Il était une fois Fondation [NovFut8]

Le cycle de Fondation est l’une des œuvres majeures d’Isaac Asimov. Écrite à partir de 1940, ce cycle s’est étendu sur presque 50 ans, repris ensuite pas différents auteurs (Greg Bear et David Brin).

L’histoire de Fondation raconte comment le mathématicien de génie Harry Seldon va aider la civilisation humaine galactique à survivre à un déclin inévitable. Seldon, le premier psycho-historien a réussit à modéliser le comportement d’immenses masses de population, nécessaire dans une galaxie comportant plusieurs millions de mondes habités. Pour éviter une longue phase d’obscurantisme inévitable de cette civilisation galactique, il crée deux « fondations », l’une, technologiquement très avancée basée sur la planète Terminus, l’autre, on ne sait où, psychologiquement très avancée (la seconde Fondation) où les membres ont développés des pouvoirs mentaux.

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La recette des Fondations

Le cycle de Fondation repose sur plusieurs ingrédients que l’on retrouve lors des 4 premiers livres de la série (qui en compte 7), pour moi les plus importants.

1- De l’anti-ethno-centrisme. Partant de la Terre (la nôtre), la race humaine s’est ensemencée dans tout l’univers produisant des millions de cultures différentes. Un principe similaire à celui de Jack Vance qui permet d’envisager des cultures humaines composites et variées où toutes les configurations sont possibles (dont l’égalité des sexes et le végétarisme qui semblent être le fait de cultures avancées chez Asimov).

2- La science est indispensable mais pas infaillible. Ainsi le modèle mathématique du plan Seldon est basé sur des statistiques de grands nombres mais s’avère faillible face aux comportements individuels. Ou encore quand on apprend que c’est bien la jonction des deux sciences : les technologiques (sur Terminus) et les sciences psychologiques (sur la seconde Fondation) qui permet d’éviter l’obscurantisme. Un rapprochement que n’a d’ailleurs toujours pas fait notre Education Nationale à nous. La grande leçon d’Asimov étant que les cultures qui abandonnent les sciences et l’histoire stagnent ou régressent.

3- Des personnages forts en personnalité, qui font varier la trajectoire de l’humanité, intentionnellement ou non. Du Falstaffien Hober Mallow à Arcadia Darell la jeune romancière en herbe, de la rayonnante Bayta Darell au pimpant Mulet en passant par le poussiéreux Janov Pelorat, tous ces personnages ont une profondeur psychologique savoureuse. Des personnages inoubliables et pourtant très humains.

4- « Violence is the last refuge of the incompetent » Cette citation bien connue du premier maire de Terminus, Salvor Hardin représente l’état d’esprit de toute l’oeuvre. Fondation fait l’apologie de l’astuce et de la non violence. Asimov traite les humains comme des êtres civilisés, doués d’empathie et d’humour pour lesquels la violence est un dernier recours non souhaitable.

5- Humour et astuce. Cet humour évident d’Isaac Asimov (lisez l’’exceptionnel Club des veufs noirs pour en être définitivement convaincu) se permet d’égratigner la bêtise humaine (dont le sexisme de son époque) à travers des répliques et des situations savoureuses. Il se permet en outre de faire un twist final à chaque épisode, surprenant le lecteur par son intelligence (et qui devient d’ailleurs un jeu entre lui et le lecteur ensuite). Un procédé qu’on pourrait presque comparer à celui d’Agatha Christie, l’apect scientifique en plus, l’angleterre en moins.

Posée sur ces pilliers solides, la série Fondation est ainsi une sorte de mode d’emploi de la construction d’une civilisation durable, dont le premier axiome serait qu’il faut penser à long terme. Décidemment ce cycle a beaucoup à apprendre à nos sociétés actuelles.

Déception Fondation

Imaginez mon émoi quand j’ai appris qu’Apple TV diffusait une adaptation du cycle. Imaginez mon excitation quand j’ai vu ce magnifique générique qui semble avoir bien capté la profondeur de la série. Imaginez ma joie quand j’ai vu l’épisode 1 et ses magnifiques images.

Aussi, imaginez ma déception après avoir vu le dernier épisode de la série…

Déjà la série n’est pas très subtile. Non, elle est même complètement bourrine, évidente, faite pour des cerveaux fatigués à qui il faut tout expliquer « Tu vois, là y’a des gentils et là y’a des méchants…”. Ensuite elle n’a rien compris à l’aspect intellectuel et non violent d’Asimov “…Et les méchants, il faut leur tirer dessus« .

Ensuite la série n’est pas drôle. Les personnages sont tristes, éteints ou froids (c’est la mode dans la SF depuis le Dune de Villeneuve). Certes, on ne peut qu’applaudir la magnifique interprétation de Lee Pace dans le role de Cléon (Brother Day). Mais quel rapport avec la série originelle ? Où sont passés les caractères hauts en couleur d’Asimov qu’on ne peut qu’aimer ?

Et enfin la série ne nous apprend rien d’utile. Là où Asimov tentait de nous faire saisir l’aspect éphémère d’une civilisation, des efforts permanents pour la stabiliser, et de l’importance du développement scientifique (qu’il soit technologique ou psychologique), la série nous montre des super-héroïnes combattre des méchants pour sauver l’univers. Un mélange de scénario de Marvel-Disney avec des images de Dune-Villeneuve. Bref, un immense gâchis, une immense déception.

On aurait aimé un Fondation contemporain

Et pourtant on se met à rêver à ce qu’une belle adaptation d’Asimov aurait pu raconter dans notre début du 21e siècle que certains qualifient de VUCA (volatility, uncertainty, complexity and ambiguity). Car (au cas où vous ne le sauriez pas), des défis quasi-insurmontables se dessinent pour les générations futures (réchauffement climatique, surpopulation, destruction de notre écosystème, apparition de nouveaux organismes (virus), etc.). Or nous n’avons rien à leur proposer sauf … Le cycle de Fondation.

Car le cycle d’Asimov, plus qu’une simple œuvre littéraire permettant de payer ses factures, est un véritable mode d’emploi du développement d’une civilisation saine qui travaillerait sur une perspective long terme, sur des projets multi-générationnels, anticipant les crises évidentes. Certains y voient même la description précise de la construction d’une utopie (lire Utopie et raison dans le cycle de Fondation d’Isaac Asimov de Anthony Vallat).

Ainsi, on peut rêver d’une série TV Fondation accessible au « grand public » qui donnerait quelques clés comportementales à ses spectateurs, qui leur apprendrait à sortir de notre société de l’instantanéité (notre paradigme « stimuli-réaction ») pour rentrer dans celui de la planification à long terme, à sortir d’un comportement auto-centré « moi, tout de suite » pour rentrer dans une réflexion sociale et communautaire, à abandonner nos politiciens “Je suis contre” pour des politiciens “responsables” anticipateurs de crise et enfin à comprendre que la science est indispensable mais faillible.

Bref, une série TV qui élèverait les spectateurs, les transformant en citoyens d’un 21e siècle positif. Au lieu de ça, on a eu une série vite produite, vite consommée, vite oubliée. Une série hamburger dont on ne retient rien une fois l’écran éteint.

Aussi, dans ce début de 21e siècle il devient vital de se remettre à relire Asimov, à s’imprégner de son état d’esprit positif mais lucide sur les civilisations ou les technologies. De plonger dans cet héritage littéraire qui nous donne un peu de plomb dans la cervelle tout en nous donnant envie de voler dans les étoiles. Pour tout ça, merci Isaac !


Les rendez-vous de la SF

Je suis en retard sur ma newsletter du mois, donc on va faire court et efficace.

A voir

A lire

  • Nos Futurs Solidaires est un recueil de nouvelles de “futurs solidaires”, qui abordent les sujets de l’inclusion sociale, de l’entraide et du « vivre ensemble », de la précarité, de l’écologie solidaire, de l’accès à la santé… Aux Editions ActuSF.
  • Quant on parle d’Asimov, on parle de robots. Et quand on parle de robots, on parle de R. U. R. (Rossum’s Universal Robots), la pièce de théâtre de 1920 de Karel Capek où apparait pour la première fois le mot “Robot”. Et bien, cette pièce de théâtre a été adaptée par Katerina Cupová en BD aux éditions Glénat.
  • L’idée est rigolotte : ActusSF sort dans son “club de la nouvelle”, 5 nouvelles pas chère sur le sujet de l’amour dans cent ans. Ainsi Élisabath Vonarburg, Isabelle Bauthian, Joëlle Wintrebert, Émilie Querbalec et Stéphane Desienne explorent les amours du futur.
  • Je ne sais pas si c’est de la SF, mais j’ai très envie de lire le Lazaret 44 de Julien Heylbroeck, qui raconte l’histoire d’une civilisation construite à l’intérieur du cadavre d’un géant.

A écouter

Une interview de Pierre Bordage pour la sortie de Cité, tome 3 de sa trilogie Metro Paris 2033. Il nous donne quelques nouvelles de l’auteur Dmitry Glukhovsky (caché quelque part pour avoir critiqué le régime Russe). Bravo et bon courage Dmitry, tu seras toujours le bienvenue à la maison.

A méditer

En Russie, les ventes du roman 1984 de George Orwell ont progressé de 30% en librairies et 70% en vente en ligne depuis le début de l’invasion de l’Ukraine (février 2022). Ainsi 1,8 million d’exemplaires auraient été vendus depuis le début du conflit. On le sait, la SF est un miroir du réel.

Voilà, le NovFut de ce mois-ci est terminé. Si vous avez aimé, abonnez-vous. On se retrouve le mois prochain, pour un nouveau sujet. Faites tourner la newsletter, et n’oubliez pas de lire (des bons livres d’Asimov) pour penser le futur !

Author: Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

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