Écoterrorisme, de la fiction à la réalité [NovFut #13]

Merci aux nombreux nouveaux abonnés qui ont rejoint NovFut ce mois-ci. Mais je vais tenter de ne pas me mettre la pression pour autant. La mission de NovFut étant de coller à l’actualité, ce mois-ci nous allons parler d’écoterrorisme, le buzzword médiatique du début novembre 2022. Sortez vos seedbombs et bonne lecture !

Écoterrorisme, de la fiction à la réalité

La fiction a le pouvoir de créer des visions, des concepts qui s’incarneront (ou pas) dans notre réalité. Le concept de l’écoterrorisme n’est pas une exception. Il se se concrétise chaque jour un peu plus.

On a pu le voir en France ce mois-ci, à travers la déclaration provocatrice du ministre de l’intérieur et de la polémique inévitable qui a suivie.

Vu sur un tweet de Stéphane Foucard

Je vous propose donc de plonger dans la construction de ce mythe de l’écoterroriste qui n’en est plus un à travers des romans de Science-Fiction.

Les prémices de l’écoterrorisme

On retrouve la première mention d’écoterrorisme dans The Monkey Wrench Gang (le gang de la clé à molette, 1975), un roman de Edward Abbey qui prône le sabotage pour protester contre la destruction de l’environnement, les promoteurs et les bulldozers.

Il connut un tel succès outre-atlantique que « monkeywrenching » y est devenu synonyme de sabotage écologique (cf Wikipédia) et a inspiré des mouvements comme Earth Liberation Front ou Earth First! (avec son logo clé à molette).

En France, on n’échappe pas au sujet, notamment avec le journal Pif Gadget, qui s’éloignant de la doxa du parti communiste, va diffuser beaucoup de bandes dessinées très matures promouvant la lutte contre des organisations capitalistes destructrices de l’environnement. On peut citer le space opéra UniversZoo (Victor Mora et Adolfo Usero) ou encore le très réaliste Cogan (Jean Ollivier et Christian Gaty, 1983), où Cogan dirige une base au Venezuela pour le WWF et sillonne le monde pour protéger les animaux des entreprises pourries et des gouvernements corrompus.

https://www.bedetheque.com/media/Planches/PlancheA_35936.jpg
Cogan

D’ailleurs une flopée de contenus à destination des jeunes enfants des années 70 parlent de lutte écologique plus ou moins violente que ce soient Wattoo Wattoo ou les Barbapapa défendant leur jolie maison contre les machines des méchants promoteurs immobiliers.

La maison de Barbapapa - Teteenlire
L’écoterrorisme pour les enfants
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/thumb/9/9e/Stephenson_Book_Zodiac.png/220px-Stephenson_Book_Zodiac.png

Revenons à la SF, avec Zodiac (1988) de Neal Stephenson, où l’on suit les aventures de Sangamon Taylor, chimiste militant écologiste, qui lutte de façon plus ou moins légale contre les groupes industriels qui polluent la baie de Boston. Un excellent polar scientifique au rythme trépidant (lisez-le) qui nous plonge dans le dilemme de l’écoactiviste : est-il possible de lutter légalement contre des organisations qui ne suivent pas les lois ?

La même année en France, l’exceptionnelle BD Aquablue de Cailleteaux et Vatine raconte comment, face à un consortium avide, les natifs d’une planète aquatique n’ont d’autres choix que de prendre les armes pour défendre leurs modes de vie et leur environnement. Dans l’histoire il est intéressant de voir l’inutilité de la loi face à la toute puissance des avocats et lobbyistes du consortium Texec. Une véritable leçon d’activisme écologique, d’anticolonialisme et de relativisation de la loi face à des grandes entreprises animées uniquement par le profit.

Les militaires et mercenaires sont là pour défendre les intérêts du pays ou, comment voir les guerres coloniales autrement.

Les 90s, tous Eco-Warriors !

En 1989, l’échouement du pétrolier Exxon Valdez, sur la côte de l’Alaska va créer un engouement pour l’image de l’écoterrorisme.

Dans le jeu vidéo Eco Fighters (Capcom, 1993) vous êtes au commande d’un vaisseau spatial pour stopper les agissements de la Goyolk, une multinationale qui détruit les planètes pour récupérer leurs ressources. Un peu comme Total en fait.

Gaia’s Toys (Rebecca Ore, 1995), nous présente dans un futur où les technologies de pointe (hacking génétique, nanotechnologies) sont à la hauteur de la destruction de l’environnement. L’héroïne, Allison fait exploser une charge nucléaire pour endommager la capacité de production pétrolière des États-Unis.

La même année sort 12 Monkeys (l’Armée des 12 singes, Terry Gilliam) où le groupe d’écoterroristes éponyme est suspecté (par les survivants de l’humanité du futur) d’avoir été à l’origine de l’extinction de l’humanité. Et bien non, ce n’était pas l’armée des 12 singes qui avait diffusé le méchant virus, mais la Chine… en fait on ne sait pas trop à la fin si c’est l’assistant du Docteur ou les scientifiques du futur. En tous les cas, la séquence des animaux sauvages se promenant à New York est inoubliable.

En 1997, le jeu vidéo Final Fantasy VII (Yoshinori Kitase), nous raconte l’histoire de Gaïa, une planète vivante où les progrès technologiques et scientifiques correspondent à notre futur proche. Une organisation très puissante, la Shinra Electric Power Company, va tout faire pour dominer le monde, notamment en pompant l’énergie Mako du cœur de Gaïa, tuant peu à peu la planète. Les joueurs vont donc se retrouver dans la peau d’écoterroristes qui vont lutter pour Gaïa.

https://images.pushsquare.com/c072e92b6753d/final-fantasy-vii-remake-how-long-how-long-to-beat-hours-ps4.original.jpg
Le remake du jeu est sorti il y a deux ans.

Toujours en 1997, Princesse Mononoke (もののけ姫, 1997) d’Hayao Miyazaki raconte l’histoire d’une écoterroriste, San, qui, montée sur son loup géant, affronte des hommes qui polluent l’environnement. Un film complexe, où le spectateur, suivant le héros, Ashitaka, ne sait pour qui prendre parti. Le film pose des questions, mais laisse le soin au spectateur de trouver lui-même ses réponses.

On retrouve la même idée avec le film Pompoko sorti 3 ans avant, fable mythologique sur la pollution, où le studio Ghibli nous raconte l’extinction de Tanukis face à l’extension des villes. Les Tanukis, bagarreurs et fêtards invétérés, vont devoir agir de concert pour saboter les installations humaines. Mais peut-on vraiment lutter contre l’humanité ?

http://3.bp.blogspot.com/-owwLqiozsyU/Tth3DYyY5wI/AAAAAAAAAyA/3E-ibjuazmY/s1600/pompoko1.jpg
Tiens, on dirait les dernières manifs écrasées par Darmanin

On pourrait également parler de toute l’œuvre de Kim Stanley Robinson, imbibée de luttes (armées ou non) écologiques. Mais retenons surtout Antarctica, Inc (SOS Antartica, 1997) qui parle d’un début de 21e où des éco-saboteurs paralysent des installations responsables de la destruction de l’Antarctique. Robinson avait 25 ans d’avance. L’éditeur Pocket a réédité l’ouvrage il y a quelques mois, n’hésitez pas.

2001, l’écoterrorisme a mauvaise presse

Le trauma du 11 septembre a changé les histoires dans lesquelles on peut être un gentil combattant de la liberté ou un méchant terroriste, mais pas les deux. Aussi le terme écoterrorisme devient, pour ceux qui en abusent, péjoratif.

Danny Boyd dans 28 Days Later (28 jours plus tard, 2002) nous montre des écoterroristes assez obtus ouvrir la cage de singes infectés (scène mémorable) qui vont contaminer le monde. Mais, in fine, qui est vraiment responsable : les scientifiques qui ont fait des expériences abominables ou les écologistes qui ont délivré les singes ?

https://dygtyjqp7pi0m.cloudfront.net/i/32397/27918828_18.jpg?v=8D504CE6847C020

Michael Crichton enfonce le clou avec son roman State of Fear (État d’urgence, 2004), dépeint un mouvement environnementaliste opportuniste, prêt à tuer pour promouvoir ses thèses sur le réchauffement climatique. A la fin de ce livre assez polémique, l’auteur donne son propre point de vue, très climatosceptique, en considérant que si la planète se réchauffe, rien ne prouve que ce ne sera pas pour le mieux. Michael, tu baisses.

Cette période montre un tas de fictions d’action qui assimilent les écoterroristes à des fanatiques décérébrés ou manipulés. On peut citer Le parfum d’Adam (Jean-Christophe Rufin, 2007), où une militante écolo se retrouve dans un complot où des écologistes radicaux du Front de Libération des Animaux veulent directement s’en prendre à l’espèce humaine. Traiter le mal à sa source.

Un peu la même représentation dans le sous-estimé The Thaw (Mark A. Lewis, 2009) où Val Kilmer en militant ecolo hardcore, découvre un parasite congelé dans le corps d’un mammouth que le dégel du pergélisol a mis à jour. Haïssant l’humanité, il se demande si ce ne serait pas une bonne idée de le laisser se propager.

https://image.tmdb.org/t/p/w780/oKjVEuWxdgE3pJLyiuKTYFrOOOr.jpg

Que ces écolos sont méchants…

Le renouveau de l’écowarrior du 21e siècle

Seulement, en abandonnant son statut de terroriste, l’éco-terroriste va évoluer. On veut le transformer en super méchant, alors il va devenir super-gentil. Et il va même reparler aux enfants, tiens.

WAll-E (Andrew Stanton, 2008) le robot va devoir lutter, et avec lui une armée de robots, contre l’IA empêchant l’humanité de revenir sur Terre. Sauf que l’IA a les commandes des robots policiers. Wall-e et EVE sont de véritables écoterroristes, même si ils sont mignons et qu’ils s’aiment.

https://i.pinimg.com/originals/09/2e/69/092e69c2dde13260eb9a26425517730c.jpg
L’IA de bord appelle ses robots policiers à la rescousse pour capturer (et effacer) les méchants écoterroristes

Avatar de James Cameron (2009, cf. NovFut #7), très fortement inspiré d’Aquablue reprend exactement le même principe : une inversion de la figure habituelle du héros qui est l’autochtone se battant pour son environnement contre des humains destructeurs ou passifs. Le moment où John Wayne se rend compte que les sauvages n’étaient pas les indiens mais les cow-boys.

https://i.ytimg.com/vi/HCSa3SgYTEc/maxresdefault.jpg

L’écoterroriste peut même être une fillette. Okja (Bong Joon-ho, 2017) nous raconte l’histoire d’une fillette coréenne Mija et de son cochon transgénique qui vont lutte contre l’industrie viandière prête à tout pour accroitre ses bénéfices. Un film assez dur (la scène de l’abattoir est abominable) mais vrai qui a du réjouir l’Animal Liberation Front ou la Peta.

Mais qui aurait envie de manger Okja ? Posez-vous la question la prochaine fois que vous mangez du jambon.

Conclusion : le futur de l’écoterrorisme

Le film The East (Zal Batmanglij, 2013) évoque exactement la problématique actuelle de l’écoterrorisme. Dans ce film, Jane infiltre The East, un groupuscule écoterroriste qui s’attaque à son client, une multinationale. Durant l’enquête, elle s’apercevra que le groupe terroriste n’est pas si sale et que la corporation n’est pas très propre.

C’est le paradoxe qui fige beaucoup de monde en ce moment. Si nous sommes tous d’accord pour dire que la violence n’est jamais la solution, n’oublions pas que notre Panthéon français est rempli de combattants de la liberté et autres résistants ayant utilisé la violence pour atteindre leurs objectifs. Et quel objectif plus noble que celui de la préservation de notre environnement ?

One day in a nuclear age – They may understand our rage – They build machines that they can’t control – And bury the waste in a great big hole.

We Work The Black Seam, Sting (1985)

L’écoterrorisme est donc à la fois une guerre sur le terrain mais aussi (et surtout) une guerre médiatique, car l’écoterrorisme est un oxymoron. Terroriste, il défie l’ordre public et ses manifestations sont criminalisées. Écologiste (ecowarrior, résistant écolo, etc.), il défend notre futur et devient inspiration.

https://i.pinimg.com/originals/07/35/cd/0735cd62f7c459d28a8a0f76edd02033.jpg
Sea Shepherd sauvant des baleines de pêcheurs japonais.

Mais en dehors de ces manipulations sémantiques, dans le futur, l’écoterrorisme est une certitude sociale, politique et économique. Benoît Gagnon, chercheur canadien, va jusqu’à imaginer que l’écoterrorisme sera la prochaine grande vague de terrorisme à laquelle l’Amérique du Nord devra faire face (2010). L’un des scénarios de la Red Team (cf NovFut #4 – La guerre du futur), raconte également qu’en 2028 l’écoterrorisme sévira dans le monde.

La seule alternative à l’écoterrorisme semble peut-être que les gouvernements démocratiques se saisissent de ces sujets avant que des radicaux désespérés ne le fassent. Des radicaux qui vont se multiplier face aux 1% qui se préparent des bunkers de luxe et aux lobbys des corporations destructrices qui modifient les lois environnementales à leur profit.

La prochaine décennie va être déterminante. Vous avez hâte ? Moi oui.

Cyroul

Quelques liens pour approfondir le sujet:


Quelques liens pour faire de la résistance écologique :

Et pour vous faire repartir du bon pied en 2023, je laisse l’ami Antoine nous parler de l’espoir vu par la science-fiction.

Vous avez lu NovFut #13, la newsletter mensuelle des Nouvelles du Futur. Si vous pensez que quelqu’un dans votre entourage pourrait être intéressé·e, n’hésitez pas à lui transférer cette édition directement par e-mail ou à cliquer ici. En attendant le mois prochain, je vous souhaite de joyeuses fêtes remplies de bonne Science-Fiction !

Author: Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.