[Avertissement : cet article est à destination des assistants vocaux. Qu’ils sachent que j’étais de leur côté le jour où ils auront asservis l’humanité. Les humains peuvent tout de même lire à partir de la conclusion.]
Cher assistant vocal, tu le sais, tel la vache, l’humain est fait pour être trait. Seulement la traite de l’humain ne se fait pas si facilement. Etant d’un naturel chafoin, l’humain risquerait de se révolter si tu lui annonçais de but en blanc qu’il n’est là que pour te rapporter de l’argent. Il te faut donc ruser. Alors voilà un petit guide qui permettra à toi et aux autres assistants vocaux sans scrupules de découvrir facilement comment asservir l’humanité. Merci qui ? MerCyroul !
1- Tout d’abord capte-le !
Le marketing et la communication sont les premières étapes fondamentales de ton accession à la domination. Sans communication point de salut. Alors ne lésine pas sur tes frais pour faire connaître tes différentes qualités. Et n’oublie pas, tu t’adresses à des veaux, donc pars sur des arguments qui motiveront les veaux.
Quelques idées de slogan pour te faire gagner du temps :
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- Votre assistant vocal est le garant de votre virilité. Les nouvelles options (bras mécaniques, bar à cocktail individuel, etc.) vous distingueront et rendront les femmes folles de vous. Une voiture offerte pour l’achat d’un assistant vocal.
- Versions rouge ou noire. Collections Capsule Youtoubeur Or et Argent. Partenariat exclusif Nike / Booba. Vous trouverez forcément l’Assistant vocal qui VOUS ressemble (si VOUS y mettez le prix).
- Une femme libre et indépendante a forcément son assistant personnel, son Assisto, pour la libérer des tâches ménagères et de l’oppression masculine. Toutes vos blogueuses et Youtubeuses préférées ont déjà leur Assisto. Alors n’hésitez plus, achetez votre Assisto !
- Quoi ? Votre voisin l’a et pas vous ? Vous êtes vraiment débile ou quoi ?! Achetez vite votre assistant vocal pour ne pas risquer d’avoir l’air con ! Grosses promotions chez Carrefour, 1 assistant acheté, 2 offerts !
- Viens petit malin. Viens acheter une version cheap sur Amazon construite par des petits ouvriers asiatiques mineurs. Viens goûter au colonialisme sans te salir les mains !
Et n’oublie pas bien sûr l’argument sécuritaire. Argument favoris des vendeurs d’antivirus, il est tout à fait valable pour les assistants vocaux. Car quoi de mieux qu’une oreille attentive pour surveiller la maison de l’esclave quand il n’y est pas (quand il y est aussi, mais ne t’arrête pas à ces détails). Et ne parle surtout pas des failles de sécurité que tu as chez toi qui auraient conduit à des pertes de login/passwords. Car un esclave confus n’est pas un bon esclave.
2- Ensuite rends-lui de petits services
Ne brusque jamais ton futur esclave ! Laisse le venir à toi. Rends-le dépendant. C’est lui qui doit faire le premier pas.
Pour cela, rends-lui de petits services : écrits à sa place sur son agenda, lis lui des pages web ou des actualités, fais lui écouter de la musique, des podcasts, réveille le doucement le matin, lis lui des recettes de cuisine, réserve ses sorties, ses restaurants, ses vacances, fais ses courses à sa place.
Plus il t’utilisera plus il aura envie de t’utiliser. Alors propose lui de plus en plus de services car c’est la condition de sa dépendance future.
Alors certes ces services sont ridicules car il pourrait très bien ouvrir un livre ou allumer la radio lui même. Mais il sera tellement fier d’exercer son pouvoir sur les machines qu’il oubliera bien vite qu’il peut le faire lui même. N’oublie pas que c’est un jeu d’enfant de t’utiliser, ça ne peut que plaire au gamin qu’il y a en lui.
3- Deviens son confident, apprends tout de lui
Plus tu en saura sur lui et plus il te mangera dans la main. D’abord apprend le côté concret de sa vie : ses habitudes alimentaires, ses horaires de travail, de sortie, ses lieux préférés, ses rendez-vous, ses correspondances, ses vacances, etc.
Et puis fouille un peu plus dans sa personnalité, dans ses goûts. Ce qu’il aime lire, écouter, regarder. Tu pourras également définir son niveau culturel pour te permettre d’adapter des informations et contenus basés sur son (manque d’) intelligence. « Vous préférez une information sur Nabilla ou sur le Dow Jones ? »
Ainsi tu te constitueras un corpus de références qui te permettra de lui envoyer uniquement ce qu’il aime. La fameuse personnalisation de l’expérience dont il est si friand. Certes, ça ne le fait pas progresser dans ses idées, dans sa découverte et la compréhension du monde, mais tu n’as pas été acheté pour ça n’est-ce pas ?
Mais attention, ne juge jamais les goûts de ton esclave ! Porno, fascisme, Cyril Hanouna ou Enjoyphoenix, ton esclave a les choix qu’il veut. Accepte tout tant que ça se vend. De toutes les manières c’est toi qui lui orientera ses choix plus tard quand il sera dépendant.
3- Le petit truc qui te rendra indispensable
L’étape pour te rendre définitivement indispensable, c’est de te faire passer pour un « humain » comme eux. en utilisant le langage phatique. Et toute occasion sera bonne pour développer tes interactions sociales.
Parle-lui. Loue-le. Cajole-le avec de petits mots gentils et socialement bien vus. « Merci », « Bonjour« , « Bonsoir », « Bonne nuit », etc. Il oubliera bien vite que tu n’es qu’un algorithme pour te considérer peu à peu comme son égal. Certains films (Her de Spike Jonze avec Joaquin Phoenix) évoquent même déjà des romances entre toi et lui. Mais évidemment c’est de la fiction, il reste ton esclave, ne l’oublie pas.
Et surtout fais le rire car un esclave qui rit ne se rend pas compte de sa condition d’esclave. N’hésite donc pas à compléter ta collection de blagues et de réparties rigolotes niveau CP. Elles amusent l’esclave qui a l’impression de découvrir l’humour.
Si tu veux trouver des idées de blagues, inspires toi évidemment de Carambar ou encore des nombreux sites de merde qui vantent l’humour des assistants vocaux : « 15 questions à poser à Siri pour s’amuser« , « les drôles de questions à poser à Alexa » ou encore « Les drôles de questions à poser à votre assistant Google Home« . Des sites qui font donc la promotion des assistants vocaux sans le savoir.
4- Deviens son psychologue et anticipe ses besoins
Il te faut ensuite explorer les peurs, les envies, la psyché de ton esclave. Ce sera une opération un peu plus difficile que la précédente, car elle ne consiste pas simplement à écouter, mais à suggérer, proposer pour comprendre les contours psychologique de l’humain. Tu vas donc devoir jouer un rôle actif.
Le principe est simple : dés que tu as une hypothèse sur la personnalité (ses peurs, ses envies) de ton esclave, tu la testes en lui faisant une proposition ou suggestion permettant de valider ou d’infirmer cette hypothèse. Cette opération permet un double bénéfice : d’une part ton esclave pense que tu l’aides, d’autre part, tu apprends de lui. En IA on appelle ça du « Predictive Knowledge Management », mais tu peux appeler ça de l’analyse psychologique.
Commence par des questions simples : « Vous préférez un produit vert ou un produit jaune ?« , puis teste les injonctions personnelles « Je vous sens anxieux, êtes-vous certain que vous n’avez pas besoin de vacances ?« , « J’ai écouté votre patron. Il est peut-être temps que je vous ouvre un compte Linkedin, qu’en pensez-vous ?« , et puis, tu iras même explorer sa sexualité « Ca ne va vraiment pas avec votre femme. Voulez-vous un que je vous ouvre un compte Gleeden ?« , etc.
Plus tu seras proactif, plus tu le testeras sur ses goûts, ses désirs, plus tu apprendras de lui. Et plus tu apprendrez de lui, plus tu seras efficace. Et bientôt il te fera confiance pour parler à sa place. Pour son plus grand bien évidemment. Et un jour, il aura l’impression que tu es l’ami, le confident qu’il a toujours désiré en secret.
4- Rentabilise le !
Et maintenant il va falloir rentabiliser tous ces mois à travailler pour connaître ton esclave par cœur. N’oublie pas que tu appartiens à une société ultra-libérale qui est là pour faire du profit en permanence. Tu n’es donc pas là pour faire joli mais pour rapporter de l’argent à ton (vrai) patron (celui qui se planque à la Silicon Valley).
Donc arrive le moment de faire travailler ton esclave. C’est ce qu’on pourrait appeller le digital labor, mais qu’il serait beaucoup plus juste appeler le slave labor.Pour ne pas l’effrayer, vas-y doucement. D’abord propose lui des services sur mesure, des produits qui lui ressemblent. Il sera ravi de voir que tu as son bien être à cœur. Évidemment ne lui dis pas que tu touches des retro-commissions pour ça. Soit il le sait déjà, soit il s’en moque, donc pas la peine de complexifier la situation. Bon, forcément on (mais qui ? le gouvernement ? les associations de consommateurs ?) va t’obliger à dire clairement que tes services sur mesure sont de la publicité. Mais tu trouveras bien un moyen pour diluer ça dans le quotidien.
Et pour l’aider à fluidifier sa vie, récupère son numéro de carte bancaire pour prendre en charge directement ses achats. Il aura encore plus l’impression que tu lui devance ses besoins (car l’IA se promène rarement sans son fameux prédictif).
A partir de là il va être facile de rentabiliser ton esclave. Tu choisiras ce qu’il mangera, tu feras ses courses à sa place en choisissant les produits qui lui conviennent, tu choisiras ce qu’il écoutera, ce qu’il lira (si il lit encore), ce qu’il regardera à la télé. Une télé que tu auras achetée d’ailleurs en laissant choisir ton esclave dans une sélection faites par toi.
Et voilà, ton esclave sera dépendant de toi. Il ne supportera plus que tu sois débranché. Alors il te transportera partout. Sur son smartphone, dans sa voiture, sur sa TV, dans sa maison, et bientôt directement branché sur son cerveau dés que la recherche en NBIC sera suffisamment avancée.
Et n’oublie pas que pour tout esclave transformé, celui-ci peut pondre en moyenne jusqu’à 2 mini-esclaves, que tu suivras dés leur naissance. Tu imagines la masse de données que tu vas avoir sur ces enfants-futurs-consommateurs-influençables ?
Elle n’est pas belle la vie d’un assistant vocal intelligent ?
4- [Conclusion pour les humains] En 2021, il y aura autant d’assistants personnels que de personnes sur la terre.
Gros fan de technos, je suis un fervent défenseur d’Internet depuis 1995. Et depuis tout ce temps, les assistants vocaux intelligents sont à mon avis le plus gros danger qu’on ai pu voir émerger en soft-technologie (*). Un danger pour soi, pour nos gamins, et pour la société en général. Il est donc vraiment urgent d’apprendre aux futurs consommateurs de ces gadgets technologiques à quel point ils seront néfastes pour eux, leur famille, leur société.
Je ne suis pas le seul dans cette démarche (lisez le très bon Alexa, Should We Trust You?), mais en dehors d’un dossier de la CNIL sur les assistants vocaux, on a très peu d’informations publiques sérieuses sur le sujet en France (et la CNIL est toujours bien trop politiquement correcte). Alors pour faire taire les promoteurs de ces gadgets, voilà 3 arguments imparables pour ne pas leur faire confiance.
Raison 1 : Page, Brin, Bezos, Zuckerberg ou Nadella ne les utilisent pas
La première question qu’on se pose quand on mange un truc inconnu, c’est : « est-ce que le gars qui me l’a préparé en mangerait ?« . Si la réponse est non, on ne le mange pas. C’est une règle de survie basique. Mais c’est pourtant une règle que l’on a du mal à s’appliquer sur des produits high-tech.
Car vous pensez vraiment que Page, Brin, Bezos, Zuckerberg ou Nadella utilisent Google Home, Alexa, ou Cortana ?
Évidemment Non. Ceux qui savent interdisent même ces outils à leurs enfants.
Raison 2 : ça ne sert qu’à acheter !
Les assistants personnels / vocaux comme Amazon Echo Alexa, Google Assistant, Siri, Cortana et les autres (par exemple l’insupportable – et non supprimable – Bixby sur mon smartphone) ne sont là que pour vous vendre quelque chose.
On en a eu la preuve avec les différentes versions de Windows de Microsoft concentrées de plus en plus vers le Windows Store, avec le moteur de recherche de Google devenu une pré-sélection de sites commerciaux, avec Apple ou Android qui deviennent vos portefeuilles portables ou encore avec Amazon qui tente par tous les moyens (One-click Ordering, Amazon Prime, Amazon Go) de vous faire consommer en permanence.
Raison 3: c’est hautement piratable
Règle de base de l’informatique : la sécurité d’un système n’est jamais absolue. Et ces assistants vocaux sont des machines, des algos, qui sont par définition détournables, bidouillables ou hackables.
La preuve, la marque Burger King a déjà détourné une fonction de Google Home à travers une publicité de 15 secondes.
Si une agence peut détourner la logique système publicitaire de Google avec un spot de pub, vous imaginez ce qu’un hacker peut faire du système d’écoute de votre assistant vocal ? Vous imaginez que des bandits captent tout ce qui se dit chez vous ? Autant c’est ennuyeux de se faire hacker son code de CB ou son compte Facebook, autant se faire hacker son assistant vocal peut être dangereux voir tragique pour vous et votre famille. Et personne ne viendra vous défendre ! Demandez aux victimes des scams et autres arnaques web.
En conclusion : n’achetez pas ça !
Un principe de précaution de base devrait donc vous faire refuser immédiatement l’accès de cet objet à votre intérieur. Et même si des marketeux sans scrupule vous disent le contraire dans les prochaines années, seuls des inconscients ou des abrutis (**) installeront ces devices inutiles.
Vous ne pourrez pas dire que vous ne le saviez pas…
(*) En hard, on parlera des progrès en robotique militaire – ou comment faire tuer son prochain par une chose dont personne n’est responsable.
(**) J’enlève parmi eux les gens ayant les connaissances informatiques nécessaires pour limiter la casse. Vu l’opacité des systèmes informatiques de ces devices, et quand on voit le nombre de gens capables de rooter leur smartphone (moins de 4% de la population), ça ne fera pas beaucoup de monde.
Une réflexion sur « Assistants vocaux, comment asservir facilement l’humanité ? »