour du personnage de Daryl Dixon se déroule à Paris et en Ile-de-France. Je ne suis pas fan de la série, mais j’ai très envie de voir des zombies dans la capitale ailleurs qu’au Parc des Princes. Il faut dire que la séquence finale de 28 Jours plus tard (28 Days Later, Danny Boyle, 2002) se déroulant au Trocadéro, m’avait grave laissé sur ma faim.
A lire
- Sortie de Rocky, dernier rivage de Thomas GUNZIG, Au diable vauvert. Complètement raccord avec notre thématique, Rocky raconte l’isolation d’une famille qui se prépare à la fin du monde sur un îlot rocheux. Seulement, la survie familiale ne se passera pas aussi bien que prévue.
A faire
- Le festival des littératures de genre Étrange Grande se déroulera les 16 et 17 septembre à Hettange-Grande
- Les 23 et 24 septembre, la troisième édition du festival HyperMondes (Mérignac) va nous parler de Monstres.
- La 9e édition des Aventuriales, ce sera les 23 & 24 septembre à Menetrol
- Et enfin Octogônes, la Convention du Jeu et de l’Imaginaire de la région lyonnaise se déroulera du 29 au 1er octobre.
J’espère que cet épisode de NovFut vous a plu. Comme d’habitude, abonnez-vous et n’hésitez pas à en faire la promo, c’est gratuit et il y en a pour tout le monde. Si vous voulez m’écrire pour me conseiller des sujets ou me dire que je raconte n’importe quoi, c’est là : Mastodon, Twitter ou cyroul.com.
On se retrouve le mois prochain si il n’y a pas d’apocalypse, et en attendant, lisez de la bonne SF !
Une réflexion sur « [NovFut #21] L’apocalypse, Part 2 > L’enfer c’est les autres »