[NovFut #20] L’apocalypse peut-elle être cool ? Part 1 : la survie

Il est facile d’évoquer du Solarpunk (Novfut#1) ou des utopies lointaines où l’humanité est devenue civilisée (du genre David Brin ou Star Trek). On se projette bien loin, et hop, on invente un monde idéal, optimiste, égalitaire (et ces derniers temps, écologique) sans trop se poser de questions du comment on a fait pour en arriver là.
Seulement ce n’est pas avec ça qu’on va transformer l’humanité. Car l’humanité aujourd’hui n’a pas envie d’arrêter de prendre l’avion pour se photographier aux quatre coins du monde. Elle ne veut pas abandonner son SUV pollueur pour se remettre à marcher. Elle ne veut pas arrêter de regarder Netflix ou Hanouna pour se remettre à lire des livres. Elle ne veut pas arrêter de manger de la viande, des bananes, des kiwis. L’humanité veut continuer à croire qu’elle vit un idéal de civilisation… Pauvre folle.

Tout le monde veut le paradis, mais personne ne veut mourir.

Proverbe Marines

Alors je me pose la question : comment donner envie à tout le monde d’accepter le changement inéluctable ? Est-ce qu’il ne faudrait pas déjà vaincre la peur absolue du changement (la metathesiophobie, j’ai pondu un truc là-dessus) pour que les gens acceptent de se transformer petit à petit. En bref, ne faudrait-il pas diminuer cette peur de l’apocalypse (le néant abyssal qui s’ouvre sous nos pieds d’après le philosophe Jean Vioulac) pour pouvoir sortir de notre spirale auto-destructrice de consommation-pollution ?

Instinctivement, on se dit que personne n’a envie de vivre véritablement une apocalypse nucléaire, une invasion de zombies, ou une pandémie planétaire. Mais quelle est la vision de la Science-Fiction sur ce sujet ? Je tenterai de répondre à ça dans les prochains NovFut, et pour commencer, je me demande est-ce que la survie peut être un sujet cool ?

Le survivalisme du “plus gros flingue l’emporte”

Les guerriers de la route de Lloyd A. Simandl et Michael Mazo, 1989.
Le pitch est dans le titre.

Il est un personnage évident quand on parle de survie: celui du survivaliste américain, fusil mitrailleur dans une main et Bud dans l’autre, qui se pavane en Hummer 4×4 le weekend dans les montagnes pour montrer sa nouvelle grosse machette à ses potes. Effectivement ce survivaliste à l’instinct grégaire se déplace rarement seul. Et quand il rentre chez lui, c’est pour astiquer sa collection de (gros) flingues devant le match, pendant que bobone va lui chercher une bière. Une certaine vision de la survie où la taille a une grande importance (le 4×4, les flingues, la télé, …).

Cette image du survivaliste, propulsée par le cinéma et la télé, a créée une sous-culture réelle gouvernée par la peur et l’angoisse d’une future guerre civile nourrie par les discours sur l’insécurité (en France, 100 000 à 150 000 personnes feraient partie de ces survivalistes, 2022).

Le survivant (Boris Sagal, 1971), adaptation de The Legend de Matheson, avec Charlton Heston qui fait une démo sur l’affiche pour ses amis de la NRA.

Autant le dire, ce type de survivalisme n’est pas cool (surtout si vous n’avez pas un gros flingue). Et pourtant c’est une image que l’on retrouve depuis longtemps dans des œuvres de science-fiction critiques ou au contraire complaisantes, se justifiant du deuxième amendement de la Constitution des États-Unis, qui garantit le droit des individus à détenir et utiliser des armes à feu.
On ne sait pas si ces films ont été financés par la NRA (la National Rifle Association américaine), mais l’idéologie puante qu’ils promeuvent reste la même : l’autre est un danger permanent, alors achetez une plus grosse arme à feu que loi pour vous défendre.

Et cette image du « gros flingue » irrigue en permanence le cinéma SF grand public (notamment américain), même les grosses productions.

Dans After Earth (de Will Smith, heu, non, de Night Shyamalan, 2013, écrit par Will Smith), Kitai (Will Smith, heu, non, Jayden Smith) doit survivre sur une planète terre qui ne ressemble pas du tout à la nôtre pour sauver son père Cypher (Will Smith, qui n’a pas composé la musique). Ce film est un programme éducatif sur le fait que la survie n’est qu’un combat permanent pour être le plus haut sur la chaine alimentaire.

Tout tend dans ce film incite à être le plus fort, a avoir le plus de potentiel destructeur, pour « vaincre ses ennemis et se réjouir des lamentations de leurs femmes« . Une citation tirée de Conan (John Milius, 1982), qui au moins revendiquait cette violence primitive pour démontrer le processus nécessaire de l’auto-civilisation du barbare.

Car si les vendeurs d’armes (et de scientologie) promeuvent des slogans simplistes, nous savons depuis Sun Tzu (L’art de la guerre, VIe siècle av. J.-C) et Jules César (De bello gallico, 52 av. J.-C), que la force brute ne fait pas tout dans la guerre, ni dans la survie.
Aussi délaissons les bourrins et regardons plutôt les autres stratégies de survie dans la science-fiction.

Un survivant préparé le reste

Car il est un autre type de survivaliste : l’amateur de bushcraft, capable de vivre seul en s’adaptant à la nature. A l’inverse du précédent, ce survivalisme là, très exigeant, nécessite du travail aussi bien physique que mental (assimilation de techniques et de savoirs particuliers). Inutile de dire qu’il est donc évidemment beaucoup moins populaire chez les imbéciles paranoïaques qui n’ont qu’à appuyer sur une gâchette pour affirmer leur virilité.

Dans la plupart des œuvres de SF (de bonne qualité), on retrouve cette capacité du survivant à explorer son environnement pour en tirer le meilleur parti. Cette phase d’exploration d’un monde nouveau est d’ailleurs l’un des ressorts principaux de la littérature d’aventure SF (les pulps) de Gulliver qui explore les régions de peuplades étranges (Jonathan Swift, 1721.) à John Carter qui se réveille sur Barsoon (Edgar Rice Burroughs, 1911). Dans un pulp, l’inconnu ne fait pas peur, au contraire, il est source d’émerveillement.

Jack Vance dans son formidable Cycle de Tschaï (1968) nous montre comment Adam Reith, échoué sur la planète Tschaï, utilisera plus souvent ses capacités mentales que ses ressources physiques pour survivre dans un monde partagé entre des créatures qui exploitent les humains : les Chaschs, les Wankhs, les Dirdirs et les Pnumes.

Jack Vance, marin bricoleur et touche à tout, mettra souvent en scène dans ses romans le ressort narratif de la survie (cf Un Monde d’Azur, 1970), très utile pour montrer l’importance pour l’humain « civilisé » d’être instruit dans de nombreuses matières. Car n’en déplaise aux décérébreurs de la NRA, avoir une cervelle pleine de choses utiles est souvent plus utile qu’un flingue pour survivre.

Sans savoir, point de survie

Dans la faune de l’espace (The Voyage of the Space Beagle, A.E. Van Vogt, 1950), un groupe se retrouve isolé sur une planète arctique suivi par une créature recouverte de diamant. Elliott Grosvenor, un adepte du Nexialisme (une discipline qui englobe toutes les autres sciences), va utiliser ses connaissances anthropologiques pour se tirer d’affaire.
Sans vous la dévoiler, son idée très maligne, empruntée à des tribus premières, démontre l’importance du savoir généraliste pour innover et survivre à n’importe quelle situation. Car les spécialistes c’est bien, mais mieux vaut des généralistes dans une situation de survie.

Un peu le même genre de morale dans l’ile mystérieuse de Jules Verne (1875). Les naufragés grâce à leurs capacités scientifiques (incarnées par l’ingénieur Cyrus Smith) et à la découverte d’une encyclopédie, vont se construire tout le confort moderne en redécouvrant les innovations majeures de la civilisation (outil, acier, poudre, …). Et ce, jusqu’à presque terraformer « l’ile Lincoln » en colonie habitable du gouvernement des États-Unis.
A travers ce formidable roman, Jules Verne nous raconte que grâce à sa connaissance des sciences et techniques, l’homme peut survivre à tout. Une bien belle leçon pour les nouvelles générations, de plus en plus dépendantes de leur téléphone sans savoir comment il fonctionne.

Et puis comment ne pas évoquer La Révolte des prisonniers, l’un des meilleurs épisodes de Capitaine Flam (dessin animé tiré du Capitaine Futur d’Edmond Hamilton), où, échoué sur une planète déserte, le Capitaine va convaincre ses compagnons naufragés de l’aider à reconstruire à partir de rien un vaisseau capable de voyager dans l’espace. Tout ça grâce à son intelligence et à celle du Professeur Simon.

L’importance de la formation et de l’intelligence est encore plus impactante dans Gravity (Alfonso Cuarón, 2013), où Ryan Stone (Sandra Bullock) et Mathieu Kowalski (George Clooney) doivent survivre dans le vide en orbite terrestre suite à une collision avec un vieux satellite russe (ça devrait vous rappeler NovFut#6, satellite of love). C’est grâce à son intelligence et sa ténacité que l’héroïne arrivera à survivre dans le pire environnement possible pour un humain.

Alors évidemment, c’est toujours plus facile quand il y a des gens pour vous aider. Dans Seul sur Mars (The Martian, Ridley Scott, 2014), adaptation du roman d’Andy Weir (2011), c’est toute la NASA qui va aider Mark Watney (Matt Damon) à survivre sur le sol hostile de la planète rouge pendant 18 mois. Un bel effort collectif pour sauver un seul homme.

Ainsi le savoir et l’intelligence nous permettent de survivre à n’importe quelle condition. Mais une qu’on a passé le cap de la survie, il faut vivre…

S’adapter, se transformer pour ne plus survivre, mais vivre

Une fois que le survivant a exploré et maitrisé son environnement, il va devoir dépasser le stade de la survie et se mettre à vivre.

Le jeux vidéo s’est fait une spécialité de ce genre de scénarios : un personnage se réveille à poil dans un environnement nouveau, et va devoir l’explorer, comprendre ses règles, pour accumuler des ressources, construire du matériel, et améliorer ses conditions de (sur)vie, pour explorer encore plus loin. On appelle ce genre le « crafting« . Dans les bons jeux auxquels j’ai joué, on trouve ainsi Valheim, Conan Exiles, Don’t starve, The Long Dark, l’effrayant et glauque The Forest, ARK: Survival Evolved, le mignon Stardew Valley, Terraria et évidemment Minecraft.

Valheim, le jeu où l’on passe plus de temps à crafter qu’à explorer

Certains de ces jeux ont des scénarios poussés, d’autres non. Mais les règles sont toujours les mêmes : 1-explorer 2-accumuler 3-construire pour pouvoir aller plus loin et 4-recommencer.

Je vous conseille aussi le très beau Subnautica où vous incarnez un spationaute dont le vaisseau s’est écrasé sur une planète aquatique. Vous devrez donc explorer votre environnement, accumuler des ressources, et développer votre potentiel pour explorer et accumuler pour construire un vaisseau et repartir chez vous.

Souffrir, évoluer et se recréer

Bon, ok, après tous ces exemples, ça peut sembler facile (et cool) la survie. Mais en réalité beaucoup d’œuvres vont évoquer l’importance et la difficulté de la transformation personnelle du survivant qui va devoir s’adapter à un nouvel environnement et souvent lutter contre la solitude.

On retrouve cette transformation dans ce passionnant reportage contemporain où Xavier Rosset décide de passer 300 jours seul sur une île du Pacifique. Un état de survie volontaire qui va le transformer mentalement, et surtout va le faire extrêmement souffrir de la solitude.

C’est également tout à fait le cas pour le survivaliste le plus connu, Robinson Crusoé (Daniel Defoe, 1719), qui pendant ses 28 ans sur Despair Island, va devoir lutter contre sa solitude avant de trouver son camarade (ou plutôt son serviteur) Vendredi. A travers les épreuves, le survivant ne devient pas un autre, il devient véritablement lui même, exprimant son potentiel intérieur et des ressources inattendues.

Cette évolution et recréation est la thématique préférée d’Abraham Merritt (comme Burroughs d’ailleurs) Celui-ci met très souvent en scène dans ses romans, des héros qui doivent survivre à des civilisations perdues ou des dimensions lointaines, et qui, à travers les épreuves, vont révéler leurs potentiels en se transcendant. Même si ses personnages sont très caricaturaux (dans le canon pulp), l’idée générale est là : c’est leur capacité d’adaptation, de transformation qui change les hommes et les rends meilleurs.

Un exemple de ces qualités d’adaptation dans l’excellent dessin animé Terra Willy (Éric Tosti, 2019), où Willy, un petit garçon échoue sur une planète étrange avec son robot Buck. Au début le jeune garçon survit sous la supervision du robot prudent, niant l’environnement de cette nouvelle planète. Mais Laissé seul, Willy va au contraire tirer partie des particularités nouvelles de l’écosystème pour transformer la survie en jeu. Un très beau film qui nous raconte que la survie passe par l’acceptation et l’appréciation de son environnement à travers la curiosité et le jeu.

On le voit à travers ces œuvres de fiction, la survie peut être cool. Elle peut devenir un jeu où l’on révèle son potentiel. Seulement la condition pour faire apprécier est d’augmenter la curiosité naturelle. Exactement le contraire de ce que nous préparent les algorithmes d’ultra-personnalisation de contenus de demain qui vont petit à petit diluer cette excellente qualité humaine…

Cyroul


Ce mois d’aout en SF

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A vivre

A lire

En ce moment, après un Peter Straub pas terrible, je lis Les miscellanées de Jean-Philippe Jaworski dans une très belle édition des moutons électriques et j’ai du mal à vous conseiller autre chose, tellement c’est un plaisir permanent. Mais c’est plutôt de la fantasy, alors si vous voulez de la SF, lisez le dernier numéro de Solaris (#227) la revue de littérature des imaginaires de nos cousins québécois.

Je ne peux m’empêcher de vous conseiller aussi la collection Radium Age du MIT qui republie des classiques oubliés de proto-science fiction entre 1900 et 1935. Que voulez-vous, à cet âge de l’impermanence du propos, j’aime quand on republie des vieux textes. Leur dernier numéro MORE VOICES from the RADIUM AGE vient de sortir, et on y trouve justement une nouvelle de Abraham Merritt. (merci Gaëlle pour l’info).

A voir

J’ai vu les premiers épisodes de la série Silo, adaptation série des romans de Hugh Howey (à partir de 2011) sur Apple TV. Ca se passe dans un futur dystopique (forcément) où des 10 000 habitants d’un immense silo de 144 étages vivent dans une société très autoritaire qui les empeche d’évoquer le passé et de sortir. Ces premiers épisodes sont tops, vivement la suite.

A jouer

L’éditeur GF9 a sorti le jeu de plateau coopératif Aliens, Encore Une Jolie Journée De Soleil, où vous devez survivre à travers une campagne sur Hadley’s Hope. Je ne l’ai pas testé car ça vaut une fortune (63€), mais ça me donne envie. Alors si jamais vous avez l’occasion d’y jouer, dites moi ce que ça vaut. Si vous êtes riche, vous le trouverez chez vos revendeurs de jeux habituels. Et si vous êtes très riche, n’hésitez pas à m’envoyer un exemplaire.

Et enfin, RIP

L’écrivain Philippe Curval, l’un des pionniers de la science-fiction en France, est mort à l’âge de 93 ans. Il avait commencé à écrire de la SF dans les années 50.

Voilà, NovFut 20 d’Aout 2023 est terminé. Vous êtes de plus en plus nombreux à me lire, n’arrêtez pas, abonnez-vous et abonnez vos amis. C’est ma meilleure récompense. Vous pouvez également me rajouter sur Mastodon, Twitter ou autre.
Nous, on se retrouve le mois prochain pour la suite de cette série sur l’apocalypse cool ou pas.
Et n’oubliez pas de lire de la SF pour penser le futur !

Author: Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

3 thoughts on “[NovFut #20] L’apocalypse peut-elle être cool ? Part 1 : la survie

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