Ces génies de la science qui nous font peur – NovFut #5

Les œuvres de fiction issues de la pop culture nous permettent d’entrapercevoir des aspirations ou phobies collectives souvent inconscientes. Ainsi la figure du “techno-scientifique” dans la pop culture nous renseigne sur le rapport de notre société avec la science et la technologie.

Il suffit de plonger dans l’histoire des comics de super-héros pour constater l’évolution de l’image du scientifique technologique pouvant, selon les époques, être méchant ou diabolique (Lex Luthor, Sivana, Brainiac, Red Skull, Zola, Hector Hammond, ..), être complètement dépassé par ses expériences scientifiques (Bruce Banner-Hulk, les 4 fantastiques, Norman Osborn-bouffon vert, Dr Octavius-Octopus, …), ambivalent (Will Magnus, Freeze, …) ou voulant faire le bien de l’humanité malgré elle (Ozymandias, Tony Stark époque Civil War, ou encore Lex Luthor président des USA, ..).

L’industrie du comic book s’étant transformée en sur-producteur permanent de contenus à la qualité souvent discutable, il faut maintenant fouiller ailleurs. Et pourquoi pas dans les longs métrages de science-fiction enfantine ?

Toute ressemblance avec des personnes existantes…

Car la science-fiction enfantine est fondamentale, d’une part parce qu’elle construit l’attrait des gamins pour la technologie, mais aussi parce qu’elle est le reflet de la vision et appréhensions des créateurs, et donc de notre société.

Ainsi depuis une dizaine d’année, un nouvel archétype de super méchant apparait de façon récurrente dans les dessins animés de science fiction de qualité. On peut l’appeler techno-vilain, startuper de la mort ou encore super-entrepreneur diabolique de la Silicon Valley, il porte en lui les caractéristiques des dérives du système techno-économique actuel. On peut même dire qu’il s’agit de la synthèse des patrons des entreprises les plus puissantes de notre planète aujourd’hui.

Les prototypes (2000-2010)

Ca a commencé dans les années 2000. Ils n’étaient pas encore clairement des méchants de la Silicon Valley mais ils leur ressemblait. Ils sont inventeurs de génie, sont richissimes, n’ont aucune d’empathie mais possèdent tous un ego surdimensionné. Bref, encore quelques années et ils auraient pu conquérir le monde.

Dans The incredibles (2004 – Pixar/Disney), Buddy Pine est à l’origine un jeune garçon intelligent à l’ego disproportionné (IncrediBoy) qui, suite à sa frustration de ne pouvoir devenir un super héros devient le super méchant Syndrome. Buddy est un génie scientifique et technologique et crée des super gadgets qu’il revend pour développer sa fortune.

Dans Moi moche et méchant (2010 – Universal Pictures), Vector Perkins est lui aussi un jeune inventeur très intelligent, mais contrairement à Buddy, il est un nanti pourri gâté et vantard (sorte de Zuckerberg ?). Voulant devenir un super-méchant et bénéficiant de la fortune et de l’intelligence, Vector y arrivera sans problème en évinçant le sympathique Gru (méchant traditionnel). Mais contrairement à Gru, Vector n’est pas capable d’empathie ou de gentillesse. Seul son objectif l’intéresse. Et les émotions n’en font pas partie de son plan de carrière. Il est “goal focused” comme on dit chez les startuper.

Les vrais entrepreneurs siliconés

C’est à partir de 2013 qu’apparait dans les dessins animés l’archétype de ce que ce la Silicon Valley produit de pire en matière d’humanité : le génie sans empathie qui ne pense qu’à s’enrichir sans soucis de la planète et de ses habitants.

Dans Cloudy with a Chance of Meatballs 2 (2013- Sony Pictures Animation), Chester V est l’idole des inventeurs du monde. Son organisation (LIVE – Evil à l’envers) produit des idées en permanence grâce aux esprits inventifs de ses collaborateurs (qui ne seront pas crédités pour leurs idées). En réalité Chester V est certes un génie, mais c’est également un voleur d’idées des autres, et n’a qu’un véritable objectif : gagner de l’argent. Steve c’est toi ?

Dans Les Mitchell contre les machines (2021- Sony Pictures Animation), Mark Bowman est un entrepreneur technologique qui n’a aucune empathie pour sa création, une IA trop humaine. Il la traite comme un objet déjà inutile car obsolète, rejoignant l’idée d’obsolescence programmée avec celle du matérialisme réductionniste. Mark incarne ainsi la figure de l’informaticien inhumain, animé uniquement par l’idée de profit technologique (et financier), et sa casquette cool n’y change rien. Dans cet excellent dessin-animé, référence évidente à Frankenstein de Shelley, ce n’est pas l’IA la méchante, mais son créateur.

Dans Big Hero 6 (Les Nouveaux Héros, 2014 – Disney) l’entrepreneur Alistair Krei, président de Krei Tech, fait un méchant idéal. “Ancien élève de l’Institut de technologie de San Fransokyo et propriétaire de la plus grande entreprise technologique du monde”, c’est également un homme d’affaire aux pratiques commerciales douteuse. Forcément, Hiro et ses amis (et les spectateurs) vont alors s’imaginer des choses. Quand “homme d’affaire” rime forcément avec “suspect”.

Dans Les Lapins crétins Invasion : Objectif Mars (2021 – Ubisoft), le patron de la firme hi-tech Nebulous Industries, homme médiatique à l’ego surdimensionné, veut utiliser les Lapins crétins pour les faire exploser sur Mars. Cet entrepreneur spatial motivé par l’argent, polit son image d’humaniste new age, devant des médias imbéciles qui ne comprennent rien à la technologie mais aiment les belles histoires. Ca nous rappelle les stratégies de manipulation (pardon de RP) des startups vers les médias qui relaient n’importe quoi : “Mais évidemment qu’on fait ça pour le bien de l’humanité et de la planète…”.

e très moyen dessin animé La Famille Addams 2 : Une virée d’enfer (2021 – MGM) nous présente Cyrus Strange, un scientifique généticien qui repère Wednesday Addams et tente de lui faire croire qu’il est son véritable père. Évidemment, ce savant californien n’a pour objectif en réalité que de créer des armes biologiques pour les vendre à… des gouvernements étrangers (et l’anti-patriotisme, c’est grave !).

La figure du méchant, de Blofeld à Bezuckerberg

Longtemps les méchants scientifiques de la pop culture se sont cantonnés à des variations de la figure d’Ernst Stavro Blofeld (némésis de James Bond) : le génie diabolique, certainement communiste, qui trônait dans une base secrète d’où il fabriquait des inventions prêtes à asservir la civilisation occidentale.

Mais aujourd’hui, le méchant est différent. Pure produit du libéralisme occidental, il ne veut surtout pas détruire un système qu’il domine. Ses motivations sont multiples, mais restent toutes liées à son ego surdimensionné. En revanche, il rejoint Blofeld sur ses moyens financiers et technologiques infinis. Il trône lui aussi dans une base secrète d’où il fabrique des inventions prêtes à asservir la civilisation occidentale ou orientale (surtout ne pas rater le marché chinois). Et il partage également avec Blofeld, son manque total d’empathie pour le genre humain qu’il manipule à volonté.

Imaginez vous réveiller soudain dans un cauchemar où des avatars de Blofeld auraient triomphé et dirigeraient la plupart des médias et gouvernements. Ils s’appelleraient Mark Zuckerberg (Facebook), Jeff Bezos (Amazon), Sudar Pichai (Google) ou Tim Cook (Apple). Et comme Syndrome dans les Indestructibles leurs slogans pourraient être :

I’ll sell my inventions so that everyone can be superheroes. Everyone can be super! And when everyone’s super… no one will be.

Buddy Pine (Syndrome)

Ce cauchemar n’est hélas pas loin d’être réel, et nous apprenons tous les jours à vivre avec. Heureusement qu’il existe ces dessins-animés pour nous rappeler à quel point les pratiques de ces milliardaires techno-egotistes ne sont pas humaines, pas morales et abiment la société.

Ce qui serait encore mieux maintenant, ce serait de trouver le mode d’emploi pour nous débarrasser de ces génies du mal (sans en mettre de pire à leur place. Non Xi Jinping, reste chez toi).


Des nouvelles du futur

Des évènements, de la lecture, du jeu de rôle et la vidéo à voir ce mois-ci.

Des choses à vivre

En avril les évènements se font légion :

Des choses à lire

On croule sous les sorties de livres SF à paraitre en avril. En voilà quelques unes.

  • Bifrost n°106 dossier spécial Kim Stanley Robinson : terraformeur utopiste.
  • Les Quatre Vents du désir de Ursula K. Le Guin, un recueil de vingt nouvelles aux éditions Belial. J’aime bien Ursula Le Guin.
  • Et un inédit en français de Robert Heinlein, Destination Outreterre (Collection Le Rayon imaginaire – Hachette). Un roman de 1959 qui n’avait pas encore été traduit en français. Heinlein étant l’un de mes auteurs préférés, je trépigne.

Et pour ma part, je viens de terminer Le Privé du cosmos, un vieux Philip José Farmer de 1975 et je me suis régalé. Je vous conseille ce roman déambulatoire philosophico-comique où l’humanisme le plus pur émerge de la Science-Fiction la plus trash. Ca se lit vite, et ça ne peut que détendre dans le contexte actuel. Sacré P.J.F. (qui a d’ailleurs écrit ce livre sous son pseudo de Kilgore Trout).

Des choses à jouer

Cette année, ce sont 3 jeux de rôles de science fiction qui ont été finalistes du Graal d’or catégorie internationale (traduction).

  • Le Alien d’Arkhane Asylum Publishing. Pas trop étonnant. J’ai fait jouer la version originale (chez Edge) à mes fidèles joueurs et nous nous sommes en effet régalé (à moins que ce ne soit le xénomorphe qui ne se soit régalé – ah ah ah ).
  • Coriolis, un jeu de rôle de space opéra publié par Aka Games
  • Things from the flood, jeu rétrofuturiste où l’on incarne des ados dans les années 1990, inspiré des magnifiques peintures de Simon Stålenhag.

La chose à voir absolument

Dans le dernier NovFut, je vous parlais de l’auteur de science-fiction russe Dmitry Glukhovsky (Metro 2033) très critique envers la politique de Poutine. Arte nous propose une déambulation nocturne entre Dmitry et la romancière anglo-pakistanaise Kamila Shamsie (« Quand blanchit le monde »). Une conversation passionnante qui les mènera de la liberté des écrivains, à la technologie, jusqu’aux droits de l’homme. Deux auteurs intelligents, à la vision souvent opposée mais qui se retrouvent un système de valeurs universelles. A voir, surtout en ce moment, pour nous redonner foi en l’humanité.

Allez, il est temps de s’arrêter. C’est la fin de NovFut #5. J’espère que cette édition vous a plu. Si oui abonnez-vous et faites la tourner. Si non, dites moi pourquoi. Dans tous les cas, on se retrouve donc le mois prochain, et d’ici là, lisez de la (bonne) SF pour penser le futur !

Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

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