Les qualités de 2023 pour survivre dans un monde numérique

Cela fait des années que je réfléchis aux transformations de l’homo numericus et je ne suis pas le seul (Homo numericus. La “civilisation” qui vient » de Daniel Cohen, l’INRIA ou encore le CNRS). Mais depuis quelque temps (parentalité oblige certainement), je réfléchis surtout aux compétences et aux qualités que celui-ci doit posséder pour survivre dans le monde informationnel numérique d’aujourd’hui.
Voilà une question qui pourrait être purement théorique si elle n’était si fondamentale.

Je vous propose donc une tentative de réponse (discutable), et ensuite d’appliquer ces qualités à la population française. Un exercice de pensée pour réfléchir à la France numérique du futur.

Les qualités nécessaires en 2023

1- De la culture de l’écosystème du numérique et de ses enjeux

Il est fondamental de comprendre les enjeux de la société numérique, tels que la protection de la vie privée, la réglementation des données, la neutralité du net, la propriété intellectuelle, etc. Pour ce faire, on distingue deux fondamentaux :

Dominique Cardon - Culture numérique
Une très bonne intro au sujet. Je conseille
  1. La connaissance des principaux acteurs du numérique d’hier et d’aujourd’hui. Ceux qui créent les technologies, ceux qui créent les services, ceux qui régulent les services : Gafams, startups, gouvernements, empires médiatiques, créateurs de contenus jusqu’aux initiatives de particuliers.
  2. Et la compréhension de leurs objectifs et motivations. Comment gagnent-ils de l’argent ? Pourquoi créent-ils ce service ? Pourquoi ce service est-il gratuit ?

Ainsi outre des connaissances de base, l’homo numericus doit avoir le réflexe permanent l’interrogation (qui et pourquoi) pour éviter de se faire manipuler sur les réseaux. Il doit apprendre à être prudent et savoir décoder… Avant de se faire encoder. (oh elle est belle celle-là).

2- Des rudiments de compréhension technologique

J’adore ces visuels-gloubiboulga des technologies de l’internet. De quoi faire flipper n’importe quel étudiant.

Certes il s’agit d’un petit effort. Mais finalement comprendre le B.A.-BA de la programmation informatique, du fonctionnement des bases de données ou même de l’intelligence artificielle n’est pas si difficile. Et ceux qui disent le contraire essaient juste de vendre leur « expertise ».

Non, posséder un vernis technologique n’est pas difficile et peut même être rigolo. C’est aussi facile que d’apprendre une recette de cuisine, à jardiner ou comprendre le fonctionnement d’une voiture.

Car il n’a pas le choix. L’homo numericus doit savoir comment la technologie fonctionne. Sinon il perdra peu à peu le contact avec cette technologie, la remplaçant par la magie, et devenant de ce fait son esclave.
Ce qu’il est déjà un petit peu quand il s’empresse de répondre à une notification de son smartphone.

3- La capacité de réfléchir au futur

Avec un peu de culture numérique et un vernis technologique, l’homo numericus peut alors commencer à anticiper les transformations numériques et leurs résultats.
Grâce à cette capacité de projection, mais aussi du discernement et de l’esprit critique, il évite les campagnes de RP bullshit, les tendances foireuses et emballements médiatiques stériles, pour se concentrer sur les transformations véritables des usages et technologies.

Il s’agit de compétences que l’on acquiert jamais définitivement, mais cette capacité de projection lui permettra peut-être d’éviter beaucoup de dangers futurs. (et sinon, qu’il lise NovFut pour anticiper le futur).

Alors, comment s’en sortent les Français ?

Alors maintenant que l’on a vu les 3 qualités principales de l’homo numericus, comment s’en sort le Français moyen ?
Pour les besoin d’un article court, je vais méchamment généraliser en écartant tous ceux qui développent eux-même leur culture numérique à travers leurs lectures (les curieux), leurs expérimentations numériques (les makers, hackers, créateurs de contenus et autres explorateurs des internets).
Ceux-là ont tout compris mais ce ne sont clairement pas la majorité en France. Je parle donc des autres.

Les écoliers

« Vous comprenez les enfants, c’est important de donner vos données à Microsoft, il vous a offert ces ordinateurs tout de même.« 

Disons-le tout de suite, les scolarisés ne sont pas aidés. Leur culture générale numérique est nulle, leur vernis technologique est inexistant, et leur capacité prospective n’existe pas.

Les effets d’annonce des différents gouvernements et responsables de l’Éducation Nationale cachent mal le néant absolu en ce qui concerne l’éducation numérique de nos enfants. Car non, la formation bureautique de Windows n’est pas de la culture numérique, mais de l’avant vente de produits Microsoft.

Autant vous dire que ces enfants sont clairement de futurs victimes du numérique (si ce n’est pas déjà fait).

Les étudiants

Le système éducatif français promeut une spécialisation qui n’amène pas les étudiants à développer leur curiosité numérique (je dirais leur curiosité tout court).

Seuls ceux qui font des études de communication ou d’informatique étudient les technologies de l’information et de la communication. Et encore, ça dépend où. Souvent ça se résume à une histoire basique d’Internet (d’Arpanet au web) et une introduction simple au HTML.

C’est pas avec ça qu’on va former les élites numériques de demain.

Les travailleurs

La maturité numérique d’un salarié ou dirigeant dépend de son métier, forcément, mais aussi et surtout de son employeur.

Aujourd’hui, certaines organisations ont décidé de monter le niveau numérique de leurs collaborateurs à travers des formations : cybersécurité, recherche d’information, compréhension des enjeux des données privées, etc.
Mais d’autres s’en fichent totalement, se contentant uniquement d’avoir un collaborateur capable d’écrire un mail ou de faire une visio. Quant aux CEO et directeurs de grandes sociétés, ils serrent les fesses en espérant partir en retraite avant que quelqu’un ne détecte leur nullité numérique.

C’est grave. Autant pour la capacité d’innovation de ses entreprises que pour leur durabilité dans ce monde numérique en perpétuel changement. Car ne comptons pas sur les startups pour les aider. La plupart du temps, le dirigeant d’une startup vient d’une école de commerce, pas d’une école de partage.

Les retraités justement

Les grands oubliés de l’ère numérique. L’état a numérisé ses services (souvent pour le mieux, il faut le dire) mais a, en passant, complètement oublié ceux qui n’avaient pas Internet ou ne savaient pas s’en servir.

Il a fallu attendre 2021 pour que le gouvernement se bouge un peu les fesses en tentant de réduire l’illectronisme (17% en France tout de même). La création de conseillers numériques est une bonne idée, mais c’est loin d’être suffisant. Lisez abus de faiblesse numérique pour vous en convaincre.

Conclusion : il faut attiser la curiosité numérique

Ainsi l’on voit que la culture numérique est rare dans notre société. Mais pire que l’absence de culture, c’est l’absence de curiosité qui est désastreuse.

Ainsi le jeune qui passe 4h par jour sur Tiktok, qui joue à Fifa sur sa PS5 en regardant ZeratoR sur Twitch, est persuadé qu’il est un cador du numérique. Alors pourquoi aller voir ailleurs ?

Et que dire des CEO, responsables de l’innovation, et autres dirigeants privés ou publics, transis de peur à l’idée qu’on voit leur absence totale de vision sur le sujet, qui se mettent à acheter la première techno venue pour faire moderne. Bref, personne n’ose s’avouer son incompréhension du sujet numérique.

Pour leur défense, il s’agit d’un sujet complexe, qui mélange des aspects technologiques, économiques, sociétaux et même psychologiques. Il n’existe pas de référentiel unique, pas de vue d’ensemble, pas de réflexion en amont. Chaque spécialiste donne ainsi son interprétation, créant une myriade de notions différentes, de points de vue spécifiques, voir de certitudes absolues (qui durent le temps de les écrire), évidemment non compatibles les unes avec les autres.

Alors que faire devant ce constat désastreux ? Et bien, heureusement il existe beaucoup d’initiatives. Souvent locales, issues d’associations, de municipalités, d’enseignants motivés (il en existe encore malgré les efforts de l’Éducation Nationale), de professionnels convaincus, des formations autour du numérique, des fresques du numérique, des cours ouverts en ligne, des ouvrages consacrés au sujet, etc.

Il existe ainsi de multiples façons de s’améliorer, de réduire notre incompréhension du monde qui nous entoure. Mais cela reste peut-être très insuffisant face aux évolutions permanentes du numérique. L’idéal serait donc de réussir à attiser la curiosité autour de cette notion de culture numérique. Mais comment faire ?

Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

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2 réflexions sur « Les qualités de 2023 pour survivre dans un monde numérique »

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