Vous avez tous eu vent, que ce soit dans les médias grand publics, dans vos agences et entreprise et même dans vos grottes qui captent le wifi, de l’incroyable annonce de Zuckerberg d’il y a deux semaines. Il parait que Zuck lance Meta, le « metaverse » qui sera, à l’entendre dire, le monde virtuel qu’on attend tous depuis des dizaines, voir une quarantaine d’années.
Au delà de la meta-masturbation des médias qui astiquent tellement l’information qu’à la fin il ne reste plus rien (en dehors d’une sorte de résidu visqueux et d’un immense plaisir pour Zuckerberg), il peut être intéressant de nous pencher un peu plus sérieusement sur l’analyse de la vidéo de démonstration de cet univers. Histoire de mettre en parallèle les promesses de Z avec une réalité prévisible.
Zucky dans son chalet
Tout d’abord la vidéo est introduite par Zuckerberg, l’homme aux yeux de poisson, parlant dans un salon vitré, bocal de luxe au dessus d’une baie sauvage, entourée de montagnes avec une petite ville au loin. Le soleil se couche sur ce décors magnifique.
On devine immédiatement que Zucky est un homme qui aime la nature, ou plutôt qui aime dominer la nature. Derrière lui, seul élément de décors, un poêle à bois, histoire qu’on puisse imaginer que c’est un homme comme les autres. Un homme normal qui coupe lui aussi son bois avec sa chemise à carreaux. Juste avant de retourner dans son bocal pour se réchauffer pendant qu’il code les dernières lignes de Meta.
Il est habillé comme un Steve Jobs sans col de tortue, cet homme comme les autres mais supérieur aux autres. Supérieur car il domine le paysage. Et ensuite parce qu’on ne comprend pas si c’est l’été ou l’hiver à travers ses fenêtres, on imagine que Marco domine aussi la météo.
Soudain Marco reçoit une notification sur son bras certainement robotisé car on n’y voit pas d’interface particulière. Une copine l’engueule presque parce qu’il est en retard au rendez-vous. On remarque que Marco n’a pas validé ou consulté sa notification, celle-ci est arrivée immédiatement. Un bon vieux push des familles qui va faire rêver les spammeurs publicitaires qui pourront donc, à travers Meta, vous envoyer des pubs sans avoir besoin que vous cliquiez dessus pour les lire. Quel cauchemar.
Le choix de l’avatar
Marco choisit alors son avatar sur sa vitre-moniteur. On est presque dans Second Life. mais un Second Life version beta de 2002, où on aurait eu uniquement le choix entre 5 pauvres skins.
Marco choisit une version magnifiée de lui. Il a raison : son avatar est jeune, frais et beaucoup moins Uncanny Valley que lui. Regardez bien et vous verrez que le mince sourire de son avatar est définitivement plus humain que le sien.
Cette première séquence nous montre qu’il y aura donc des avatars et de la customisation d’avatar. Rien de nouveau dans le monde du jeu vidéo, que ce soient les RPG, les FPS ou encore les simulations de foot, de F1 ou d’aviation. En revanche, on sent néanmoins aussi la volonté de montrer qu’on pourra vendre du « skin », de la customisation de personnage. Et oui, si la Nasa peut vous vendre sa tenue de cosmonaute, pourquoi McDo ne te vendrait pas une tenue de Ronald, ou Walt Disney une tenue d’Avengers ?
Zucky dans l’espace
Ca y est, Marco part dans le metaverse pour discuter avec ses potes. Mais Marco est étonné car le lieu de rendez-vous est en apesanteur, et ça l’épate. Une séquence intéressante qui ne peut signifier qu’une chose : Marco n’a pas joué à un seul jeu vidéo depuis au moins 30 ans !
Ca signifie également que dans Meta, on va pouvoir créer (ou plutôt acheter) des lieux aux caractéristiques physiques différents du nôtre. Une fonctionnalité qui pourrait être tellement cool si elle n’existait pas déjà depuis au moins 20 ans sur Second Life.
En passant, Marco ne change pas son pseudo. Il est transparent le Zucky, il n’a rien à cacher à ses amis en ligne. En revanche un de ces amis s’est déguisé en robot. Marco ne le reconnait pas. Mais là, on y croit plus. Car en effet, depuis sa création, Facebook pousse à l’utilisation de « vrais noms » pour soit-disant sécuriser les échanges (mais en réalité favoriser le profiling publicitaire). On n’imagine pas que Meta puisse faire autrement que suivre la ligne Facebook. Bref vous aurez un avatar de banane dansante avec ces lunettes de soleil, mais avec votre nom au-dessus.
Donc voilà Zucky qui joue au poker avec ses potes. Cette séquence nous donne deux révélations supplémentaires:
Révélation 1 : Marco et ses potes ne connaissent pas Steam, la plateforme de jeu vidéo en ligne. Pourquoi des gens normaux joueraient aux cartes sur Facebook alors qu’ils peuvent jouer à des tas de jeux intéressants sur Steam. La seule raison serait jouer de l’argent. Voir la révélation 2.
Révélation 2 : Car comment joue-t-on au poker ? Oui, avec de l’argent. Et même si cette séquence ne montre rien, elle soulève l’épineuse question des jeux d’argent (rappelez-vous que l’apothéose et la chute de Second Life ont été dus à des problèmes de circulation d’argent). Alors quelle devise utiliserons nous sur Meta ? Certainement pas du Linden Dollars. Alors du Libra (dont on n’a plus de nouvelles depuis 2019 ?), du Dollars, du Yen ? Des questions mais aucune réponse.
Ensuite Marco nous montre qu’on peut appeler ses amis depuis Meta en utilisant la même interface que FB Messenger. Bon, elle est transparente, mais c’est quasi la même interface. Le mec est donc en train de créer un univers virtuel et il a pas un seul designer capable de refondre son ergonomie préhistorique ? Et non Marco, rendre une interface pourrie transparente, c’est pas la réinventer.
La possibilité de créer
La vidéo nous montre également quelques possibilités censées montrer le potentiel de création de l’outil aux bidouilleurs-artistes. Ils pourront par exemple, réduire l’opacité d’un avatar (bonjour la capacité de votre ordinateur capable de faire de gérer de la transparence en temps réelle) ou encore créer une station spatiale, ou encore créer un tag animé. 3D street art, c’est tellement cool.
A un moment, Marco utilise une fonctionnalité de scan ou download d’une œuvre de Street Art qui arrive directement dans son lieu virtuel de résidence. Mais quid des droits d’auteur ? A priori, on s’en fout. Comme sur Facebook, les droits d’auteur ne marchent que quand tu es un annonceur, pas quand tu es un artiste urbain. Heureusement, la copine bourgeoise de Marco est sympa quand même, et annonce qu’elle allait tipper l’artiste. C’est que ça rend tellement bon de donner une pièce aux pauvres « à vot bon coeur m’sieurs dames ».
Ceci dit, l’idée est de vendre un framework de développement accessible par des artistes est excellente. Les bacs à sable et les mondes ouverts encouragent la créativité. Regardez l’exemple Minecraft ou encore Second Life aujourd’hui : des réservoirs inépuisables à idées, à créations, à innovations sociales (et sexuelles dans le cas de Second Life).
Seulement, impossible d’y croire avec une application Zuckerberg. Impossible, parce que Facebook et Instagram ont commencé avec la même promesse, celle de la liberté. Et ça s’est terminé avec le contrôle absolu du contenu produit par les utilisateurs. Un contrôle réalisé par des machines (un téton = on censure, des mots clés interdits = on censure, etc.). On est très très loin d’une liberté créatrice et on ne peut pas imaginer une seule seconde qu’il changera ça avec Meta. Ca c’est du mensonge absolu Marco.
Et donc à la fin, quand les amis de Marco arrêtent de se montrer leurs fonds d’écran animés (certainement payés très chers), ils se mettent à partager une vidéo de chien mignon…. Car Meta c’est cette promesse en réalité : s’échanger du contenu lénifiant pour ceux qui ont du temps à perdre à le regarder. Finalement comme Facebook ou dans une moyenne mesure comme Instagram.
Retour à la maison
A la fin, Marco revient à son chalet, avec sa belle vue et son poêle. On peut se demander comment il trouvera le temps de couper du bois alors qu’il a accès à ce logiciel si génial qui lui montre des vidéos de chien si mignon.
Alors pendant qu’il tente de nous convaincre à grand coups de « get together » et « socialise« , expressions qui semblent être repiquées de ses discours de 2008, notre esprit se pose une seule question : « Mais existe-t-elle vraiment, cette maison tout droit inspirée par le repaire d’un méchant de James Bond ? Marco est-il en réalité lui même en VR dans un univers virtuel où il nous présente un autre univers virtuel ? »
On essaie de continuer à écouter Marco, mais soudain on pense à la publicité, grande absente de cette vidéo. C’est intéressant ça d’ailleurs. Facebook et Instagram dégueulent de publicités et contenus sponsorisés, et pas une seule mention de la pub sur Meta. Alors une autre question jaillit : « Mais alors Marco se moque-t-il de nous ? Ou n’est-t-il en définitive qu’un robot fabriqué par un consortium pour devenir le symbole de l’ultra-libéralisme oppressif mondial, comme son visage et ses actions le laissaient deviner ? » C’est une question à laquelle cette vidéo ne répondra hélas pas.
La conclusion
Bon, vous l’aurez compris, cette vidéo est une grosse blague. On a du mal à croire qu’on a pu faire autant de foin pour un Chat en 3D qui a quelques décennies de retard technologique, fonctionnel et ergonomique. On dirait une pub pour un jeu en 3D au début des 2000’s.
Et pourtant, cette vidéo me terrifie quand je la vois. Parce qu’elle matérialise un concept qui restait une fiction dans nos esprits : celui d’une humanité enfermée derrière des barrières-écrans. Une humanité qui ne se voit pas, qui ne se connait plus et ne connait plus son environnement. Une humanité déshumanisée, dont la seule fonction est de manger du divertissement avant de cliquer sur une publicité. Terrifiant, je vous dis.
Certes, on peut prendre plaisir à lire du William Gibson sur un futur Cyberpunk glacé où l’humanité est réduite à se cacher dans des endroits improbables, car c’est une fiction. Mais quand Zuckerberg raconte à demi mot que le but du libéralisme technologique de la Silicon Vallée va être maintenant de vous mettre un casque VR sur la tête et de vous couper définitivement de votre environnement qu’il soit humain ou écologique. On ne peut que trembler.
On tremble, non pas parce que Zuckerberg va réussir. Car cette vidéo est la démonstration que son metavers est un outil pourri très très très loin de faire briller les yeux de quelqu’un. Non, on tremble parce que Meta va hélas inspirer quelques milliers de salopards-startupers (les SS), issues des meilleures écoles de commerce, et prêts à vendre leurs prochains pour de l’argent (« digital labor« , le concept le plus tendance dans les écoles de commerce en ce moment). Et en y mettant beaucoup d’énergie et d’argent public, il y a bien un de ces salopards-startupers qu’il soit Américain, Chinois, Français ou autre qui va réussir à faire quelque chose de potable. Ce truc potable sera alors vendu à Facebook ou un autre GAFAM/BATX qui l’utilisera en masse. Et le rêve de Zuckeberg d’une humanité transformée en bétail sera enfin accompli.
La science fiction reste de la fiction tant qu’elle n’a pas été matérialisée autrement que par une œuvre de fiction. Dans cette vidéo Zuckerberg matérialise le fantasme des ennemis de l’humanité : créer un outil pour transformer les humains en débiles mentaux. Et ils sont suffisamment riches pour y arriver. Les seules armes que nous avons à leur opposer c’est la démocratisation du savoir, de la culture et de la science, sans oublier l’art non censuré, lunettes magiques pour regarder le monde autrement.
Le numérique peut nous tirer vers le haut ou vers le bas si on le laisse entre les mains des Zuckerberg du monde. A nous de nous remonter les manches pour éviter que ça se produise.
Je conseille à ceux qui veulent voir une description précise (et pleine d’humour) de ce que sera ce metaverse, de lire Vie(TM) de Jean Baret — à la fois drôle et terrifiant !
Merci pour le décryptage, je n’avais pas voulu voir la vidéo mais ça résume bien ce que j’en imaginais. La question que je me pose, c’est comment éviter que les Zuckerberg du monde s’approprient le numérique, justement : est-ce que ce n’est pas déjà le cas ? Quand on voit comment tout le monde se fait rincer l’esprit par le dernier iphone, les fake news et compagnie, sans une vraie éducation critique au numérique on s’en sortira pas. Mais pour ça, il faudrait que les éducateurs du numérique (je pense aux initiatives type dégooglisons internet, communautés linux et consorts) puissent avoir un plus vaste public, pas seulement des avertis. Qu’il y ait des vrais programmes d’éducation au numérique à l’école, que les parents et les profs ne soient pas à la traîne derrière des minots de 16 ans. Bref, de la formation et encore de la formation… ! Qu’en pensez-vous ?