Amazon Drones ou l’innocence conne des journalistes

Ce début de semaine  était le jour des drones. Drones partout sur le web, drones à la télé, drones à la radio. Un sujet souvent effleuré sur les blogs ou les médias internet, mais rarement à cette échelle. Pourquoi et comment les journalistes peuvent parler tous du même sujet ?

Amazon / Drones / Jeffe Bezos

Le 1er décembre, Jeff Bezos, PDG d’Amazon, passe 60 minutes sur CBS à parler de la livraison par drone (le petit appareil aérien) qu’Amazon veut ajouter à ses services déjà nombreux.

amazon drone2

La nouvelle est d’importance. Amazon est l’un des plus grands acteurs économiques des Etats-Unis, et les conséquences de cette annonce seront nombreuses, aussi bien en bourse, que pour les marques de livraison, ou même pour le secteur aérien.

Journalistes, souviens-toi de 1997

Jeff Bezos - décembre 1999

Jeff Bezos – décembre 1999

Et surtout Amazon n’en est pas à sa première surprise. Quand Jeff Bezos a lancé Amazon en 1994, personne ne pariait un copec sur sa capacité à durer. Une librairie en ligne ? Le e-commerce ? Un rêve de fous. Seulement, quand Amazon a été introduit en bourse au Nazdak (Nasdaq forcément) en 1997, tous les décideurs un peu malins ont arrêté de lire leur presse old-school pour se mettre à lire Wired, le seul média qui osait parler de ce genre de trucs, Internet, le web, et tout ça.

Alors les journalistes ont vu qu’ils étaient passé à côté de quelque chose et se sont mis à tenter de rattraper leurs retards en publiant article sur article à propos d’Amazon, de son créateur, de l’économie numérique et de toutes ces possibilités économiques. Accroissant ainsi cette pression spéculative que l’on qualifiera ensuite de bulle Internet.

2013, Jeff Bezos is back, le journaliste est là cette fois

Aujourd’hui, voilà Jeff Bezos qui utilise CBS pour faire une heure de pub sur… les drones.

Les journalistes se mettent à publier articles sur articles pour analyser et disséquer la nouvelle.  Et puis, ça tombe bien, ces journalistes ont tout le matos nécessaire :

  • Un nom de code qui en jette : Amazon Prime Air  
  • Des tonnes de datas presque crédibles  (drones opérationnels d’ici 5 ans, des paquets de 2.3 kg max, 86% des livraisons d’Amazon, 16 km d’autonomie, 8 moteurs électriques, etc.). Je dis « presque » crédible, car vu la vitesse d’évolution de ce type de technologies (micro-batteries et micro-moteurs) en ce moment, je ne vois pas comment on peut projeter ce genre de choses (la loi de Moore est dépassée).
  • De magnifiques vidéos de visites des locaux, d’interview intimiste de Jeff dans son quotidien du travail, et surtout celles qui montrent le drone en action. Presque aussi inutiles que celle des drones livreurs de pizza.

Bref, un véritable communiqué de presse envoyé au monde entier et repris en coeur par la plupart des rédactions des grands médias.

amazon drone

Intérêt pour la recherche « Drone » sur Google en international sur les 12 derniers mois. On constate l’explosion début décembre.

Journaliste, Jeff bezos est toujours plus fort que toi

Mais la question qu’il aurait fallu poser à Amazon n’était certainement pas « Pourquoi utiliser des drones ? », mais « Pourquoi Jeff nous donne cette information maintenant ?« .

Et c’est là où l’on constate à quel point nos journalistes « généralistes » se font abuser par la technique, ou la technologie et négligent le fond ; car très peu se sont posés cette question pourtant évidente : mais pourquoi annoncer maintenant un projet qui aura peut-être lieu dans 5 ans ? (et qui d’après la FAA serait même reporté en 2026)

C’est le HubSpot qui osera poser le premier la question (First Victim of Amazon Drones: The Credibility of CBS and 60 Minutes) suivi par Courrier International (Le coup de pub d’Amazon).

AmazonPour Courrier International la réponse est simple : Amazon a mauvaise presse et devait couvrir ses arrières. En effet, une semaine avant, l‘enquête de l’émission Panorama (sur  BBC) a montré des conditions de travail et d’embauche désastreuses chez Amazon (lire aussi dans le Monde diplomatique Amazon, l’envers de l’écran). Pour HubSpot, Amazon serait sous le choc de la publication par le journaliste Brad StoneBusinessweek) de The Everything Store: Jeff Bezos and the Age of Amazon. Un livre dans lequel Bezos est présenté comme un tyran pas sympa du tout. Mauvaise presse, encore. Et puis n’oublions pas que le lendemain de l’intervention de Bezos, il y avait les CyberMonday chez Amazon.

Et devinez quoi ? USA : Les ventes de « Cyber Monday » vers un nouveau record. Merci les journalistes…

Mais comment les journalistes peuvent-ils être aussi cons ?

En résumé, grâce à cette magnifique campagne de RP, Jeff Bezos a redoré son blason et fait des ventes exceptionnelles cette année. Il peut dire un grand merci à tout ces « journalistes » qui se sont empressés de diffuser la nouvelle, pressés d’être les premiers à en parler, et étant persuadés qu’ils tenaient une nouvelle d’importance.

lapincretin

Inexpérience, manque d’humilité face aux sujets digitaux (« je suis un pro d’Internet, j’utilise Facebook tous les jours« ), méconnaissance de l’économie, de l’histoire d’Internet,  … ? Je ne sais pas, mais je constate que les agences de RP et de marketing commencent à être très au point sur la manipulation journalistique.

Car la plupart des journalistes n’ont pas su s’adapter (en dehors de certains médias cités plus haut). Alors peut-être ne devrions nous lire que des blogs indépendants (et pas vendus), les seuls endroits où l’information est véritablement analysée et questionnée, sans servir une marque ou un parti politique ?

Je vous laisse répondre.

(Thx Nathalie A. pour le lien)