3 trucs pour démystifier l’Intelligence Artificielle

Il est temps de faire un petit post sur l’IA, et réduire l’aura mythique que le terme trimballe avec lui depuis quelques années. Je vois trop de mes clients se précipiter pour signer un gros chèque  à la moindre mention de Deep Learning, Machine Learning ou Predective Knowledge. Je lis trop d’articles bâclés par des  journalistes trop pressés de faire sensation avec l’Intelligence Artificielle (lire aussi Comment reconnaître un article naze sur le numérique ?). Et puis j’avoue que j’en ai eu marre de ce buzz disproportionné autour de Villani et de son rapport qui semble être une sorte de résumé simpliste de tout ce qui se blogue d’intelligent sur l’IA depuis 10 ans. Un moteur de recherche aurait coûté moins cher que Villani pour le même résultat.

Aussi, dans ma grand mansuétude – et pour éviter d’aggraver le déficit public en commandant des rapports à des mathématiciens à gros nœud papillon – je m’en vais vous donner 3 trucs pour ne plus vous laisser avoir par des articles et communiqués de presse à sensation sur l’IA.

Truc 1- savoir qu’il n’y a pas UNE Intelligence Artificielle

Déjà dire « IA », c’est partiellement vrai, donc c’est faux. C’est un peu comme si je disais « Digital » dès que je veux parler d’un phénomène numérique, en mélangeant les sites web, les conversations sur les réseaux sociaux, les changements sociétaux, les applications mobiles, le hacking, et les jeux vidéos… Bon, certes, c’est ce que font la plupart des journalistes et marketeux qui tentent de vous vendre la solution ultime, mais ça n’en reste pas moins faux. Non, tel l’Internet, l’Intelligence Artificielle est un sujet aux facettes multiples. Alors comment s’y retrouver ?

De façon très simple, il suffit de savoir que le domaine de l’Intelligence Artificielle s’est construit historiquement autour de deux courants différents :

  1. l’automatisation pour faire effectuer des tâches répétitives par une machine. L’objectif étant de dégager l’être humain des tâches répétitives et bêtes. Les application allant de la robotique, au traitement automatique du langage (traduction, OCR, …), ou encore la gestion prédictive ou les règles de décision déterministes (des moteurs d’inférence programmés en fonction de vos besoins spécifiques – plus d’infos ici), dont les applications sont les Chatbots ou les assistants virtuels. Bref, bien que assez simple, ce domaine est aujourd’hui le plus développé. On parle aussi d’IA symbolique car elle traite le raisonnement logique.
  2. la statistique pour simuler l’intelligence humaine par une machine. C’est dans ce courant que l’on va retrouver le fameux « Machine Learning », avec ses déclinaisons : apprentissage supervisé (Supervised Learning) ou renforcé (Renforced Learning) et l’apprentissage non supervisé (Unsupervised qui nous mène vers le Deep Learning mais c’est un autre sujet). Tout cela permettant de faire de la reconnaissance d’image, de classer, de faire de la prédiction statistique, des probabilités, et les recommandations qui vont avec. On parle aussi d’IA connexionniste. Un domaine qui explose de part l’augmentation des capacités des machines (avant on savait mais on ne pouvait pas).

Aujourd’hui ces deux champs historiques existent encore et continuent chacun dans son coin. Mais évidemment beaucoup d’algo vont tenter de réunir les 2 aspects (statistiques et déterministes). On parle même d’un nouveau courant (« nouvelle génération ») qui permettrait de comprendre le langage naturel. Enfin, on arrivera à Star Trek.

Le truc : donc la prochaine fois qu’un quidam vous vend de l’IA à travers un article ou un communiqué de presse, posez lui franchement la question : arrêtons la synecdoque IA, votre algo, c’est de l’automatisation ou de la statistique ? Et savourez son air bête.

Truc 2- être certain que l’Intelligence Artificielle est bête comme ses pieds (qu’elle n’a pas)

Sachez le, vos panards sont plus intelligents que la majorité des IA existantes. Voilà 3 exemples (vécus – c’est les meilleurs) vous démontrant que l’être humain à encore du potentiel.

Nooooooooooo !

Exemple 1 : vous voulez diffuser à votre jeune gamin des clips en noir et blanc des années 60 parce que les chanteurs y causaient mieux avant. Vous commencez à embrayer la playlist avec du Brassens, Fernandel, Bourvil, Henri Salvadore. et au bout de 8 morceaux vous décidez de laisser Youtube se débrouiller tout seul. L’erreur ! Au bout de 4 morceaux en autonomie, Google vous aura mis du Chantal Goya. Au bout de 8 morceaux il vous infligera des reprises de comptines mal chantées en vocodeur sur des dessins animés à 4 images par secondes. Le fond du panier en matière d’animation animée et de qualité musicale. On peut donc déduire de cette expérience que l’IA de Youtoube confond des excellents chanteurs français des années 60 avec des vidéos pourries pour enfants des années 2000.

Vous imaginez de laisser Google éduquer vos gamins ? Lui qui ne sait pas faire la différence entre une jolie chanson de Nino Ferrer avec une moche reprise de  Cadet Rousselle au synthé 4 notes et vocodeur (parce que personne ne peut chanter aussi faux). Personnellement, j’appelle ça une intelligence de merde.

Le lien de cette annonce Youtube (ici en screenshot, fatiguez pas votre souris) conduisait sur une webcam coquine. Google, les inventeurs de l’hypocrite SafeSearch.

Exemple 2 : Google a construit sa renommée publicitaire en inventant le RTB (real time bidding), une suite d’algorithme qui permette d’envoyer la bonne pub à la bonne cible, le tout en temps réel. Le rêve pour le pubard efficace, le cauchemar pour Séguéla qui voit tomber le mirage de la segmentation média.

Alors maintenant, j’aimerais donc que Google m’explique pourquoi la playlist pour enfant de l’exemple ci-dessus a été interrompue par une pub pour du parfum puis par une autre pub pour le film de la suite de 50 nuances de gris. Non, je vous vois venir, Google aurait pioché ça dans l’historique du compte. Mais cette tablette  est utilisée avec un compte pseudo-anonyme Google utilisé que par mon gamin de 3 ans. Et je le vois mal se mettre à faire des recherches sur du porno grand public.

Et encore, j’ai eu de la chance, mon gamin a évité la pub cochonne du mois d’avril. Non, définitivement je ne refilerais pas l’éducation de mes enfants à Google.

Exemple 3 : parlons donc de la voiture automatisée (depuis votre lecture du truc 1 vous savez qu’il ne faut plus parler de « voiture intelligente » car elle ne l’est pas).

En réalité il s’agit d’une caméra cachée. Ah ah, on rigole… Jusqu’à ce qu’un jour, ça devienne habituel.

Une bagnole automatisée va ressembler à un cockpit d’avion : des boutons partout qui vont chacun effectuer une tâche simple et précise pour alléger l’humain qui peut maintenant se concentrer sur ses conversations téléphoniques, ses mentions sur son wall facebook et éventuellement sa conduite. Résultat, ça se met à hurler et clignoter au moment même où, concentré pour réussir votre créneau, vous avez détaché votre ceinture de sécurité. Vous insultez alors copieusement l’algorithme qui qui vous hurle dans les oreilles et vous remettez votre ceinture pour faire cesser ce bruit atroce même si ça vous explose l’épaule quand vous vous retournez pour finaliser votre créneau.

On est clairement loin de l’intelligence là. Mon jeune gamin qui a bénéficié de moins d’années de R&D et d’un budget de conception nettement moins élevé que celui de la voiture sait lui qu’il faut la fermer quand je dois me glisser entre 2 camions. Non, là il s’agit d’apprendre au conducteur à obéir à un putain de logiciel, à une putain de machine qui sait mieux que lui. Pavlov agitait sa clochette, la voiture automatisée clignote. Ouaf ouaf ! fait le consommateur. Vous êtes en train de vous faire conditionner, et vous ne vous en rendez pas compte.

Le truc : quand un vendeur ou journaleux vous vantera la puissance mirifique de lntelligence Artificielle, repensez à la qualité quotidienne médiocre de vos résultats de recherche sur Youtube ou Google. Et pensez surtout que si vous les consommez c’est que vous n’avez pas le choix. Vous avez été conditionné à utiliser des moteurs de recherche limités qui sont plus là pour vous vendre quelque chose que pour vous aider à le trouver. En quoi les IA du futur seraient-elles différentes ?

Truc 3- Toujours penser que l’Intelligence Artificielle va asservir l’humanité

Mais, me direz vous, on ne peut nier qu’une IA est meilleur que nous en go, aux échecs, pour mesurer, calculer, reconnaître un visage parmi des milliers, voir même prévoir des phénomènes quantifiables. Certes ! répondrai-je. Mais encore une fois vous mélangez potentiel technologique et usages, pauvres fous.

Vous le savez pourtant : l’être humain est capable d’aller sur la lune, mais est incapable d’empêcher les sacs en plastique de son gaspillage compulsif d’envahir la mer. L’être humain peut vivre dans des mondes virtuels mais il enfouit ses déchets atomiques dans les sous-sols de ses provinces. Car l’être humain choisit ses combats, et choisira ceux de l’Intelligence Artificielle. Conséquence : l’IA ne sauvera pas la planète tant que ceux qui la fabriquent n’en ont rien à foutre. L’IA ne sera pas « bonne » tant que ceux qui la fabriquent ne le seront pas. Et si j’ai bien vu leurs dollars à la Silicon Valley, Shangaï ou Hangzou, je n’ai pas vu leur humanité (ouah, notez ça). Ne soyez donc pas naïfs, l’IA sera là pour enrichir ceux qui vous la vende, pas pour améliorer votre vie !

On va donc se retrouver face à un phénomène assez inquiétant :

  • d’une part des systèmes informatiques qui vont, sous des prétextes divers (qui vont de l’amélioration de la performance à l’amélioration de la cooliness) remplacer une partie des neurones des utilisateurs par des neurones plus « simples ». A quoi sert de développer son sens de l’orientation et toutes les compétences qui vont avec quand vous avez un smartphone qui fait ça pour vous ? Conséquence : la débilitation progressive des utilisateurs (voir l’exemple de la voiture automatisée). 
  • d’autre part une amélioration progressive des systèmes auto-apprenant pour « traire » les utilisateurs. Ben oui, croyez pas que vous allez les avoir gratuitement vos IA. Va falloir les payer d’une façon ou d’une autre. Et les datas seront la façon la moins douloureuse, mais il y en aura d’autre. Conséquence : l’optimisation des algorithmes de traitement (de traite) des utilisateurs.

Vous le voyez venir ? D’un côté une partie de la population rendue de plus en plus idiote par des algorithmes qui seront de plus en plus efficaces pour la rendre idiote. Les grands gagnants étant les exploiteurs, qui évitent d’ailleurs à leurs enfants de jouer avec cette technologie qui rend con. Ils ont bien raison. Nous, en France, on fait des partenariats avec Microsoft.

Hélas, les services à base d’IA se développent et vont devenir de plus en plus utiles, et donc utilisés. La grand’messe (je déteste dire keynote) de Google (le Google I/O 2018) a d’ailleurs été l’occasion d’imaginer à quelle sauce l’humanité allait être mangée. Au programme :

  • Google Smart Reply qui écrit vos mails à votre place car pourquoi s’ennuyer à pondre des réponses personnalisées et sur mesure alors que l’on peut vivre avec 300 mots uniquement ? Le but étant qu’à la fin Google puisse écrire votre mail à votre place, car pourquoi s’ennuyer à pondre des mails soi même alors qu’on peut se les faire écrire.
(c) Numerama
  • Google Assistant (via Duplex) qui va lui même appeler votre coiffeur pour prendre votre rendez-vous. Vous imaginez ? Vous écrivez « donne moi un rendez-vous« , et hop, Google Assistant appelle et gère le rendez-vous sur votre agenda. La fin des tracas. Vous pensez qu’il pourrait aussi appeler le RSI ou l’URSSAF pour moi ?

Mais vous, vous savez (car vous lisez Cyroul.com) que la qualité des résultat du moteur de recherche de Google est passée d’excellente (en 1999) à abominable (en 2010). Aujourd’hui un résultat de recherche basique vous offre du lien sponsorisé qui n’a rien à voir avec votre recherche, des articles de média grand public à fort référencement ou des sites issus de SEO de crapule. Vous savez donc que vous n’irez pas confier vos chevelures ardentes (on est en fin d’article je peux écrire ce que je veux) à des coiffeurs sélectionnés par Google. Non, les critères de sélection de Google ne sont pas les nôtres. Ses objectifs non plus. Moi je veux me faire raser le crâne, lui veut me rendre dépendant, exploiter mes datas, et faire payer des coiffeurs pour être référencés.

Le truc : quand les journalistes, médias, blogueurs faux experts et excités de l’innovation vont publier leur pseudo articles sur Assistant et Duplex, rappelez-leur que
1- Google ne sait plus développer un service sans prendre en compte des objectifs commerciaux. Et que tout ce qui est gratuit chez Google devient payant un jour ou l’autre. Le dernier exemple étant Google Maps.
2- A chaque fois qu’on automatise une fonction de notre cerveau, on perd cette fonction autonome. Alors de quelle fonction s’agit-il cette fois ?

En conclusion l’IA c’est bien, mais quand on sait de quoi on parle

Alors si vous avez eu le courage de lire cet article en entier, vous avez compris que :

  1. L’Intelligence Artificielle est composée d’algorithmes différents qui veulent soit automatiser des tâches, soit reproduire statistiquement des fonctions de l’intelligence humaine.
  2. L’Intelligence Artificielle est très souvent bête car elle est dévouée à une seule tâche sans savoir prendre en compte le contexte dans laquelle elle se trouve. (si on ne l’a pas programmée en conséquence)
  3. L’Intelligence Artificielle va trouver sa place partout car elle joue sur le penchant naturel de l’humain à conserver son énergie (=être fainéant). Elle va donc nous envahir de façon naturelle. Seulement l’IA (comme la majorité des programmes que vous utilisez) ne travaillera pas pour les utilisateurs mais pour ceux qui la vendent. Et la conséquence de son adoption c’est la diminution de nos propres capacités mentales.

Voilà, avec ces 3 certitudes bien ancrées, vous pourrez éventuellement mettre la pâtée à n’importe quel digital evangelist qui vous raconterai n’importe quoi sur le sujet (et ils sont nombreux).

Merci qui ? MerCyroul !

Author: Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

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