Tu seras Community Manager (en agence), mon fils

Voilà un article écrit par un CM qui a décidé de ne pas dévoiler son nom pour des raisons professionnelles. Il ne s’agit pas du même anonyme que pour l’article sur le digital, paillasson de la publicité ; ici nous explorons le monde formidable des Community Managers en agence de pub. Car ce n’est pas facile d’être blogueur et community manager dans un monde où la marge est reine, et où le respect de ses clients n’existe pas vraiment. Mais je laisse la parole au Community Manager Anonyme qui vous racontera ça mieux que moi. PS: si vous avez des remarques à faire au CM anonyme, faites les en commentaire, ou envoyez les moi et je transmettrai.

Article imaginaire et je l’espère un petit peu drôle, tiré d’une agence imaginaire avec des protagonistes imaginaires,  et avec un procédé honteusement inspiré de Maître Eolas et de son stagiaire, ce qui n’est que pure admiration de ma part.

Dans cette Agence, ils vendent du Community Management à leurs clients

Dans cette Agence, ils vendent du Community Management à leurs clients, parce qu’ils veulent tous une page Facebook et un compte Twitter, ou bien parce qu’un des commerciaux les aura convaincus qu’il fallait y aller avant leur concurrents. Du coup ils  recrutent toujours de nouveaux stagiaires pour animer ces pages, parce que, avouons le, cela ne coûte pas grand-chose, et cela leur permet de marger dessus.

Un lundi, un Account Manager Social Media Consultant Confirmé accueille un nouveau stagiaire, sympa, frais, disponible, souriant, avec un tee-shirt de geek acheté sur Internet. Il doit donc le former et commence  donc à lui expliquer sa mission en tant que Community Manager.  Dans l’agence, son titre c’est Assistant Account Manager Social Media, mais Community Manager reste plus sexy pour l’extérieur. Lui est heureux et enthousiaste d’être devenu CM, métier qui fait bien dans sa bio Twitter s’il en est.

« Aujourd’hui on va ouvrir une page fan sur Facebook pour notre client, et tu vas t’en charger »

« Bon, mon petit, aujourd’hui on va ouvrir une page fan sur Facebook pour notre client, donc tu vas t’en charger. L’image d’avatar et les textes d’intro sont sur le serveur, c’est l’ancien stagiaire qui t’a préparé ça, mais pour la prochaine page que tu gèreras, tu devras le faire toi-même ».

Il part s’exécuter, guilleret, le cœur léger, heureux d’avoir ses premières attributions de Community manager.  Il revient ensuite vers son manager :

« Dis, comment je fais pour avoir des fans maintenant ?

– Ah, mais c’est tout simple ! Il suffit d’inviter tous tes amis !

– Mais en quoi mes amis sont tous intéressés par des pièces détachées de voiture ? Ils n’ont pas le permis pour la plupart…
– Tu te souviens de ton entretien ?
– Euh… Voui…
– Je t’ai demandé si tu étais blogueur tu te souviens ?
– Oui mais c’était pour savoir si je connais bien les médias sociaux !
– Mais non on s’en fout de ça, tout le monde est un expert en médias sociaux aujourd’hui, il suffit de lire les articles de liste qu’on voit tourner sur Twitter tous les jours. La réalité, c’est que comme tu es blogueur, tu as des amis blogueurs, donc tu vas les inviter à devenir fans de la page et comme ils sont influents, des gens de leur réseau, ceux qu’ils influencent tous les jours vont devenir fans.

– Mais je ne vois pas pourquoi ils accepteraient s’ils ne connaissent pas le produit…
– Mais parce que bientôt toi aussi tu vas recevoir des invitations à devenir fan de tout et n’importe quoi sur Facebook, de la part de tes potes blogueurs, tu crois que tu es le seul Community Manager de la place ?
– Mais c’est artificiel comme procédé non ? En quoi ça apporte quelque chose à la marque d’avoir des fans qui s’en foutent du produit ?
– Tu comprends rien toi, ce sont des influenceurs, on va créer le buzz ! »

Quelques semaines plus tard, le département social media de l’agence reçoit un brief

Quelques semaines plus tard, le département social media de l’agence reçoit un brief pour une nouvelle gamme de yaourt. Le client veut des ambassadeurs pour « promouvoir sa marque sur les médias sociaux ». L’Account Manager Social Media Consultant Confirmé décide de confier cette reco à son stagiaire et lui indique la marche à suivre.

« Bon alors une stratégie d’ambassadeurs ce n’est pas compliqué, on va faire une chouette soirée et inviter des blogueurs. Du coup ils vont en parler sur leur blog et on enverra les liens au client.»

Ce sont les aléas de la vie d’agence, mais après la présentation de la reco du stagiaire par les bons soins de l’Account Manager Social Media Consultant Confirmé, le client annonce qu’il n’a pas le budget pour une soirée. Forcément, ils lui ont expliqué qu’il n’aurait personne s’il n’y avait pas un peu d’alcool à boire et des sushis à picorer, pas uniquement du yaourt aux fruits à manger avec du yaourt liquide à picoler.

L’Account Manager Social Media Consultant Confirmé explique donc à son stagiaire la marche à suivre pour quand même prendre le budget.

« On va en faire cadeau aux blogueurs pour qu’ils en parlent »

« Bon ce qu’on va faire, comme ils ont du yaourt à revendre, on va en faire cadeau aux blogueurs pour qu’ils en parlent.
– Ils vont faire un billet pour une boîte de Yaourt ? T’es sûr ?
– Oui, bon tu as raison, on va leur dire qu’on en a plus et qu’ils peuvent en faire cadeau à leurs lecteurs.
– Cadeau aux lecteurs ?
– Ouais en faisant un concours, c’est une vieille ruse de community manager, comme ça il y a plein de commentaires, car les lecteurs de blog adorent les cadeaux, et c’est bien ça, ça fait de la conversation, le client sera content.
– Mais ce n’’est pas un peu du sponso déguisé ?
– Roh, t’es pénible, le sponso on paie les gens pour faire un billet, là on fait un cadeau c’est pas pareil.
– Ah. »

Voyant qu’il n’était pas très à l’aise avec ce procédé, il décide de ne lui confier que la partie de propositions de blogs. Encore une fois, il revient vers lui :

« Dis, j’arrive pas à trouver beaucoup de blogs qui parlent de yaourt…
– Mais pourquoi tu cherches ça ? Non, je veux juste des blogueurs qui font beaucoup d’opérations blogueurs, ce sera facile à mettre en place. T’en a pas dans tes copains blogueurs ?
– Euh, non. Mais, des blogs qui font que des opés blogueurs, ils sont lus par des vrais lecteurs ?
– Oh, on gonfle un peu les stats pour le client, mais sinon bien sûr qu’ils sont lus, tu crois quoi ?
– Qu’il n’y a aucun intérêt à lire un blog qui ne parle que des marques qui prennent soin de lui ?

Les blogueurs, ce sont des influenceurs, c’est pour ça que les marques leurs envoient des cadeaux

– Ecoute, je crois que tu comprends rien au métier, les blogueurs, ce sont des influenceurs, c’est pour ça que les marques leurs envoient des cadeaux. Du coup ils parlent de la marque et tout le monde est gagnant : le lecteur qui est bien conseillé, le blogueur, qui est bien soigné, et la marque es bien promue avec des ambassadeurs et de la conversation. Notre but en tant qu’agence, c’est de nous constituer un pool de blogueurs qui viennent en priorité à nos événements et sont les ambassadeurs de nos clients.
– Mais à terme ça va se voir non ? Qu’on utilise toujours les mêmes vendus, et ni les marques, ni les blogueurs n’en sortiront gagnants… »

L’Account Manager Social Media Consultant Confirmé avait abusé du café ce jour là, plus que d’accoutumée et s’est exclamé :
« Continue de contester comme ça et je n’appuierai pas ton embauche en fin de stage. Et ouais, tu ne seras jamais Account Manager Social Media Junior ici ! »

Mal lui en a pris, le stagiaire n’est jamais revenu et il a du écumer à nouveau tout Twitter pour en trouver un nouveau.

Author: Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

29 thoughts on “Tu seras Community Manager (en agence), mon fils

  1. « Les blogueurs, ce sont des influenceurs, c’est pour ça que les marques leurs envoient des cadeaux »

    Ce qui explique tout! Très bon article rien à dire

  2. Là je comprends mieux comment nos concurrents font pour avoir des clients contents sans trop se casser la tête, le tout est de bien profiter de l’ignorance du client.

  3. Mais pourquoi les annonceurs font-ils appel aux agences (qui font appel aux stagiaires) pour gérer un dialogue qui avant d’être une posture devrait être un état d’esprit, une ambition portée par la direction ?
    Et malheureusement, aujourd’hui je ne crois pas que beaucoup de boîtes aient une vraie vision de cela… lecteurs assidus de CB News ils vont dans le « social communautaire » parce que c’est à la mode alors bosser avec une agence qui utilise un stagiaire pourquoi pas ?

  4. En tant que CM en agence, je ne suis évidemment pas d’accord. Toutes les agences ne font pas ça ! D’autre part, je suis d’accord sur le fait que l’agence doit accompagner ses clients et faire de la pédagogie autour des social media. Mais il ne faut pas oublier que beaucoup trop de clients réfléchissent encore par l’outil et ne sont pas prêts à avoir une vraie démarche de community management. D’où le fait que l’agence soit limitée, et dans ses missions, et par le budget alloué à ce type de missions (le web, c’est gratuit est encore assez répandu comme façon de penser).

  5. moi j’étais une stagiaire mais sans L’Account Manager Social Media Consultant Confirmé et là c’était bien : stagiaire auprès de PERSONNE ;))

  6. Ne pas mettre un stagiaire au poste de CM c’est une chose. Mais savoir vendre des campagnes réfléchies et réalisables ça, c’est autre chose.

  7. Merci à tous pour vos commentaires. Je vois que le sujet fait mouche. Mais comment pourrait-il en être autrement ? C’est grâce aux CM que la plupart des agences de pub/com qui font du digital arrivent à marger aujourd’hui. Il s’agit d’une problématique économique avant tout (comme j’ai pu le lire dans un commentaire). Et devant ça, les chevaliers de la vraie pub conversante, ne peuvent rien faire hélas. Encore merci au CM anonyme pour cet article-témoignage exceptionnel. On en rira dans 5 ans. Mais ça nous rappellera ce grand n’importe quoi que peut être la social-media pub aujourd’hui.

  8. Très sympathique comme article.
    Tous d’abord le premier cliché c’est => Le Stagiaire sert à lavé le linge salle de l’agence. Toutes les tâches récurrentes ou simpliste son pour sa pomme.
    Je trouve sa honteux. Un stagiaire est la pour apprendre des autres et s’insérer tranquillement dans la vie professionnel.
    Combien de fois j’ai entendu: « On a plein de bannière à faire on va prendre un stagiaire ». « Pour la traduction du CMS on facture une semaine au client et on fera bossé un stagiaire 2 semaines dessus » etc…
    Le stagiaire est la solution pour marger sur le client et rentré du bénéfice.

    Deuxième clichés => Le monde des moutons de Panurge 2.0:
    – On va sur Facebook parce que les autres le font
    – On crée une Fan Page car les autres en on une
    – On va sur Twitter parce que les autres y sont
    – On va tendre une carotte au bloggeur pour vendre son super balais lumineux sous forme d’article sponso.
    – On demande à tous ces copains et collègues de rejoindre sa page fan pour avoir des fans et faire plaisir au client.
    – On spam twitter et facebook pour mettre en avant ces produits.

    EN GROS, On fais comme les autres pour au final finir dans une décharge de communication marketing.
    Une poubelle de publicité.
    On parle de télépoubelle ? Bientôt sa sera Webpoubelle !

  9. OMG, mais c’est tellement vrai! Suis en agence et je ne supporte plus cette façon de travailler… le bloggeurs, si influent soit il, n’est pas un linéaire ni un panneau pub!

  10. Après il est de mon avis difficile de se prétendre Senior dans ce métier si jeune… faire preuve d’un peu de recul et surtout d’humilité serait pour l’agence (celle de l’exemple et bien d’autres) bénéfique. Pour beaucoup d’annonceurs celles-ci jouent (et doit jouer) le rôle primordial d’accompagnateur.

  11. Mouais, j’ai souri bien sûr mais il existe aussi un monde où le client n’est pas totalement stupide et où il sait dire non à ce genre de pratiques du début des années 2000. Si, j’vous jure…

  12. Un stagiaire est un stagiaire. Il peut être CM, mécanicien ou commercial : il reste junior et est là d’abord pour apprendre…De mon côté bien sûr j’ai eu des stagiaires en agence mais je ne leur laissait pas tout le boulot à faire en leur donnant des ordres débiles; j’essayais de mettre au point une stratégie avec eux, de leur apprendre quelque chose, mais aussi de les inciter à avoir des idées (et des bonnes tant qu’à faire). Ensuite il est vrai que pour apprendre on passe parfois par des tâches pas toujours très fun, mais qu’il faut faire.
    Faire une sélection de bloggers pour un client et les relancer peut faire partie du boulot du stagiaire mais aussi de celui du consultant confirmé. Quand on embauche un stagiaire on lui fait bien souvent faire les taches un peu longeuttes et c’est aussi normal, puisque c’est une manière d’apprendre…
    Ensuite il faut prendre le temps de prendre ce stagiaire en brief, de lui demander son avis et de l’écouter lorsqu’il a de bonnes idées et ça je pense que c’est assez rare, quel que ce soit le domaine de l’agence…
    Le problème que pose dans ton article ce n’est pas tellement le soucis du stagiaire mais plutôt de la stratégie social media de cette agence qui à l’air assez nulle et qui n’apprend rien à ce jeune stagiaire. Pour être CM il ne suffit pas d’être blogger et de twitter, encore faut il avoir quelque notions de stratégie communication et de gestion de projet. Bon courage au jeune type qui écrit l’article…

  13. Soyons honnête, bien qu’on aimerait tous vivre dans un monde de bisounours, c’est ce qui arrive dans beaucoup d’agence et start up. Cependant, c’est le role de bon CM (ah… ce mot que je déteste tant!) et resp comm de ne pas étendre ce genre de pensées et procédés dans leurs agences et surtout « d’éduquer » ses clients. Oui, je sais, c’est une autre paire de manches ;-)

  14. Le jour où les agences comprendront que la communication de leurs clients ne doit pas être gérée par un stagiaire (sans supervision) surtout sur les réseaux sociaux, on aura bien avancé… Et le jour où elles arrêteront de prendre leurs clients pour des imbéciles…

  15. Arg. Ca me fait mal au coeur d’entendre ça. Et j’en voudrais pas plus à l’agence qu’à l’annonceur qui achète tout ce dont on lui parle qui porte la mention « 2.0 » à la fin. Bullshit 2.0, surtout.

  16. Ce billet est bourré de cliché mais en même temps tellement criant de vérité. Heureusement, il y a des agences qui font ça très bien. Mais je ne comprends pas pourquoi dans la plupart des cas, le CM est malheureusement stagiaire. C’est quelque chose qu’il ne faut à mon sens pas prendre à la légère.

  17. C’est bien pour ça que le CM doit se faire en interne ; encore faut-il que ce ne soit pas à nouveau un stagiaire parce qu’il parle « le clavier & a des amis ».
    L’agence quant à elle doit coacher les CM qui se mettent en place chez l’annonceur.
    Sinon j’adore le billet !

  18. Heureusement, on ne rencontre pas cette attitude dans toutes les agences.
    Juste une preuve supplémentaire s’il en était besoin du fait qu’un Community Manager ne devrait pas être stagiaire, car il risque (entre autres) de ne pas être pris au sérieux… quelqu’un avec un réel pouvoir de conseil pour son entreprise / agence pourrait se révéler bien plus bénéfique à tous.

  19. On se demande ici quel est le plus stagiaire des deux. Bien que ce soit une généralité en agence, il ne faut bien sur pas généraliser. Pourtant ton article amène à s’interroger sur deux points qui me semblent importants:
    – Pourquoi confier la stratégie Social Media en externe ? Est-ce toujours utile ?
    – Pourquoi dédier cette tâche à des profils juniors ?

  20. Jolie description. Et encore, j’ajouterai qu’ici, le stagiaire a eu de la chance, il est tombé dans une agence où il y avait déjà un Community Manager (pas performant visiblement, mais bon, avec des bases quand même) pour le former et l’encadrer.
    Combien d’agences aujourd’hui vont prendre des stagiaires CM parce que cela leur évite d’en embaucher un, alors même qu’ils n’ont personne en interne qui exerce déjà ce métier ? (et rien à foutre que ce soit pas légal, c’est moins cher on vous dit).

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