Satellite of love – NovFut 6

Il arrive que la Science-fiction fasse des prédictions trop précises. Et que ces prédictions soient désagréables. C’est le cas de notre sujet du mois qui ne parle pas de réchauffement climatique, mais d’encombrement spatial. Ce mois-ci, je vous propose de réfléchir sur ce sujet car il y a peut-être du bon dans cette situation autrement dramatique.

Drame en 2075

2075, un vaisseau de transport spatial touristique s’approche de la terre. A travers le hublot renforcé, une passagère observe le spectacle majestueux de la terre colorée flottant dans l’espace noir et glacial. Elle distingue au loin un éclat de lumière reflété par une vieille vis qui semble immobile en apesanteur. En réalité sa vitesse dépasse les 12 km par seconde, lui donnant autant d’énergie qu’une boule de bowling lancé à 100 km/h. En un éclair, elle perfore la fenêtre et transperce la cabine. La passagère n’a pas le temps de crier.

Cette scène introduit le manga Planetes (プラネテス) de Makoto Yukimura, qui, bien que publié à partir de 1999 nous raconte un futur où les débris spatiaux en orbite autour de la Terre deviennent un danger pour l’exploration spatiale. Un futur probable qui est devenu aujourd’hui une réalité certaine.

Des centaines de millions de débris au-dessus de nos têtes

C’est en effet aujourd’hui, près de 8 000 tonnes qui flottent au-dessus de nos têtes et se sont accumulées depuis le lancement de Spoutnik 1, en 1957. De la petite vis détachée jusqu’au satellite désaffecté, il y aurait plusieurs centaines de millions de débris et d’objets qui tournent autour de nous pour seulement 4,852 satellites actifs (d’après l’UCS). Des centaines de millions de trucs faits de la main de l’homme, qui ne servent à rien tournent autour de la terre.

L’homme a ainsi réussi, en 70 ans, à transformer l’espace en poubelle. Et si seuls 11 000 satellites ont été envoyés depuis 1957, ce nombre va enfler de façon exponentielle pour dépasser les 70 000 dans les années à venir. Sans soucis des conséquences pourtant connus de cette surpopulation orbitale.

Space junks partout, poubelle nulle part

Première conséquence, la difficulté à naviguer ou travailler en orbite. Les collisions entre satellite se multiplient Les satellites commencent même à se rentrer dedans. Sans compter pour les navettes spatiales le risque de subir des dégâts catastrophiques causés par un débris à grande vitesse (évalué à une chance sur 250 au cours d’une mission typique). Ca s’est déjà produit, et ça va continuer.

Deuxième conséquence, le danger des retombées des objets orbitaux. En estimant que seulement 10 à 20% de la masse d’un satellite survit à la rentrée dans l’atmosphère et touche la surface du globe, il est statistiquement évident qu’un jour une zone peuplée sera touchée. Sans compter les complications, comme quand le satellite espion russe, Cosmos 954, s’est écrasé et a pollué l’Arctique canadien de débris radioactifs en 1978.

Autre conséquence, le Syndrome de Kessler. Il s’agit d’un phénomène d’emballement dû à des collisions mutuelles en orbite (deux objets se rentrent dedans et génèrent un millier de nouveaux débris, qui eux-mêmes créent d’autres collisions, etc). Rappelez-vous l’excellent film Gravity d’Alfonso Cuarón (2013) où une pluie de détritus explosait la station de Sandra Bullock. Un phénomène qui serait probablement déjà en cours sur certaines orbites.

Gravity, Alfonso Cuarón (2013)

Cette catastrophe prévisible s’annonce donc sans que ça n’arrête les tests de missiles militaires antisatellites (qui créent de nouveaux débris) et la folie des lancements commerciaux (Space X a déjà prévu 12000 satellites d’environ 250 kilos en orbite à 280 kilomètres d’altitude). Mais heureusement la résistance s’organise.

La résistance anti-satellite s’organise

L’idée de défendre l’espace comme patrimoine commun de l’humanité n’est pas nouvelle. En 1967 le traité de l’espace a sanctuarisé l’espace dans un bel esprit de bien commun. C’est qu’on avait pas envie de guerre nucléaire spatiale à cette époque. Seulement, en 2015 le rêve d’un espace commun a été pulvérisé par le SPACE Act de Barack Obama autorisant les compagnies privées à s’approprier les ressources naturelles figurant dans l’espace extra-atmosphérique. Ou quand les USA décident de ce qui est patrimoine de l’humanité.

Aujourd’hui, quelques pays comme la France et sa « Loi Spatiale » tentent de faire face. Mais les réglementations demeurent inégales et surtout hétérogènes. C’est triste. Mais qui aurait la puissance suffisante pour imposer le nettoyage des ordures spatiales aujourd’hui en dehors des USA qui ne le veulent pas ?

Heureusement les enjeux commerciaux du ramassage d’ordure sont très intéressants. C’est qu’il y a beaucoup de matériel en orbite qui n’attend que ceux qui arriveront à aller le chercher. Sans oublier que ces technologies spatiales apporteront un avantage certain à ceux qui les maitrisent car les prochaines guerres (militaires ou économiques) seront spatiales.

Aussi de multiples solutions technologiques sont en ce moment même testées : filets, harpons, lasers, des satellite éboueur (Space Tugs) et même des bras robotiques (comme dans le manga Planètes). Même l’agence spatiale européenne s’y met avec son programme ClearSpace-1 qui devrait être lancé en 2025.

La solution : l’avidité des humains

En avance sur son temps, François Mauriac aurait dit « Il n’en sert de rien à l’homme de gagner la Lune s’il vient à perdre la Terre ». Une belle citation qui n’empêchera pas les opportunistes de tous poils de bousiller l’orbite terrestre.

Aujourd’hui, seule l’avidité d’une certaine catégorie de l’humanité peut résoudre les problèmes que cette avidité a créé. Car pour exploiter l’espace, que ce soit pour faire du profit ou fuir la planète, il va falloir nettoyer l’orbite. Et donc face à l’inéluctabilité de la pollution orbitale, va se dresser l’ingéniosité des hommes pour réussir à explorer l’espace sans trop de casse, et, en passant, trouver un moyen de faire un bénéfice de ces ordures satellitaires.

Les opportunistes n’ont donc pas le choix. Ils ont créé un problème, ils vont devoir le résoudre. Et c’est une bonne nouvelle. Car ils ont les moyens financiers et technologiques de le faire. Il est donc indispensable de suivre sérieusement ce sujet qui conditionne le futur de l’humanité.

Car la dynamique génératrice de solutions qui va être utilisée pour résoudre le problème de la pollution orbitale pourrait peut-être également être appliquée au problème majeur du réchauffement climatique.

Décidément, le 21e siècle va être celui des grands défis de l’humanité. Excitant n’est-ce pas ?

Cyroul

Toutes les images (sauf celle de Gravity), sont tirées du manga Planetes de Makoto Yukimura .


Les rendez-vous de mai de la Science-fiction

  • Les 14 et 15 mai se déroule les rendez-vous de l’imaginaire et du polar imaJn’ère 2022 à Angers. Auteurs, illustrateurs, maisons d’éditions, tables rondes, expositions, jeux de société.
  • Du 19 et 22, le bien connu festival des Imaginales à Epinal (dans les Vosges) qui fête ses 20 ans avec comme thème l’afrofuturisme.
  • Les 28 et 29, à Redon se déroulera le festival des littératures populaires et de l’imaginaire, les Mystériales.

Sorties littéraires

Ce mois de mai voit une déferlante de livres SF. Voilà une petite sélection de mes sorties préférées.

  • The Body Snatchers (L’Invasion des profanateurs) de Jack FINNEY sort chez Le Bélial Editions. Ce livre daté de 1955 est une référence de la paranoïa-fiction maintes fois adapté au cinéma et à la thématique souvent copiée. Mais il n’en reste pas moins un classique que je n’avais jamais lu. Honte sur moi.
  • Pour fêter la sortie de son dernier roman, Karim Berrouka (L’immense Club des punks contre l’apocalypse zombie) dédicace ses bouquins chez ActuSF.
  • Cité, le dernier épisode de la trilogie « Métro Paris 2033 » de Pierre Bordage sort aux éditions l’Atalante. Si j’ai bien compris c’est une sorte de Métro 2033 de Dmitri Glukhovski, mais à la française. Il faut que je teste ça.
  • Et enfin, merci au Bélial (encore) de sortir Axiomatique (Axiomatic, 1995) de Greg EGAN recueil de nouvelles techno-futuristes indispensables.

A écouter : Histoire de la science-fiction française, chapitre 2 … Suite de cette épopée, cette fois de 1960 à 1980. Merci Nicolas Martin !

A méditer

Robert Heinlein est mon auteur de SF favoris. De temps à autre, je me reprends une citation, et je réfléchis dessus. Mieux que le yoga. En voilà une pour le mois de mai. C’est cadeau. Merci Robert !

“Always listen to experts. They’ll tell you what can’t be done, and why. Then do it.”

― Robert A. Heinlein, Time Enough for Love

Voilà, le NovFut de mai est terminé. N’hésitez pas à me faire vos retours sur Twitter ou autre. Et nous, on se retrouve le mois prochain, en espérant qu’un satellite ne nous tombe pas sur la tête. Et n’oubliez pas de lire de la SF pour penser le futur !

Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

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