NovFut #31 • Trop mignon le robot !

2025 sera définitivement l’année du n’importe quoi. Au dernier CES, le pince fesse des start-uppeurs, enfluenceurs et techno-pipotisateurs de Las Vegas, on a pu voir une déferlante de robots “mignons” dopés à l’IA.
Dignes descendants du Tamagochi et du Furbi, ces robots ont émus aux larmes les visiteurs avec leurs grands yeux brillants, leurs poils soyeux et leurs roucoulement de Tribbles de Star Trek, pendant que le climat se détraque, que Los Angeles brûle et que la démocratie américaine vacille.

Cet attrait des adultes pour les robots mignons est pour moi un signal faible qu’il faut suivre pour envisager l’avenir. Mais que nous raconte la science-fiction sur ces machines trop mignonnes ? Pas que des histoires réjouissantes. Bonne lecture !

1- Les robots utilitaires mignons

Ces robots, conçus avant tout pour leur utilité domestique ou technique, ont également un design attrayant, esthétique, pour tout dire, mignon.

Filament (Little Helper en VO) l’assistant robot de l’inventeur génial Géo Trouvetou (Gyro Gearloose) est peut-être le premier robot dont je me souvienne et peut-être le plus sympathique. Son design, dessiné par Carl Barks en 1956, est absolument parfait : 20 cm de haut, une tête d’ampoule à filament, un corps filaire, silencieux mais très astucieux. Parfait je vous dit.

Le design de Filament est tellement bien pensé, qu’il a certainement inspiré le jeu vidéo Chibi-Robot sorti en 2005 (Bandai / Nintendo). Le joueur y incarne un petit robot ménager qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Filament qui trainerait derrière lui une prise électrique. Ayant pour mission d’entretenir la maison de la famille Sanderson, il ira beaucoup plus loin que les tâches ménagères en résolvant tous les problèmes de la famille.

Rosey (Rosie) est également un modèle de robot XB-500 de ménage que la famille Jetsons (The Jetsons (Hanna Barbera, 1962) va s’offrir. Les Jetsons sont une sorte de famille du futur, sur le même modèle de la famille préhistorique des Pierrafeu d’Hanna Barbera également.
Une série très intéressante d’un point de vue historique pour replonger dans la science-fiction américaine molle des années 60.

Un bel aperçu de l’Amérique des années 60. Pour les nostalgiques, patience, elle revient.

Côté Japonais, le manga Doraemon créé par Fujiko Fujio envahit la péninsule à partir de 1974 et a toujours du succès 50 ans après. L’histoire raconte celle du robot-chat bleu Doraemon, envoyé du futur par Sewashi Nobi afin d’aider son arrière-arrière-arrière-arrière grand-père encore enfant Nobita Nobi, qui est un gamin plutôt idiot, il faut bien le dire. Les poches du chat-robot sont remplies de gadgets futuristes que Nobita va mal utiliser en provoquant moults catastrophes. Mais tout se termine bien dans la plupart des cas. Un manga très sympa.

Je vous ai déjà parlé du très bon mais méconnu film spatial écologique Silent Running (Et la terre survivra, Douglas Trumbull, 1972). On y trouve les drones Huey et Dewey, petits robots parallélépipédiques mignons qui vont aider le botaniste Freeman Lowell à entretenir ses serres géantes.

Ces deux drones serviront d’ailleurs d’inspiration à Georges Lucas pour construire R2-D2 (ou le francisé D2R2), l’immanquable droïde utilitaire de Star Wars (1977) que tout le monde connait. Dans l’épisode VII de la dernière trilogie, the force (J. J. Abrams, 2015), Disney décide de faire apparaitre une nouvelle série de droïdes, les BB, des robots mignons et roulants. Destiné à prendre la place de R2-D2, le droïde de Poe BB-8, va ainsi se retrouver partout où il faut pour aider les héros.
En passant, si vous avez des envies de construction d’un R2, je vous conseille de jeter un oeil à la communauté francophone des constructeurs de R2, c’est génial.

R2D2 et BB8,

Suite au succès de Star Wars, les séries TV se sont senties obligée de mettre des robots partout. Dans Buck Rogers (Buck Rogers in the 25th Century, 1979) on y trouve donc Twiki, robot minier qui devient l’ami de Buck Rogers et développe un sens de l’humour tout à fait robotique. Il est à noter que beaucoup de ses répliques, ainsi que des scènes de Buck Rogers ont été censurées lors de leur passage à la TV française pour leur contenu trop salé pour l’époque… Peu différente d’aujourd’hui finalement.

Juste pour le plaisir de revoir Gary Coleman (je n’ai en revanche jamais vu cet épisode)

Norby est une série de 11 romans commencée en 1983 et écrite par Janet Asimov (la femme de l’Asimov qu’on connait, et qui a eu de ce fait bien du mal à avoir son prénom comme autrice sur la couverture). Le premier épisode Norby the Mixed-Up Robot raconte comment Jeff Wells, un jeune cadet désargenté, cherchant un robot prof, tombe sur un petit robot tout rond, Norby, le dernier robot à posséder un système anti-gravité. L’aventure va pouvoir commencer.

Le très beau film Batteries Not Included (Matthew Robbins, 1987) nous présente la Fix-It Family, des robots-soucoupes volantes genrés qui viennent sauver un building New-yorkais des mains de promoteurs immobilier véreux (pléonasme), et aussi se reproduire en même temps. Anecdote : ce film vraiment très sympa (c’est du Amblin) a vu les débuts de scénariste de Brad Bird (le réalisateur du Géant de fer en 1999, une autre histoire de robot sympathique).

Les bébés robots de la fix-it family

Que serait un savant (fou) sans son robot domestique ? Ainsi le professeur Brainard (Robin Williams), inventeur du Flubber (dans le film éponyme de 1997), est assisté par son robot volant Weebo. Le robot, conscient et autonome va être détruit par un méchant, mais heureusement reconstruit à la fin du film, démontrant l’importance de faire des backups de ses fichiers informatiques.

En passant, notons le design très réaliste de Weebo ainsi que ses couleurs très Wall-e.

Un de mes gros coups de cœur de science-fiction de 2014 a été le dessin animé Les Nouveaux Héros (Don Hall, Chris Williams) qui met en scène des robots tout à fait réalistes (notamment les micro-robots, sorte d’essaim de nanobots qui sont en cours de recherche actuellement). Le robot mignon de ce film est évidement Baymax, un robot d’assistance personnelle de santé conçu par Tadashi le frère de Hiro, le héros du film. Baymax est un robot empathique et auto-apprenant. Tout le contraire de ChatGPT.

Un autre film d’animation coup de coeur , c’est Terra Willy, planète inconnue (Éric Tosti, 2019), un film français, oui madame. On y trouve le robot de survie Buck qui va aider Willy à survivre sur une planète inconnue (c’est le titre en même temps).
Le design du robot, très fonctionnel mais mignon, ressemble un peu à celui du droïde Vincent dans le très bon film le Trou noir (the black hole, Gary Nelson, 1978).

Mais les robots domestiques mignons ne sont pas que dans les récits. A partir de 1985, R.O.B. (Robotic Operating Buddy) a pointé sa tête de droïde intelligent dans les foyers (riches). Accessoire des consoles NES 1 (Nintendo) et Famicon (Family Computer), il faisait baver les pauvres qui n’avaient pas les moyens de se le payer (dont moi), même si, a priori, il ne servait à rien.

2- Les robots animaux domestiques

Et pourquoi le robot devrait-il servir à quelque chose ? Ne pourrait-il être seulement là pour se pavaner, se dandiner, sautiller ? Remplacer tous ces animaux domestiques en offrant les avantages sans les inconvénients ? Si il y a de la demande, il y aura de l’offre.

Les fans de Docteur Who (coucou) pensent immédiatement à K-9 (je trouve ce jeu de mot formidable) un cool robot-chien qui tire des lasers avec son nez. C’est quand même plus cool qu’un chihuahua.

Même la Pat Patrol, cette immonde série pour enfant, a son robot chien qui s’appelle… Robo-Dog. Construit par Ruder et Rocky, il pilote tous les véhicules de la Pat Patrouille (le Paw Patroller, le Mission PAW Cruiser, le Sea Patroller, le Mighty Jet, etc. faut bien vendre des jouets). Tout cela est tout mignon, tout rond, tout con.

En revanche, Muffet (Muffit en Vo) est une délicieuse vision d’horreur dans la série Battle Star Galactica (1978). Improbable mélange entre un chien et des ustensiles de cuisine, le daggit Muffet (dans BSG, les daggits sont des animaux qui ressemblent à des chiens.et qui ont tous été tués après l’apocalypse Cylon) est censé redonner le moral au petit garçon Boxey après la mort de son chien. Franchement, qui voudrait offrir ça à un gamin ?

En revanche pour qui douterait de l’attrait d’un animal de compagnie robot, je leur propose cette vidéo où le public de Disneyland découvre de petits droïdes, des BD-X. Ces robots existent vraiment. Ils utilisent des Nvidia Jetson Nano, de petits ordinateurs puissants conçus pour faire fonctionner des applications et dispositifs d’intelligence artificielle et ont appris à marcher grâce à Nvidia Isaac Sim, une plateforme de simulation robotique. Ils ont d’ailleurs fait le buzz à la dernière convention Nvidia.
Tout est basé sur la cuteness du robot, qui ne sert à rien en dehors de provoquer des « Ah » et des « Oh » chez le public (ce qu’il fait très bien). Mais n’est-ce pas ça le futur : de jolies choses sans aucun sens que l’on consomme en passant ?

3- Les robots enfants

L’enfant-robot est l’évolution inéluctable du robot animal de compagnie. Par ailleurs, le marketing n’aura pas à trop se creuser la tête dans une période où la baisse de la natalité mondiale pose déjà des questions.

Carlo Collodi est, à ma connaissance, le premier à avoir parlé d’un enfant artificiel dans Pinocchio (1881). Gepetto crée un pantin de bois qui cherche à devenir un vrai petit garçon à travers un parcours initiatique assez terrible. Une histoire souvent très sombre qui va être reprise en film d’animation par Walt Disney et aussi par Guillermo del Toro.

C’est d’ailleurs en pensant à Pinocchio qu’Osamu Tezuka crée Astroboy (Astro le petit robot, 1952). Le manga donnera lieu à de multiples séries d’animation jusqu’à aujourd’hui. Dans l’histoire originelle, le robot Astro est créé en 2003 par le Docteur Tenma après la mort de son fils. Mais le petit robot n’est pas à la hauteur des espérances démesurées de son créateur cruel (et malheureux) et est vendu à un directeur de cirque Hamegg. Astro devra apprendre, à travers ses rencontres, à pardonner petit à petit aux humains avant de devenir ce héros du futur qui nous fait vivre des tas d’aventures.
Un bien beau manga, véritable croisement entre Pinocchio et le Frankenstein de Mary Shelley, nous fait réfléchir aux relations émotionnelles entre l’homme et la machine. Pour finalement aboutir à la conclusion que si il est possible d’aimer les deux, l’un ne peut se substituer à l’autre en terme d’affection, seulement s’additionner.

Il me semble obligatoire de citer Aralé Norimaki (Akira Toriyama dans Dr Slump, 1980), la fille artificielle du professeur Norimaki. Le Dr Slump (Norimaki) voulant une fille, il crée Arale, petit robot myope qui va vivre plein d’aventures. Étant artificielle, elle s’étonne des fonctions les plus basiques de l’être humain, comme le caca. Elle transportera donc pendant toute la série (animée), des crottes colorées au bout d’un bâton. C’est très drôle. Sauf quand la télé française essaie de faire passer ça pour de la barbe à papa. N’cha !

Une autre série drôle, c’est Robotboy (Jan Van Rijsselberge, 2005) qui raconte les aventures dynamiques et explosives d’un petit robot plein d’émotions, programmé pour vivre avec Tommy un garçon de 10 ans. Il possède 3 modes : éteint, activé et super-activé (mode de super-combat) qu’il va utiliser à chaque épisode.

AI (Steven Spielberg, 2001), adaptation de la nouvelle Supertoys Last All Summer Long (Brian Aldiss, 1969), se déroule au 22e siècle où les “mécas” sont des androïdes répondant aux besoins des humains. Un méca enfant est créé par le Pr Hobby pour pallier la régulation des naissances en vigueur (et gagner du pognon en passant).
David est ainsi un méca enfant, qui est abandonné par sa “famille d’accueil” quand elle n’en a plus besoin. Tel Pinocchio, il va alors vivre des rencontres et péripéties jusqu’à apprendre que s’il est capable d’aimer, il n’est qu’un objet de série. Il se retrouve coincé durant des millénaires dans l’eau, et puis après, des extraterrestres arrivent et…. Je ne sais pas pourquoi mais je n’ai pas du tout aimé ce film qui, en voulant raconter trop de choses n’en affirmait pas assez.

Eva (Kike Maíllo, 2011), plus intéressant, raconte l’histoire d’un futur où les robots de compagnie, à forme humaine ou non existent. Seulement ils n’ont pas le droit d’être libres, c’est à dire avoir une autonomie d’action. Dans ce futur, un programmeur d’émotions robotiques va rencontrer une fillette qui va s’avérer être en réalité un robot qui ne le savait pas. Un film triste qui finit mal mais qui nous plonge dans les mêmes questionnements qu’Astroboy, le pathos en plus.

Traitant de la même problématique mais du genre film d’horreur, l’assez bon M3gan (Gerard Johnstone, 2022) nous présente M3GAN (acronyme de « Model 3 Generative ANdroid »), une poupée autonome dotée d’une intelligence artificielle. Elle est développée par une informaticienne qui ne comprend rien aux rapports humains. M3gan s’entiche d’une petite fille qu’elle décide de protéger envers et contre tout. Forcément, qui pourrait faire comprendre véritablement le sens de la mort à une IA ?

Pour conclure, j’ai hésité à vous parler de Alice and Sparkle, un coup marketing fabriqué en un week-end par les logiciels d’IA générative ChatGPT et MidJourney et signé par Ammaar Reshi (car pour moi un prompteur n’est pas un auteur).
Le livre raconte l’amitié entre une fillette Alice et son IA Sparkle qui vont, à la fin des 20 pages générées, rendre le monde meilleur.
Écrit par ChatGPT qui est, comme chacun sait, programmé pour faire la promotion des IA en permanence, on retiendra surtout le “make the world a better place” qui est la fin de pitch de quasiment toutes les startups de la silicone vallée depuis 30 ans, notamment celles qui détruisent les démocraties et le climat. Un bouquin certainement approuvé par Musk et Zuckerberg pour l’éducation de nos enfants mais pas par moi.

Regardez la série Silicon Valley !

4- Les robots « compagnons »

La légende dit que Pygmalion le sculpteur est tombé amoureux d’une de ses créations, une superbe statue de femme. Il a demandé alors à la déesse Aphrodite de lui donner une épouse semblable à la statue. Elle insufflera la vie à la statue qui deviendra Galatée. Et Galatée et Pygmalion vont se marier pour avoir de beaux enfants.

Le mythe très connu de Pygmalion et de l’amant(e) artificiel(le) a inspiré bon nombre d’écrivains et d’auteurs comme L’Homme au sable (E. T. A Hoffmann, 1818). Cette nouvelle qui raconte l’histoire d’amour contrariée entre le jeune Nathanaël et l’automate Olimpia est à l’origine du concept de Unheimlich (l’inquiétante étrangeté) d’Ernest Jentsh et Sigmund Freud, qui donnera naissance à la notion de Uncanny Valley (vallée de l’étrange) par le roboticien Masahiro Mori (1970). Une fois de plus, la SF précède la science.

En 1837, Prosper Mérimée raconte La Vénus d’Ille, où une statue de Vénus en bronze, belle mais effrayante tue un jeune marié (par amour ?) dans sa chambre.
Car le sage sait qu’il ne faut pas jouer avec les émotions d’un robot. Et vous, êtes-vous poli avec ChatGPT ?

En 1886, dans L’Ève Future, Villiers de L’Isle-Adam raconte l’histoire d’un jeune lord amoureux d’une femme belle mais trop « banale » décide de se faire fabriquer un double artificiel, un andréide, « spirituellement bien supérieur ». Cette oeuvre, critiquée pour sa profonde misogynie a été le premier à utiliser le mot « androïde » (andréide dans le livre).

Je m’arrête là dans l’évocation des femmes-robots car elles vont peu à peu devenir incontournables dans la science-fiction du 20e siècle, de Metropolis (Fritz Lang, 1927) à Blade Runner (Ridley Scott, 1982).

55 ans séparent Maria (Metropolis) de Rachel (Blade Runner)

Au début du siècle, la femme robot sera la plupart du temps la « compagne » plus ou moins volontaire d’un protagoniste masculin. Mais c’est autour des années 70, 80 et 90 que le concept de prostitution robotique va véritablement se normaliser. Ainsi les visiteurs de Westworld (Michael Crichton, 1973) vont s’habiller en cow-boys pour pouvoir coucher avec des prostituées dans un farwest reconstitué (si, si, ils y vont pour ça) et Difool n’hésite pas à aller aux homéoputes dans l’Incal (Moebius et Jodorowsky, 1980).

Depuis cet imaginaire de la prostituée robot s’est ancré dans la SF. Pour le meilleur ou le pire, car bien peu d’œuvres vont parler de la réalité de la chose, le côté crade de ce business.
Dans le formidable Mars Express (Jérémie Périn, 2023) l’étudiante Jun a du se dupliquer (créer un avatar ayant ses souvenirs) dans une maison de passe robotique pour payer ses études. On y voit d’ailleurs autant de prostitués hommes que de femmes, ce qui est extrêmement rare habituellement.

Car lectorat masculin oblige, les robots-hommes dans la SF sont souvent des machines à tuer, mais très rarement des prostitués. On peut évoquer le gigolo Joe dans le film AI (incarné par un Jude Law en plein dans la Uncanny valley), mais c’est un épiphénomène. Alors puritaine la SF américaine ? Oui certainement.

Pour terminer sur ce sujet, cette année commence avec la sortie de Companion (Drew Hancock, 2025) qui devrait certainement raconter les déboires entre un homme et son robot-femme-qui-ne-sait-pas-qu’elle-est-un-robot (j’anticipe car je ne l’ai pas vu). J’en parle car l’actrice principale est Sophie Thatcher, absolument géniale dans Heretic (Scott Beck – Bryan Woods, 2024).

Conclusion : le marché de l’émotion visé par la Silicon Valley

Évidemment, quel cœur solitaire n’aimerait pas, tel Pygmalion, fabriquer/programmer son âme sœur ? Dans le formidable Her (Spike Jonze, 2013), le solitaire Joaquin Phoenix tombe amoureux de Samantha, son assistante virtuelle. C’est beau, c’est compliqué, c’est de l’amour (du super-poly amour même).

Ce même besoin irrésistible est la cause, en ce moment même, de l’explosion des startups de « compagnons virtuels » à base d’IA générative (Replika, 2. Chai, Kuki, SimSimi, Anima, Kajiwoto, Boibot / Evie, Inworld ou Cleverbot), qui discutent avec leurs utilisateurs en étant toujours gentils avec eux.

Les constructeurs ont ainsi compris qu’il y avait un immense marché à capter dans le robot de compagnie pour adulte et ont donc investit le CES avec des robots mignons qui ne servent à rien (Ai, Lovot, Ropet, Ballie, Loona Robot, …), des robots pseudo-animaux (Noono, Mirumi, Moflin, Tombot), et même des robots féminins terrifiants. Les arguments de ces startups sont toujours les mêmes : apporter de la joie à ceux qui n’en ont pas (personnes âgées, enfants handicapés, etc.) et évidemment make the world a better place.

Mais qui peut encore les croire ?

Le triomphe de la dopamine sur la raison.

Car que la première chose qu’on apprend avec un ami virtuel, c’est à ne considérer l’affection que comme une valeur marchande, comme un shoot de dopamine éphémère, prêt à être renouvelé pour la deuxième dose. Or l’affection ce n’est pas cela, l’affection se construit progressivement, à travers la confiance, à travers les épreuves, les réussites, que ce soit entre deux individus ou entre un humain et un animal. Non, l’affection réelle ne peut être une valeur marchande (à l’opposé du sexe).

Mais vous allez me dire que l’achat de fausse affection n’est pas nouveau. Certes, mais on voit les conséquences : un petit tour à la SPA pour voir le nombre d’animaux de compagnie abandonnés dés que les contraintes commencent à se faire sentir. L’émotion d’émerveillement initiale “Oh mon dieu comme il est mignon avec ses grands yeux et ses poils touffus !” disparait vite quand il faut sortir l’animal 2 fois par jour pour ramasser ses crottes sur le trottoir.
Et ce ne sera pas donc différent avec des robots de compagnie. Ce sera même pire, car cette fois il n’y aura même pas une once de culpabilité quand le propriétaire l’abandonnera sur un coin de la route. Car un robot est un objet, on peut donc le jeter.
On crie très fort “qu’il est mignon”, on achète, on joue 5 minutes et on le jette sans un regard en arrière.

Ainsi, ce sont des émotions brutes immédiates, éphémères qui vont prendre le pas sur des émotions réelles, lentes, structurelles. Encore une fois la philosophie de la Silicone Vallée qui veut le triomphe de la dopamine sur la raison.

Le sexe marchandise

Seulement ce besoin de dopamine relationnelle va jusqu’à interroger nos pratiques sexuelles. Car une fois gouté les joies de l’amitié platonique virtuelle, qu’est ce qui empêche de passer à l’étape suivante, plus intime ? Rien si ce n’est votre porte-monnaie (parce qu’il faudra évidemment se le payer).

Ce n’est pas un montage, ce site existe vraiment

Pas besoin de parler au futur car ça existe déjà à travers l’une des multiples déclinaisons érotico-porno du compagnon virtuel. Sur ces plateformes, vous créez un avatar physique de votre fantasme et vous « discutez » avec lui (ou plutôt, sur le même principe que les chatrooms pornos, vous lui demandez de faire des trucs derrière la caméra. Évidemment, la plateforme a pour objectif de faire rester le visiteur le plus longtemps possible (on paie à la minute).
Quand j’étais jeune, j’avais les BD de Manara pour construire mon imaginaire érotique. Le jeune du futur, lui, va se le construire avec un(e) prostitué(e) virtuel(le) programmée par une startup américaine dont l’objectif est de le rendre accro. Je ne l’envie pas.

Un robot poupée qui, très certainement make the world a better place

Et évidement, du virtuel au réel, il n’y a qu’un pas, déjà franchi à travers les « real dolls » (plus ou moins automatisées) et les « maisons de poupées » en pleine expansion.

Certains disent que c’est un bienfait car il vaut certainement mieux prostituer des poupées que des vraies femmes.
Seulement il semblerait que ces robots encouragent l’objectification des femmes et des enfants (le business de poupées sexuelles d’enfants existe déjà), de même que le non-respect du consentement (cf. la campagne Against Sex Robots).

La question de la réalisation absolue de ses fantasme devient alors centrale. Car le futur va nous donner les moyens de tous les réaliser. Et qu’est ce qui nous retiendra ? Faut-il nous retenir ? Et qui se posera même la question ?

Quoi qu’il en soit, ces compagnons artificiels, virtuels ou réels, posent de véritables problèmes sur la pédagogie de l’affection et de l’acte sexuel. Un danger évident pour les jeunes de plus en plus paumés dans cette technologie numérique.

Une technologie qui accentue les séparations entre les humains

Ainsi ces industries du robot « cute » nous emmènent peu à peu vers l’industrie du robot compagnon et robot prostitué, qui lui-même nous emmène progressivement vers un durcissement des relations sexuelles voire juste affectives entre les personnes.Asimov en parlait déjà dans son roman Face aux feux du soleil (The Naked Sun, 1957), la suite des Cavernes d’acier qui retrouve Elija Baley et le robot R. Daneel Olivaw sur la planète Solaria. Sur Solaria, la multiplication des robots au fil des siècles a créé des séparations spatiales et psychologiques entre les habitants jusqu’à les dégouter des contacts physiques entre humains.
On pourrait dire que les pays riches, aux sociétés déjà fragmentées par les réseaux sociaux et la montée de l’individualisme, en prennent lentement mais surement la direction.

Et enfin, à une époque où l’on ne devrait penser que frugalité et durabilité numérique, ces robots mignons à la durée de vie éphémère sont pour moi des abominations irresponsables. Alors, pensez-y la prochaine fois que vous verrez un journaliste s’extasier sur ces images faciles de bestioles mignonnes.

Cyroul


Évidemment il est difficile de vous souhaiter une bonne année tellement elle commence mal (Trump, Musk, Zuckerberg, Poutine, Netanyahou, …). Mais j’ai la foi alors je vous la souhaite quand même (la bonne année). Car il ne faut jamais désespérer. Ce serait faire le jeu de ces tyrans.
Et puis, on n’est jamais à l’abri d’une invasion extra-terrestre ou même d’une crise de conscience de nos hommes politiques (lol)…
Côté bonne nouvelle, j’ai très envie de refaire une soirée prospective 2050 avec quelques passionnés et pourquoi pas auteurs de SF (comme celle-là). Si ça vous dit (et que vous avez réussit à lire cette newsletter jusqu’au bout), faites moi signe (likez, commentez ou contactez-moi).

A bientôt, et en attendant, lisez de la bonne SF !

Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

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