Ce mois-ci, NovFut, qui ne fait pas de politique, a décidé d’explorer un sujet dont les politiciens ne parlent jamais : celui de la baisse du nombre d’enfants par famille. Car il baisse, et ce, dans le monde entier. Alors que se passerait-il si la population terrienne diminuait ? Si, pour une raison ou pour une autre, nos moyens de reproduction tels qu’on les connait se déréglaient ou cessaient complètement de fonctionner ? Voilà les réponses de la Science-Fiction, pas vraiment drôles, mais très éclairantes.
Les différentes causes de l’infertilité mondiale
La Science-Fiction des années 40 et 60 pointe du doigt le nucléaire comme la cause évidente des dérèglements de la fertilité dans le monde, que ce soit via l’explosion d’une bombe nucléaire (Greybeard, Brian Aldiss, 1964) ou les radiations de l’explosion d’une centrale au Mississippi (Mr. Adam, Pat Franck, 1946).
Le deuxième grand responsable est la recherche médicale à travers les effets secondaires d’un médicament anti-cancer causant l’infertilité féminine (The Douglas Convolution, Edward Llewellyn, 1979) ou où l’invention d’une “substance” mystérieuse permettant de n’enfanter que des mâles (Le Premier Siècle après Béatrice, Amin Maalouf, 1992). Dans ce dernier roman, les populations du Sud choisissent volontairement de n’avoir que des garçons, aboutissant à une raréfaction des naissances féminines dans le monde entier. Le prolongement jusqu’à l’aboutissement ultime d’une réalité, l’infanticide des filles (pratiqué encore aujourd’hui en Chine, en Inde, au Pakistan, etc.) et la façon dont la science peut servir à renforcer ces déviances “culturelles” (par exemple via le recours massif à l’avortement sélectif).
La guerre peut également utiliser la stérilisation comme une arme de contrôle de la population (une stratégie d’ailleurs toujours utilisée aujourd’hui). Dans The Eyes of Heisenberg (Frank Herbert,1966), les “Optimen” contrôlent la fertilité humaine grâce à des gaz contraceptifs diffusés dans les villes, choisissant quels humains ont le droit de se reproduire et ceux qui seront stériles. Dans le terrible Implosion (D. F. Jones, 1967) le ‘Prolix‘, un stérilisateur chimique, est utilisé massivement comme arme de guerre, déclenchant des effets inattendus.
Les autres grandes causes de dérèglement de la fertilité dans la Science-Fiction viennent soit de la pollution environnementale comme dans Maximum Light (Nancy Kress, 1998) ou The Handmaid’s Tale (Margaret Atwood, 1985), soit de maladies comme dans le film The Last Man on Earth (1924) où la “masculitis” tue tous les mâles de plus de 14 ans.
Et une dernière cause, assez originale : dans R.U.R. (1921), Karel Čapek (l’inventeur du mot “roboti”, mais ça, vous le saviez) suggère un rapport entre le déclin des naissances humaines et l’accroissement du nombre de robots.
Les conséquences sur l’humanité
Le Premier Siècle après Béatrice montre les conséquences terribles d’un monde où les femmes se raréfient : violence, haine et surtout peur constante pour les survivantes, devenues des proies rares et précieuses. Bref, un monde rempli uniquement d’hommes ne semble pas souhaitable.
Scénario inverse dans le comic book Y the last man (Brian K. Vaughan, 2002) où le 17 juillet 2002, tous les mammifères possédant un chromosome Y meurent sur la surface de la terre. Ne restent qu’un garçon et son singe miraculeusement épargnés. Il est intéressant de voir la peinture (plus ou moins politiquement correcte) que fait Brian Vaughan d’un monde rempli uniquement de femmes, légèrement plus civilisé qu’un monde rempli d’hommes.
Même pitch pour le film comique, The Last Man on Earth (1924 – rien à voir avec le classique de Matheson) où Elmer, seul mâle survivant, devient la proie des femmes politiques et des bandit(e)s qui se le disputent. Idem dans le roman Mr. Adam (Pat Franck, 1946), où Adam se retrouvant seul à pouvoir enfanter, se retrouve prisonnier et destiné à de l’insémination artificielle. Ces mondes remplis uniquement de femmes nous sont dépeint de façon plutôt positive quand ils ne sont pas prétexte à comédie. Étrange non ?
Des conséquences beaucoup moins drôles dans la dystopie The Children of Men (P.D. James, 1992), où le nombre de spermatozoïdes étant tombé à zéro, une guerre civile féministe éclate menant peu à peu à l’extinction de l’espèce. Dans cette Angleterre du futur, certains aspects de cette phase de survie sont particulièrement remarquables :
- L’esclavagisme d’immigrés attirés dans le pays pour pallier au vieillissement de la population.
- L’anthropomorphisme réservé aux animaux familiers qui sont habillés et traités comme des enfants. La dernière tendance à Londres étant le baptême des animaux nouveaux-nés. Une effrayante similarité avec une certaine tendance actuelle.
- L’ouverture de “centres pornographiques” et l’utilisation de technologies furtives pour accroitre la libido. On n’y est pas encore.
The Children of Men est aussi un excellent film aux acteurs impeccables et bourré d’idées sorti en 2006. Je conseille.
Dans Greybeard (inspiration de The Children of Men), la population de la terre devient stérile après un “incident” survenu en 1984. En 2029, les plus jeunes humains sont des cinquantenaires survivant dans de petites communautés, où des faux prophètes et charlatans pullulent. Et forcément, dans cet univers, la nature sauvage reprend ses droits. Un effondrement lent et inéluctable qui laisse la planète terre gagner à la fin. A se demander si c’est pas mérité tout ça.
Que faire en cas d’apocalypse d’infertilité ?
Bon, c’est la cata, alors maintenant qu’est ce qu’on fait ?
Dans le très nihiliste Implosion (D.F. Jones, 1967), le Ministre de la Santé crée des camps de concentration pour les femmes fertiles, où elles passeront le reste de leur vie à enfanter. Une solution simple et efficace si l’on considère la vie et la liberté humaine comme négligeable.
On retrouve la même idée dans La servante écarlate (The Handmaid’s Tale, Margaret Atwood, 1985) où les servantes habillées en de rouge écarlate sont « utilisées » rituellement (c’est à dire violées) par leurs riches “propriétaires” pour mettre au monde leurs enfants. Une abominable idée, bien trop réaliste dans ce monde où tout s’achète.
Un principe plus léger avec la série d’anticipation The Lottery (2014) proposant d’organiser une immense loterie pour gagner le droit de porter l’un des 100 embryons congelés. D’après les chercheurs, une population de 100 individus ne peut pas durer dans le temps (la moindre variation environnementale lui est fatal). C’est peut-être pour ça que cette série a été annulée au bout d’une saison.
Mais pourquoi se soucier de la population, quand ce qui intéresse les gens sont les enfants ? Dans Maximum Light (Nancy Kress, 1998), la création d’hybrides humain/animaux permet d’offrir un substitut d’enfant pour les couples stériles. J’en ai profité pour découvrir le Humanzee(appelé aussi Chuman ou Manpanzee), un hybride d’humain et de Chimpanzé pour lequel les spéculations les plus sérieuses vont bon train. Le monde est formidable.
Une dernière idée, la plus compliquée à appliquer, est de retourner dans le temps pour chercher ce qui manque (ici des femmes stériles). C’est la solution proposée dans The Douglas Convolution (Edward Llewellyn, 1979). Mais alors, me direz-vous, pourquoi ne pas profiter du voyage dans le temps pour changer l’infertilité du futur ? Bonne question (ah ces paradoxes temporels – un article là-dessus bientôt dans NovFut).
Une réalité qui dépasse la SF
Ce sujet de l’infertilité est l’un des plus effrayants de la Science-Fiction par son réalisme et sa proximité. Car aujourd’hui, le taux de fertilité (TFR – Total Fertility Rate) qui mesure la moyenne du nombre d’enfants par femme, baisse peu à peu dans le monde. Il n’y a pas de consensus sur ces causes, qui peuvent être médicales et/ou liées à notre environnement de plus en plus hostile (pesticides, produits chimiques, technologies modernes, etc.).
Mais on peut ajouter à cette baisse de la fertilité, la progression du nombre de couples volontairement sans enfants un peu partout dans les pays riches. Ce choix de ne pas avoir d’enfant peut avoir des motivations très altruistes (”quelle idée de faire naître un enfant dans un monde bientôt condamné ?”), très égoïstes (”pourquoi perdre ma jeunesse, mon énergie et mon budget pour un gniard qui ne me les rendra jamais ?”) ou très sociales (“hello, quelqu’un voudrait-il faire un enfant avec moi ?”).
Une tendance qui devrait s’accélérer par le développement de mouvements (Childfree, No Kidding, NON, …) faisant la promotion de ce choix à travers des slogans simplistes et forcément impactant (”Ne plus faire d’enfant pour le climat”, “Le désir caché de la femme: ne pas faire d’enfants”, etc…). Le début de la transformation d’un choix intime (“je veux”) en de la manipulation politique et sociale (“tu dois”).
En conclusion, on pourrait se dire qu’entre ceux qui ne peuvent pas et ceux qui ne veulent pas avoir d’enfant, le nombre d’humain va décliner inéluctablement. Or, sans renouvellement de main d’œuvre, les infrastructures tomberont en désuétude, les systèmes sociaux s’écrouleront (nos fameuses retraites), et les vieux voteront majoritairement pour le fameux programme politique du candidat « c’était mieux avant« . Résultats : soit l’anarchie totale (à la Mad Max), soit l’accession au pouvoir d’un tyran qui forcera les femmes à avoir des enfants (à La Servante écarlate). On est donc foutus…
Mais est-ce vraiment inéluctable ?
75 ans pour changer le monde, ou pas…
En suivant une courbe logique, la population mondiale devrait (hélas) continuer à grossir jusqu’en 2100 (10.9 milliard de d’humains), moment où elle devrait atteindre une sorte de palier. Nous avons donc 75 ans pour changer le monde.
Mais quelle transformation de la société humaine allons-nous privilégier pour lutter contre les effets de cette baisse de population ?
- La solution technologique, grâce aux développements de la recherche en génétique et aux améliorations des technologies de FIV, PMA, GPA. Tout me monde pourra avoir un enfant… Tout le monde, non en fait, seuls ceux qui pourront se le payer. Faut bien que les startups médicales puisse se valoriser en bourse.
- La solution autoritaire imposée via une dictature ou un gouvernement mondial totalitaire, forçant les femmes à avoir des enfants à travers de la propagande permanente ou des rape camps à la Chinoise. Si ça arrive là-bas, ça peut arriver ici.
- Ou la solution économique et sociale, passant par la réinvention d’une société adaptable, fluide, capable de se réduire ou de grossir en fonction du nombre de personnes y vivant. Un système qui sortirait du paradigme de la recherche de « la croissance » pour celle de l’équilibre (pas forcément décroissant). Mais un système qui remettrait forcément en cause la doctrine économique dominante sur la planète.
Ainsi il nous reste 75 ans pour privilégier la ou les solutions que nous préférons. 75 ans pour anticiper et planifier afin de ne pas nous retrouver une fois de plus confronté au principe du TINA (« There is no alternative« , le principe qui contraint les gens à choisir non la meilleure, mais la moins pire des solutions). Il va donc falloir s’y mettre dés aujourd’hui. Allez, on y croit !
Cyroul
Les news de la Science-Fiction d’Octobre 2022
Évènements
- Galaxie France du 8 au 30 octobre 2022 à Reims est une exposition présentant les auteurs et les collections qui ont fait la SF française.
- Et forcément la 23e édition des Utopiales du samedi 29 octobre au mardi 1er novembre 2022 à Nantes avec une programmation démentielle. Et c’est même pas cher.
Sorties littéraires
- La Vie alien, Manuel pour construire un monde extraterrestre de l’astrophysicien Roland Lehoucq, du paléontologue Jean-Sébastien Steyer et de l’écrivain Laurent Genefort. Un guide sur la formation des systèmes stellaires et des exoplanètes aux conditions nécessaires à la vie. Ce me semble une lecture indispensable pour les Maitre de jeux de rôle spatiaux, j’y cours.
- Solaris #224 Spécial 125e anniversaire de la Guerre des Mondes, ça ne se rate pas.
- Le Bifrost #108 nous parlera de feu Octavia Estelle Butler, écrivaine afro-américaine qui a travaillé sur la transformation de l’humanité et a beaucoup critiqué la vision hiérarchique de l’humanité.
- Et la sortie inattendue d’un scénario d’Alien 3 signé William Gibson. Je suis curieux.
A écouter
- Sur France Culture, dans l’émission La science, CQFD rencontre avec Auriane Velten et Olivier Paquet autour de la parution de leurs romans respectifs, After® et Composite.
Et le truc à ne par rater…
…c’est l’explosion de la sonde Dart, qui a dévié (semble-t-il) l’astéroïde Dimorphos de sa trajectoire dans la nuit du lundi 26 septembre. La sonde s’est délibérément écrasée sur l’astéroïde à 23 h 14 à une vitesse de plus de 20 000 km/h pour le faire dévier. Voici les images de ce moment incroyable où … l’humanité commence à détruire son environnement extra-terrestre (pour des raisons scientifiques bien-sûr).
Voilà, NovFut #11 est terminé. Un numéro pas très drôle, mais nécessaire, un peu comme l’anticipation du futur. Je vous promets que le prochain sera plus léger. Et n’oubliez pas que pour rajeunir, il faut lire de la bonne SF pour penser le futur !
2 réflexions sur « Apocalypse grabataire [NovFut#11] »