[NovFut #22] Apocalypse 3 > Le déni

24e numéro pour NovFut, les Nouvelles du Futur qui continue sa série consacrée à l’apocalypse en parlant du déni d’effondrement. Car certains pensent encore que tout va bien et que ça ne changera jamais, mais alors jamais.

Déni-oui-oui

2022, France. Lors de ses vœux à la nation, le président de la république nous a déclaré :

« Qui aurait pu prévoir la crise climatique de cet été il y a un an ?

E. Macron (2023)

Il y a 120 ans, déjà, le scientifique suédois Svante Arrhenius (1859-1927) démontrait que l’ajout de CO2 dans l’atmosphère pourrait réchauffer la planète. 120 ans de résultats scientifiques consensuels, d’alertes d’ONG, de documentaires sur le sujet (Inconvenient Truth d’Al Gore date de 2006, Before the Flood de Fisher Stevens de 2016), pour que le président français découvre soudainement les effets du changement climatique en 2022.

Alors notre président serait-il totalement con ? Impossible de le dire (il est très fort en com). En revanche, on peut être certain qu’il est en plein déni. Les psychologues appellent même ça du dénialisme, le choix de nier un fait ou un consensus, sans justification rationnelle.

Cette attitude du déni suicidaire des dirigeants et de la plupart de la société est souvent décrite dans les œuvres de SF notamment dans les Climate fiction (ou cli-fi), ces œuvres dont le sujet principal est les crises climatiques de l’anthropocène. Allons donc faire un tour sur les fictions qui nous parlent du déni.

Les signaux faibles

Dans le très bon Los ultimos dias (David y Àlex Pastor, 2013), Marc, employé d’une société semble être le seul à distinguer qu’il se passe quelque chose d’étrange dans le monde à travers les journaux télévisés. “Le monde s’effondre et on se refuse à le voir !” dira-t’il avant juste avant que la pandémie mondiale soit “officiellement” constatée et condamne tous les gens à ne plus pouvoir sortir de chez eux.

J’ai l’impression qu’il se passe un truc bizarre…

Seuls les plus perspicaces (ou les mieux informés) sont capables d’assembler les signaux faibles en un tout cohérent et utile, à une époque où les médias grand public ont abandonné leur mission d’information pour des impératifs de divertissement.

Déni de réalité sociale ou morale : l’aveuglement volontaire individuel

Le première épisode de l’excellente série l’Effondrement(2019, par le collectif Les Parasites), se déroule dans un supermarché. L’ambiance y est étrange. Des indices laissent penser qu’il se passe quelque chose : les chaines d’info montrent des nouvelles terribles, les coupures de courant, le manque d’approvisionnement dans certains rayons du supermarché, etc.

Deux jeunes discutent de l’effondrement sans jamais le citer. La fille veut partir maintenant pour se réinventer une vie « ailleurs ». Mais le garçon trouve toutes les raisons pour ne pas le faire (son travail d’appoint, ses partiels pour valider son diplôme, etc.). Il ne veut pas quitter la normalité. Ce passage à l’acte est trop difficile pour lui.

Une vision contrastée de la jeunesse autour de la volonté de changement.

Un clivage qui résume celui de la société d’aujourd’hui. Certains veulent évoluer, alors que d’autres préfèrent ne pas voir les changements arriver. Un aveuglement volontaire, mélange de trouille et de formatage mental, qui ne peut se traduire que par un désastre. Ce qui sera le cas dans l’épisode.

Dans le film Children of Men (Alfonso Cuarón, 2006), la société refuse de traiter la crise de la fertilité et l’évidence d’une extinction imminente de manière constructive. Le résultat de cet aveuglement volontaire est la fin de l’humanité.

Coïncidence incroyable, le sujet de la baisse de natalité française (abordé dans NovFut #11, Apocalypse grabataire) est revenu dans les médias la semaine dernière (7% de baisse des naissances en France par rapport à 2022).
Malgré le buzz des médias, il semblerait qu’aucune mesure concrète n’ait été prise pour endiguer cette situation. Car pire que l’aveuglement de la société, c’est celui des dirigeants qui nous menace.

L’aveuglement des gouvernants

Dans When worlds collide (Rudolph Maté, 1951, tiré du roman éponyme de Balmer et Wylie, 1933), les professeurs Bronson et Hedron découvrent que l’étoile Bellus fonce vers la terre. Il reste 8 mois avant la destruction de notre planète.

Pourtant, les Nations Unis refusent de faire quoique ce soit. Mieux vaut nier la réalité, se battre sur des détails, que d’accepter une fin évidente de son mode de vie. L’humanité est alors divisée face au désastre qui l’attend, et, au lieu d’unir ses forces, va au contraire s’éparpiller et gâcher ses chances de survie.

Seuls les deux scientifiques réussissent à créer un vaisseau spatial pour partir coloniser Zyra un satellite habitable de Bellus. 40 hommes et femmes sont tirés au sort parmi des profils présélectionnés reconstruire la société humaine. 40 sur des milliards…

L’humanité ne pourra pas tenir là-dedans. Il faut tirer au sort.

En associant la survie de l’espèce humaine à ses capacités d’adaptation mais surtout à sa possibilité de penser le collectif plutôt que l’individu, When worlds collide questionne déjà le choix d’avoir des dirigeants qui se soucient du “maintenant” au lieu du “demain”. Il semblerait que rien n’ait changé depuis 1951.

Contagion (Steven Soderbergh, 2011), qui nous raconte le Covid avant l’heure, montre les différentes étapes du déni des autorités : l’aveuglement initial (ça ne peut pas se produire), puis les tentatives de minimiser l’ampleur du problème et enfin les luttes politiques et la désinformation. Sur fond d’épidémie mortelle. Comme si la politique dressait un mur entre elle et les problèmes concrets.

« I hear there’s an asteroid or comet or something that you don’t like the looks of. Tell me about it, and then tell me why you are telling me about it. »

President Orlean (Don’t Look Up)

Le formidable Don’t Look Up (Adam McKay, 2021) reprend cette idée en la poussant jusqu’au bout. Véritable hommage au déni des dirigeants internationaux, ce chef d’œuvre de finesse nous présente une terre qui va être écrasée par un astéroïde, et les efforts de quelques scientifiques pour alerter la population.

On y retrouve, à peine caricaturés, les principaux problèmes du dérèglement climatique :

  • Les désaccords de la communauté scientifique sur des querelles de clocher. Ce qui n’aide pas la population, ou les politiques, à avoir une vision juste de la situation.
  • L’inaudibilité de la vérité : dans notre société où surinformation et désinformation se mélangent pour des raisons différentes (les influenceurs veulent faire du clic, les trolls veulent s’amuser, les manipulateurs veulent manipuler, …), la vérité devient un objet inaccessible.
  • Et évidemment, le désintérêt des gouvernants (politiques) qui cherchent à sauver leur poste, leur carrière, leur campagne, dans une irresponsabilité totale des populations.
Mais qui aurait pu prévoir que ce météorite détruirait la terre ?
(en dehors des scientifiques derrière elle évidemment)

Du déni au mensonge

Soilent Green (Richard Fleischer, 1973), présente une société où la provenance de la nourriture (le « Soilent Green ») est cachée à la population. Ce terrible mensonge, révélé à la fin du film, n’est que l’aboutissement d’une chaine de mensonges ou de cachotteries progressifs avec comme mot d’ordre: “Il ne faut pas effrayer la population !”.

De bons ingrédients, bourrés de vitamines, excellentes pour la santé

La formidable série Years and Years (Russell T Davies, 2019) propose de suivre une famille britannique de 2019 à 2030 durant 6 épisodes. On y voit le rôle des politiciens qui, souvent pour garder le pouvoir, n’hésitent pas à cacher les vérités qui grattent, puis, coincés dans des réalités qui dérangent, à mentir. Les petits mensonges qui mènent aux gros dans un engrenage inéluctable.

Cela pourrait nous rappeller les efforts de l’administration Bush pour transformer en 2003, le terme scientifique « global warming » en « climate change ». Ce terme, beaucoup moins anxiogène, a été imaginé pour promouvoir l’inaction et réduire de fait l’angoisse des électeurs. De la manipulation politique douce, qui fonctionne jusqu’au moment où…

Le déni nous fait recommencer les mêmes erreurs

Les conséquences de ce déni sont évidentes. D’une part, elles ne permettent pas d’anticiper, de lutter ou de soigner une situation potentiellement mortelle, et d’autre part, elles nous amène à recommencer les mêmes erreurs. Si nous n’osons pas regarder nos erreurs passées, nous sommes condamnés à les reproduire.

Dans Nausicaä de la Vallée du Vent (Hayao Miyazaki, 1984), les hommes vivent dans un monde post-apocalyptique, résultat de guerres effroyables. Alors que certains reconstruisent avec sagesse et patiente, d’autres continuent de se faire la guerre et décident même de reconstruire l’un des géants responsables de l’apocalypse, un robot-guerrier biomécanique.

A travers Nausicaä, Miyazaki nous rappelle le vers de Cicéron (vers 80 avant J.-C.), : « C’est le propre de l’homme de se tromper. Seul l’insensé persiste dans son erreur. »

Je vais bien, tout va bien

Le déni est l’arme la plus puissante des politiciens : si on nie le problème, il n’existe pas. Une attitude qui a conduit beaucoup de civilisations à s’effondrer par manque d’anticipation de problèmes vitaux ou par la persistence dans leurs erreurs.

L’effondrement, voilà un mot qui fait peur. Dans Effondrement (2005), le géographe Jared Diamond propose 5 variables qui se conjuguent pour éviter ou non l’effondrement d’une société : une dégradation environnemental, un changement climatique, des voisins hostiles, la dépendance à des partenaires commerciaux et évidemment, les réponses qu’apporte la société à ces problèmes.

5 variable qui devraient constituer la base des programmes électoraux de nos dirigeants. On en est loin alors même que l’ONU nous parle d’un futur dystopique (Réchauffement climatique : « Le futur dystopique est déjà là », 09/23).

Et ce qui est vrai pour notre société occidentale l’est pour toute l’humanité. Peut-être sommes-nous en train de créer les conditions d’une 6e extinction de masse, celle de l’espèce humaine.

Les historiens du futur, si il en reste, nous étudierons alors comme nous étudions aujourd’hui les civilisations mystérieusement disparues comme les Anasazis, les Khmers, les Assyriens ou les Mayas. Stupéfiés, ils découvriront peut-être que nous étions une civilisation qui adorions des chefs qui chantaient en plein réchauffement climatique : « Mais qui aurait pu prévoir ? »

Cyroul

PS : Si le sujet du déni vous intéresse, je vous conseille le numéro 3 d’Anticipation, la revue des futurs possibles qui, au travers de multiples interviews, nous donne une vision très contrastée et passionnante des mondes post-apocalyptiques. Lisez aussi le très bon Dans les Imaginaires du futur (Ariel KYROU, collection Hélios, 2023).


Les NEWS d’octobre en SF

Les évènements

Les Utopiales, le Festival international de Science-Fiction de Nantes se déroulera du 1er au 5 novembre. Du très beau monde pour cette édition 2023.
J’en profite pour dire que j’y serai vendredi et samedi pour playtester Jean-Claude, un jeu révolutionnaire qui devrait sortir en 2024. Si vous êtes dans le coin, n’hésitez pas à me faire un coucou.

La Chine (je dis “la Chine”, car tout ce qui se passe en Chine est validé par le gouvernement Chinois donc ça ne sert à rien de mettre des noms d’individus). La Chine, donc, nous propose du mercredi 18 au dimanche 22 octobre 2023 à Chengdu une Convention mondiale de science-fiction.

Le festival Scorfel, Festival ludique et littéraire, se déroulera du 21 au 22 octobre à Lannion (Bretagne). On y trouvera notamment John Lang alias « Pen of Chaos », le créateur du donjon de Naheulbeuk.

De l’autre côté de la planète, le World fantasy convention 2023 se déroulera du jeudi 26 au dimanche 29 octobre à Kansas City (USA).

Les nécrologies

Deux tristes nouvelles ce mois-ci. Tout d’abord la mort du mangaka BUICHI TERASAWA, l’auteur du génial Cobra. Un chef d’œuvre de la science-fiction indispensable à la fois pour ses dessins splendides, son univers foisonnant, sorte de western spatial et ses personnages hauts en couleur. La série anime (Cobra Space Adventure, Akio Sugino et Osamu Dezaki) sortie en 1982 est un petit bijou, nettement supérieure à la plupart des bouses SF d’aujourd’hui.

Le 5 septembre dernier, nous apprenions la fermeture de l’éditeur ActuSF, mis en liquidation. Je suis toujours triste de voir un éditeur de qualité fermer. Dans la thématique NovFut, ils avaient édité Travailler encore ? (2023) sciences et fictions sur le futur de l’emploi, ou encore Nos Futurs (2022) pour explorer et expliquer les possibles du changement climatique. Regrets éternels pour cet éditeur tellement SF.

A lire en octobre

A lire en octobre

L’éditeur Le Bélial semble lui se porter bien, et nous propose le Dictionnaire utopique de la SF en librairie et numérique le 12 octobre, et dont les précommandes sont ouvertes ici. Dans ce dictionnaire, Ugo Bellagamba explore le côté positif de la Science-fiction. De l’Utopie de Thomas More, à La Cité du Soleil, de Tommaso Campanella ou même la Fédération de Star Trek imaginée par Gene Roddenberry à travers une trentaine de thématiques. Pour feuilleter les premières pages, c’est ici.

Et puis octobre a vu le lancement de Mutation, manuel de survie pour le 21e siècle. Un projet orchestré par Laurent Courau (du mag La Spirale) et auquel j’ai la chance de participer. Ce nouveau média veut questionner nos modes de vie actuels et a la prétention de donner quelques clés pour faire avancer notre civilisation. Bonne lecture.

NovFut numéro 22 (déjà, on fête nos 2 ans dans 2 numéros !) est terminé. N’hésitez pas à en faire la promo, c’est gratuit et il y en a pour tout le monde. Si vous voulez m’écrire pour me conseiller des sujets ou me dire que je raconte n’importe quoi, c’est là : Mastodon, Twitter ou cyroul.com.On se retrouve le mois prochain si il n’y a pas d’apocalypse, et en attendant, lisez de la bonne SF !

Author: Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

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