Petit précis des campagnes de promotion de films sur internet

Il m’arrive de temps à autre de répondre à des questionnaires pour des étudiants qui ont besoin d’avis dans le cadre de leur mémoire de Master. Cette fois, il s’agissait d’un mémoire portant sur les nouvelles stratégies de marketing pour la promotion de films sur internet. La problématique de Magali : dans quelle mesure les nouvelles stratégies de marketing appliquées à la promotion des films sur internet transforment-elles l’expérience de cinéma ?

Ahh, le marketing digital du cinéma, un sujet passionnant pour les marketeux qui aiment le 7eme art, et qui en ont marre de ne voir que des campagnes ratées sur Internet. J’ai donc décidé de reprendre cette interview qui donne mon avis sur ce type de marketing particulier, la plupart du temps réalisé de façon malhabile pour ne pas dire désastreuse.

Vous me trouverez peut-être un peu dur (voir méchant), mais connaissant de mieux en mieux ce secteur je pense qu’il est plus que temps de jeter un pavé dans cette mare de conformisme publicitairo-artisitique (le pire des mélanges bourbeux en pub). Vous en jugerez par vous-même…

Selon vous, quelles sont les étapes/règles essentielles que doit respecter une campagne de marketing viral pour la promotion de films ?

Tout d’abord se débarrasser de cette notion de « viral » qui n’existe pas dans le marketing sérieux. Le « viral » est une conséquence et certainement pas un moyen d’action prévisible. Donc oublions le viral pour nous concentrer sur de véritables moyens stratégiques de communication un film. Et pour le reste de mes réponses, je ferai comme si « viral » n’était pas écrit.

Voilà donc les étapes pour faire une campagne sérieuse de promotion d’un film :

  1. Se poser les bonnes questions :
    1. Quels objectifs attendons-nous de cette opération sur le digital ? (à priori « faire venir les gens en salle », mais ça peut être plus complexe)
    2. Quels sont les moyens dont nous disposons (budget, rh, acteurs, équipe, etc.) ?
    3. Quelles sont les cibles visées ? (vers qui allons-nous communiquer ?)
  2. Déterminer la stratégie marketing optimale qui dépendra de vos moyens, des supports auxquels vous avez accès et évidement de la propagation dont vous pouvez bénéficier (média acheté ou autre).
  3. Faire un beau dispositif et un calendrier de lancement
  4. Lancer l’opération

NB : habituellement, la plupart des agences vendant du marketing ciné commencent par l’étape 4. Certaines tentent le doublé 3 + 4. Mais la plupart du temps, elles copient-collent des recos qui fonctionnent et qui font plaisir à l’annonceur qui n’y comprend rien (lire Les 5 règles pour éviter le mauvais marketing digital cinéma).

Selon vous, quelles sont les limites d’une campagne virale au cinéma ?

Je ne comprends pas cette question. Limites ? De quoi ? Si l’on parle de « limites » marketing, alors il n’y en a pas.

Une campagne peut utiliser du marketing digital, du street marketing, stunt, ou même du bon vieux marketing média, et tout ça en même temps. Elle en sera d’autant plus intéressante, et à mon avis efficace si elle multiplie ses ressorts marketing. Media + ARG, par exemple, est une équation rêvée. On sait qu’on touchera le grand public avec du média, et les passionnés avec un ARG. Que demander de plus ?

Selon vous, quelles campagnes de marketing viral ont été les plus réussies au cinéma (en terme d’originalité, d’efficacité auprès du public) ? Pourquoi ?

1/ Tron Legacy (ex Tr2n) nous offre une campagne de communication exemplaire

Commencée il y a plus de 2 ans avec un trailer tout pourri, cette campagne a fait filtrer des informations au compte-goutte. Ces informations ont permis au grand public (via de vrais beaux trailers) d’entendre parler du film bien avant le lancement officiel. Cette répétition du message publicitaire (bien connue en publicité) permet à un spectateur lambda (qui ne connait pas forcément l’original) d’entendre parler du film et d’imaginer le connaître.

Mais le film Tron bénéficiant d’une communauté de fans déjà existante, il a bien fallu les contenter. Ainsi, plusieurs campagnes ARG ont vues le jour (lire Un ARG pour Tron Legacy et Tron Legacy ARG, Trailer et Tron girl), mais aussi des micro-évènements (soirées au ComicCon, goodies, etc.).

Seule ombre au tableau : après avoir aussi bien réussi à parler du film aux fans, celui-ci a intérêt à tenir ses promesse. Je ne donne pas cher de sa peau dans le cas où il serait raté. C’est dangereux de jouer avec les passions des gens, ils peuvent vous en vouloir à posteriori. Et l’e-reputation n’est pas qu’un concept marketing, ça existe réellement.

2/ L’irremplaçable campagne des Expendables

Basée non pas sur du marketing tactique mais plutôt sur de l’achat média intelligent (oui, ça existe), on peut remarquer la géniale campagne « Expendables » sur Youtube. On y voit Stallone qui défonce l’interface Youtube à coup de lance-roquette.

Bon, la vidéo est floue (donc les pros voient tout de suite qu’on est pas sur Youtube, le concept n’est pas nouveau (Nintendo en 2008 où Wario démolissait aussi Youtube), et c’est mal joué (on a l’impression qu’ils jouent aux cow-boys), mais… Mais c’est exactement ce que veut raconter le film : vivre un moment de proximité avec des stars qui ne se prennent pas au sérieux et jouent à se flinguer.

Résultat : le support a été propagé des millions de fois par les blogueurs et les fans, ce qui constitue une réussite pour ce genre de campagne.

3/ Zombietelling pour Zombieland

Je ne peux m’empêcher de revenir sur la superbe campagne de Zombieland, où Columbus et Tallahassee se fendent de leurs conseils de survie en territoire zombie, des vidéos hilarantes véritables prolongements du film sur Internet.

[youtube width= »500″ height= »335″]http://www.youtube.com/watch?v=H4TFDWw3Nfo[/youtube]

On peut alors se poser la question : où sont les limites de l’histoire entre le cinéma et Internet ? Personnellement, je pense qu’il n’y en a pas. Il s’agit de 2 supports d’expression complémentaire. Mais je vous laisse en débattre plus bas dans les commentaires.

Que vous évoquent les campagnes de Blair Witch Project, Batman The Dark Knight et 2012?

Blair Witch était une campagne intéressante qui distillait l’atmosphère du film auprès des fans pour aller vers le grand public. Je me souviens du « buzz » que la campagne a lancé. Je me souviens également de ma déception en salle. Un concept ne fait pas un film et j’ai eu l’impression de m’être fait avoir. Résultat : je ne suis allé voir ni BlairWitch 2, ni Paranormal Activity (qui nous a sorti le même buzz). Serait-ce moment où les producteurs vont se rendre compte qu’on ne prends les gens pour des cons qu’une seule fois  ?

Dark Knight était une campagne génialement créative. A la manière de Tron Legacy, elle multipliait les révélations grand public et les actions ciblées sur les fans. Mais elle a presque confondue immersion et indigestion, en gavant les fans d’opérations de promotion. A quoi ça sert de multiplier les annonces, les moyens de promotion alternatifs pour un film que, de toutes façons, tous les fans vont aller voir ? Oui, ça va créer des RP grand public, mais vous avez alors intérêt à avoir un excellent film. Heureusement, le Christopher Nolan était une pure merveille, sinon…

Quant à 2012, je n’en sais rien. Je suppose qu’ils ont du faire beaucoup de média, mais je n’étais pas visé (ou alors très occupé). Il parlait de quoi déjà ce film ?

Selon vous, les campagnes de marketing viral changent-elles le schéma narratif d’un film ?

Hélas non (ou alors pas assez). La plupart du temps, on appelle les agences une fois le film terminé, des fois même un an après la fin du film (les acteurs ne savent même plus ce qu’ils jouaient un an avant). Quelles vont être les possibilités d’action dans ce cas ? Jouer avec le trailer et les quelques photos inédites que l’on va pouvoir récupérer. Ca fait peu.

Mais heureusement les choses changent. On commence même à demander à Curiouser de travailler avant le début du tournage. Certes, nous n’allons pas influer sur celui-ci (pas encore, mais on y travaille), mais nous pouvons maintenant imaginer des campagnes avec les acteurs qui sont toujours investis dans leur rôle. Et là ça change tout. Le film devient digital et le digital devient un prolongement du film.

Selon vous, les campagnes de marketing viral changent-elles le rôle/la position du spectateur (en termes de participation, d’implication) ?

Elles devraient toujours le faire. Seulement, ce n’est pas le cas aujourd’hui. En quoi une pauvre vidéo trailer va devenir participative ? En quoi un skyblog moche va devenir impliquant ?

Regardons le marché du marketing digital cinéma. Celui-ci est préempté par des vieilles agences de pub, habituées aux medias traditionnels (affichage, print, radio), qui ont déjà eu du mal à passer à des notions de SEO et de sites web communautaires. Mais ça y est, depuis 2005, ces agences proposent toutes la même chose : un skyblog (ou myspace) + une campagne bannière + une vidéo sur Youtube. Aujourd’hui, ils vendent tous la fanpage et le compte Twitter. Et hop, la campagne est « virale » et achetée sans problème par des producteurs qui n’y connaissent rien. Résultat : rien. En tout cas, certainement pas du participatif, ou de l’impliquant pour les futurs spectateurs.

Le marketing cinéma du futur n’est certainement pas là-dedans. Il est plutôt dans l’immersion du spectateur dans l’histoire, les images, les mots. Mais quel producteur est aujourd’hui suffisamment novateur et visionnaire pour penser comme ça ? Nous sommes en 2010 et la plupart des producteurs (US – ne parlons pas de la France) pensent que l’immersion passe par la 3D. En quoi la 3D va rajouter de l’interactivité ou des compléments d’histoire au film ?

Pensez-vous que “l’expérience de cinéma” est changée par ces stratégies de promotion ?

Pour les anciennes méthodes de promotion, certainement pas. Mais pour les distributeurs et les producteurs qui osent, là oui. Ceux là vont faire bouger les choses en proposant des expériences impliquantes aux futurs spectateurs. Les ARG en sont un bon exemple, mais ça passe aussi par des morceaux de l’histoire en exclusivité sur Internet,  ou encore la co-scénarisation ou même la co-production avec les internautes. Il y a tellement de façons d’immerger le spectateur dans l’histoire en profitant des opportunités du digital.

Toutes ces nouveautés changent complétement le rapport passif qu’entretenait le spectateur avec le ciné auparavant pour le rendre interactif. Et c’est vers cette interactivité qu’il faut aller (pour les films qui y valent la peine, les autres se contenteront d’une fanpage Facebook et d’un site en flash). Chez Curiouser on appelle cette interactivité du Storyplaying.

Selon vous, quelle est la principale différence entre l’industrie du cinéma d’aujourd’hui et celle d’hier (plus ou moins soixante ans auparavant) ?

Les gens du cinéma sont toujours aussi passionnés mais  j’imagine qu’ils étaient aussi moins cynique il y a 60 ans. Le cinéma est hélas devenu une affaire de (gros) sous. Et la passion ne suffit plus forcément pour réussir un film. Je travaille beaucoup avec des distributeurs indépendants qui jouent les David vs Goliath. Mais quel plaisir de travailler avec eux, au contraire des gros distributeurs (où je retrouve les réflexes des annonceurs traditionnels : de-responsabilisation et manque de vision).

Mais n’oublions pas que de gros groupes (Pathé, UGC) trustent la plupart des salles françaises et qu’il va être difficile pour un indépendant de réussir à faire voir son film, même si il est très réussi. L’alternative pour ces passionnés est maintenant la diffusion digitale. Celle-ci sauvera peut-être le cinéma des passionnés, le cinéma qui ne rentre pas dans une case déjà préconstruite.

Et l’autre alternative pour raconter des histoires sera Internet, outil de diffusion massive. Peut-être que dans 10 ans, nous verrons des cycles de vie inversés de films : diffusion sur Internet puis diffusion en salle, au contraire d’aujourd’hui.

Comment imaginez-vous le futur des campagnes de marketing viral pour les films ?

Le futur passe par du véritable participatif et immersif, c-a-d une expérience totale dans l’univers du film. Et pourquoi pas, la possibilité de rentrer dedans. Là est la vraie immersion (et certainement pas la 3D !).

C’est vrai ça, pourquoi seuls les gens de cinéma auraient le droit de participer à un film ? Moi aussi j’ai envie d’avoir ma tête, l’un de mes décors, l’un de mes textes ou l’une de mes idées dans un film. Besson n’a pas le monopole de la création scénaristique. Et ayant une foi absolue dans le principe des folksonomies, je suis persuadé qu’un film imaginé par des internautes pourrait faire une œuvre fabuleuse. Mais si ça se trouve, c’est pas le jeu vidéo que ces oeuvres multi-auteurs se créeront.

Mais ça , ça sera l’évolution 2012 du cinéma. En attendant, essayons déjà d’éviter de faire du marketing copier-coller.

Voilà l’itw est (enfin) terminée. Je vous propose de lire également Les 5 points clés d’un jeu viral cinéma réussi d’un blog assez récent qui veut suivre le marketing cinéma. Longue vie à lui et bravo pour la démarche.

Author: Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

10 thoughts on “Petit précis des campagnes de promotion de films sur internet

  1. @Cyroul. Bonjour! Je fais aussi mon mémoire, quelques années plus tard mais le sujet est toujours voir plus qu’actuel. Je voulais savoir ce que vous aviez pensé du dispositif pour la sortie de Casse Tête Chinois (http://www.cassetetechinois-lefilm.fr/intro) ou encore What Ze Teuf, le film qui se construit a partir de scenarios proposés par des twittos… Ils me semble que çà correspond plus ou moins à ce que vous esperiez du marketing cinéma. Ca m’embête de vous demander une interview donc je pourrais me contenter de vos réponses ici :D

    1. @Camille,
      Merci pour les 2 références que je ne connaissait pas. En revanche je n’aurai pas trop le temps d’étudier ce dispositif en ce moment. Ce sera donc pour une autre opé.
      Bon courage pour le mémoire.

  2. @Sophie
    Cela dépend du film, de la stratégie digitale mise en place autour du film, de l’agence qui réalise et de l’annonceur qui achète.
    Il n’y a pas d’habitudes dans ce domaine, tout reste à créer.

  3. Bonjour, votre article est très intéressant.
    Je me demandais, savez-vous ce que deviennent les sites internet dédiés au lancement d’un film ? Sont-ils mis à jour ? Y a t-il toujours du trafic après la sortie du film ? Ou Comment sont-ils gérés? .
    Merci

  4. @Guillaume Tout à fait. Le jeux vidéo évolue vers le cinéma, il est donc naturel qu’il s’intéresse à ce genre de stratégies marketing.

    D’ailleurs, pour confirmer mes propos sur le rapprochement cinéma/jeux vidéos, regardez la campagne du jeu « Mafia 2 », qui a de très mauvaises notes dans les mag sérieux, et qui bénéficie d’une immense campagne 4/3 dans le métro.
    Quand on a pas un bon produit, on fait beaucoup de pub -> comme le cinéma je vous dit.

  5. Super article, très intéressant. Ca donne plein de pistes et d’idées qui peuvent s’appliquer aussi au jeu vidéo. Je considère que ces deux média sont très proches dès lors qu’il s’agit des problématiques de promotion. Pour moi le vrai défi c’est vraiment l’interaction avec le public, qui présuppose aussi que les équipes production/promotion ne se regardent pas trop en chien de faïence, ce qui est hélas souvent le cas…

  6. @cosla,

    Loin de l’aspect jalousie (drôle d’idée, chacun son métier), je retrouve là la vieille question sur la valeur ajoutée des folksonomies : « est-ce que la co-création (le co-savoir) à plusieurs est meilleure que la création solitaire ».

    On pourrait certes appeler la Wikipédia, « mollesse du consensus », mais en attendant, la « force de l’individualité » de Microsoft Encarta et de l’Encyclopédia Britannica est encore en train de pleurer.

    Il faut comprendre que nous sommes en train d’évoluer, de vivre de nouvelles façons de consommer, d’apprendre, de jouer, de vivre.

    Faire du cinéma avec des gens passionnés et investis ne sera peut-être pas pire que de faire du cinéma avec des producteurs qui ne sont là que pour gagner du pognon et placer leurs maîtresse du moment (vous le dites vous même).

    Nous ne le saurons que si nous le testons. Il y aura ceux qui se jetterons à l’eau, ceux qui attendrons que les premiers se plantent pour y aller et réussir, et ceux qui continueront à dire que c’est impossible…

  7. « C’est vrai ça, pourquoi seuls les gens de cinéma auraient le droit de participer à un film ? Moi aussi j’ai envie d’avoir ma tête, l’un de mes décors, l’un de mes textes ou l’une de mes idées dans un film. Besson n’a pas le monopole de la création scénaristique. »

    Quelle étrange jalousie! Vous semblez sous-entendre qu’un film devrait -être une sorte de démocratie où chacun irait de sa petite idée ? Je ne suis pas communicant ou spécialiste d’internet et de l’interactivité, mais il apparaît quand même qu’en tant que spectateur nous louions la cohérence et la singularité d’une vision. Vous parlez de Nolan, nous pourrions évoquer Kubrick, Ridley Scott lorsqu’il est en forme, voilà des types qui tiennent un film, le dirigent. Voyez ce que donnent les films où un cercle de producteurs effectuent des coupes et imposent leurs maîtresses du moment ! En tant que cinéphile je ne suis pas encore prêt à sacrifier la force de l’individualité (entendu qu’un réalisateur oriente plusieurs corps de métiers) à la mollesse du consensus. Laissons cela aux bâtisseurs d’empires.

  8. Ravie de voir que le sujet de mon mémoire passionne d’autres que moi ! Bonne continuation Cyril et au plaisir de te rencontrer dans les couloirs du CELSA, l’année prochaine peut être ?

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