Un article sérieux destiné aux entreprises, aux marques qui veulent s’implanter sur Internet. Car ce n’est en effet pas si facile de s’implanter sur le digital (certains disent « se digitaliser »). L’entreprise va souvent se confronter à 3 comportements négatifs qui interviendront à ce moment crucial de son développement :
- Le manque d’enthousiasme ou l’effet « où qu’il est mon ROI ?«
- Le trop plein d’enthousiasme ou l’effet beuze : « Ouais, Pinterest c’est trop cool !«
- Et enfin l‘effet Panurge : « je l’ai lu dans Tartes&gît donc il me faut absolument un Community Manager sur mon Twitter« .
Voilà 3 scénarios hautement caricaturaux qui reprennent ces différents dangers d’implantation d’une marque sur le digital. Il est évident que toute ressemblance avec des situations existantes dans vos entreprises ne peut être l’effet que d’une pure coïncidence…
1- L’effet « Où qu’il est mon ROI ?«
Kodak 1997. Nous sommes maintenant le leader incontesté sur le marché des appareils photos. Alors qu’est ce qu’on pourrait vendre maintenant ? Ah tiens, voilà Léon qui revient avec son idée d’APN. « Non Léon, ce n’est pas très intéressant. Ca coute cher à développer et les gens n’ont pas d’ordinateurs. Internet ? Quoi Internet ? Ca sert à rien Internet. Peut-être qu’un jour on vendra nos argentiques dessus, mais en attendant ça sert à rien. Par contre, ce prototype d’imprimantes photo personnel, il est pas mal du tout. On pourrait diversifier notre activité et vendre du papier. Allez soyez un chou Léon et concentrez vos efforts sur l’impression photo !« . Vos 30 ans de boite vous ont fait comprendre que ce que les consommateurs aimaient c’était de s’échanger des photos sur du bon vieux papier. Le numérique ne sert à rien, et puis on ne gagne pas d’argent dessus.
Kodak 2007. Ah ah ! Vous vous félicitez, car vous aviez bien raison de partir sur le marché des imprimantes, du papier spécial et des cartouches à renouveler tous les 15 jours car c’est aujourd’hui le centre de profit le plus important de Kodak. Alors certes, Léon a finalement sortit son appareil photo numérique, mais bon les gens n’en achètent pas beaucoup. La concurrence il paraît. Et comme les gens n’achètent plus non plus d’argentique, on peut dire que quelque part, c’est grâce à vous si la marque existe encore, grâce à vos papiers photo.
Kodak 2012. Dépôt de bilan… Bah vous aurez pourtant tout fait pour sauver la marque, jusqu’à commander un nouveau logo et acheter un gros logiciel de E-CRM qui faisait aussi du S-CRM avant l’heure. Bon, bizarrement ça n’a pas suffit. C’est pas grave, on vous propose un travail très bien payé dans de la grande distribution, ça devrait bien se passer pour vous…
On peut tirer plusieurs conclusions de l’exemple bien triste du dépôt de bilan de Kodak :
1- Imposer un ROI à sa R&D, ne permet pas d’avoir une vision de l’avenir
La plupart des gros groupes, entre la peur de la crise et la pression des actionnaires vont souvent choisir de supprimer la R&D qui ne rapporte rien. La seule possibilité offerte alors à la R&D c’est la rentabilité. Alors on va privilégier des projets court-termistes que l’on peut rapidement mettre en application pour rapporter de l’argent.
Évidemment, on oublie ce faisant tous les nouveaux business modèles que la marque pourrait créer, toutes les adaptations indispensables à faire pour comprendre l’utilisateur. Et toute l’évangélisation indispensable pour faire comprendre peu à peu aux dirigeants, aux salariés les évolutions comportementales des consommateurs.
2- Privilégier la rentabilité immédiate fait perdre la confiance de ses clients
Prendre ses clients pour des imbéciles de consommateurs ne paie pas sur la durée. Car les consommateurs ne sont pas idiots, et perdent confiance en la marque (voir la pyramide de Millward Brown sur Kodak). Ce marketing immédiat gaspille alors peu à peu tout le travail d’attachement créé par la communication.
Le plus bel exemple français de cette perte de confiance pour une marque est, je pense, le résultat du lancement de Free Mobile. Pourquoi Orange a-t-il perdu 1 million de client en 1,5 mois ? Non, ce n’est pas forcément parce que les produits de Free sont meilleurs (même si ils sont moins chers). Par contre, si vous analysez le discours de lancement de free mobile par Xavier Niel, vous verrez que ce petit malin ne nous a pas vendu du rêve, il nous a vendu la possibilité de se venger des 3 opérateurs historiques chez qui nous étions prisonniers depuis 15 ans. Niel a en effet construit son discours sur cette défiance (voir dans certains cas, colère) pour Orange, SFR et Bouygues. Et ça a très bien marché.
De mon côté, abonné chez un petit fournisseur d’accès après mes déconvenues avec Orange (lire Orange nous prend pour des pommes de terre et 400 millions d’€ de pub pour insulter ses clients), je n’ai pas été séduit par le discours de Niel. Je connais bien Free, et je connais leurs promesses non tenues aussi (et puis je passe ma colère en écrivant des articles de blogs ;).
Néanmoins, « l’anti-trust » marketing, un marketing qui se construit sur la perte de confiance pour des marques concurrentes, est aujourd’hui une réalité dans ce monde qui se veut toujours plus social, et où la recommandation est reine. Ce e-lobbying existe et devient un métier. Si votre marque prend ses clients pour des vaches à lait et que ça se sait, vous êtes cuit (même si vous avez une jolie page Facebook).
2- l’effet beuze « C’est nouveau, c’est beau, c’est déjà dans les tuyaux !«
Alors vous avez embauché un digital expert qui a pris en main la direction digitale de votre marque. Vous lui faites confiance, il a fait des hautes études dans une école prestigieuse. Et puis, comme il sort juste de stage, il n’est pas très cher.
Ce directeur du digital est venu vous voir l’autre jour pour vous présenter le truc sur lequel vous devez investir: Pinterest ! Il a sorti des chiffres de fréquentation incroyables. Toutes vos consommatrices sont dessus. Ca cartonne ! Et puis comme ils en parlent aussi dans le magazine Tartes&Gît, c’est que ça doit être vrai.
Vous avez donc donné votre accord pour lancer une campagne (très chère) sur ce support au potentiel si élevé. Cette fois, à vous la première place. Qu’importe les dépenses, l’année 2012 sera celle de votre digitalisation…
Cette tranche de vie ci-dessus est tout à fait réaliste et ceux qui disent le contraire n’étaient pas nés à l’époque de Second Life et des investissements hâtifs et souvent débiles des marques sur ce monde virtuel.
Alors tant que vous n’avez pas les connaissances pour les relativiser, ne lisez pas les discours du genre : “Klout’s influence-ranking technology adds another layer of intelligence by enabling our clients to increase online engagement by more accurately and efficiently identifying which customers carry the greatest influence, and in turn, provide the greatest business value,” Car cet exemple de discours (réel, par Kris Duggan CEO de Badgeville) bourré de buzzwords est complètement faux. Même si, il va faire encore briller les yeux de pleins de jeunes marketeux en manque de nouveauté.
Car vendre ou communiquer sur le digital est un acte complexe, nécessitant une compréhension poussée de la cible, une compréhension des investissements en jeu, et surtout du recul sur une stratégie long terme. Les petites opérations expérimentales sont certes aussi importantes, mais elles doivent être intégrées dans un dispositif digital cohérent (sous peine de brouiller les messages).
En résumé, c’est un vrai travail de tâcheron. Il faut bosser sérieusement et en profondeur pour digitaliser sa marque ou son entreprise.
Alors quand on vous présente un outil facile et efficace qui résout tous vos problèmes en une seule campagne, c’est qu’on essaie de vous vendre quelque chose (et de se foutre de votre gueule en même temps). Prenez plutôt la route la plus dure, celle qui vous fera remettre en cause toute votre communication, mais aussi votre marketing et pourquoi pas, vos produits.
3- L’effet Panurge « Ils l’ont fait, faisons le aussi ! »
Vite un pneumatique à la directrice de la com : « cher Henriette, il faut vite que nous mettions en place une stratégie social média contenant Facebook et Twitter pour diriger notre entreprise vers le F-commerce, aboutissement normal d’un dispositif S-commerce, représentatif d’une entreprise ancrée dans la vie réelle. ». Vous avez recopié la phrase du fameux numéro de Tartes&git, mais Henriette n’y verra rien. Heureusement, Henriette s’est assuré les services d’une agence de conseil en communication très performante (enfin elle doit être très performante car elle est très cher et qu’elle a des locaux immenses). Elle écrit donc un mail répétant exactement ce que vous dites à l’agence.
Celle-ci, effectivement très performante, vous propose donc immédiatement une application F-commerce et la campagne qui va bien. Bon, ça vous coute à peine plus d’un million d’€, mais selon l’agence c’est indispensable pour réussir à émerger face à vos concurrents.
La plupart des marques se sont créées en inventant un produit ou un service qui n’existait pas avant sur leur marché (vendre un nouveau produit qui fait la même chose que les autres est très difficile, sauf si c’est moins cher). Investir sur le digital, c’est un peu comme si vous lanciez une nouvelle activité. Il faut s’y consacrer à fond, ça coute cher (lire tu comprends c’est pour le web), et il faut se différencier de ses concurrents.
Refaire la énième campagne QRCode ou la énième vidéo virale qui beuze pas, ça ne sert à rien. Il faut savoir innover en créativité et s’investir à fond à chaque fois que l’on avance dans le digital. Faire une boutique facebook juste parce que les autres le font, conduit à la fermer rapidement. Et si vous avez déjà une certaines expérience de FB alors vous saurez surement que la plateforme n’est pas encore mûre.
Suivre les autres n’est définitivement pas la bonne posture sur le digital. Au pire, cela va vous couter très très cher pour absolument rien. Au mieux, cela va vous couter très très cher pour un retour d’expérience que vous auriez pu avoir en faisant quelque chose d’innovant et d’utile (et pourquoi pas rentable).
La digitalisation d’une marque : un problème de temps et d’espace
On pourrait conclure en disant que la plus grande complexité pour une entreprise ou une marque qui décide de se digitaliser est l’adaptation à la temporalité et à la mouvance permanente du digital.
En effet, pour une marque qui a 10ans , 30 ans ou plus, il est extrêmement difficile de comprendre les enjeux du temps réel, et de savoir se structurer autour des notions d’expérimentation, de tests permanents et de campagnes incrémentales. Quand il faut 6 mois à votre communication interne pour se mettre d’accord sur un slogan qui tue ou sur la sémio d’une photo, comment voulez-vous que cette même équipe puisse réagir à une opportunité de communication immédiate ? Ou encore pire à un bad buzz sur la marque ? Si votre entreprise n’est pas prête à ça, alors sa jolie page Facebook avec ses milliers de fans ne sert à rien.
C’est cette temporalité et évolution permanente qu’il va falloir créer et développer dans l’entreprise. Cela passe par l’utilisation de nouvelles compétences ou de nouveaux prestataires qui n’existaient pas avant. Bref, de nouveaux investissements indispensables. Mais des investissements humains, pas en machines (comme les « pros » du SCRM aimeraient vous le faire croire).
Qu’aurait du faire Kodak en 1997 : investir dans leur super outil de E-CRM ou travailler avec des professionnels proches de leurs consommateurs et du digital ? Ils ont choisi le E-CRM. Perdu.
ENFIN un article antisnob qui parle des facettes moins bling-bling du (vrai) travail emarketing.
« En résumé, c’est un vrai travail de tâcheron. Il faut bosser sérieusement et en profondeur pour digitaliser sa marque ou son entreprise. »
Moi je ne me fatigue plus à le dire, je tâcheronne dans mon coin.
Morgane
ps : et du coup, ton article http://www.cyroul.com/campagnes-pub-on-line/agences-annonceurs-culture-digitale-influence-social-web-22/ n’a jamais été autant d’actualité
Bravo, J’aime le ton de cet article. Bien observé, bonne expérience de terrain, bien démontré, pas de langue de bois ni de promesses intenables. Pas trop de pessimiste ni trop d’utopie. On recentre le débat sur l’humain solution pour d’autres humains. Donc je beuzze.
Un complément important à ce beau travail c’est l’importance de ne pas se tromper sur la réputation numérique pour les marques. Maintenant le consommateur numérisé a pris le pouvoir. Il parle aux autres consommateurs, ses amis de réseaux et ce qu’il dit se retrouve facilement et ne se perd plus grâce à la mémoire du web. Difficile maintenant pour une marque d’exister si elle n’a pas le juste prix, la qualité attendue, le délais de livraison accepté et le bon état d’esprit de la relation client.
Alors je vous suggère d’oublier vos effets de coup de pub numérique à court terme. Il en va de votre vie de marque dans la mémoire des 2 milliards d’internautes qui peuplent maintenant le continent du numérique. Et en plus dans la vie réelle, ils ont plein d’amis.
Encore un excellent article ! merci.