Internautes, vous mêritez des bash, mais pas trop !

L’irruption du grand public sur Internet a provoqué des effets de bord désastreux dont l’un d’eux est la recrudescence de vannes et autres moqueries en direct ou en public.

Or si il est facile de vérifier la présence de sa sphère privée physique, il est impossible de mesurer la forme de sa sphère privée mentale. Les internautes moyens confondent donc en permanence leur sphère publique (polis) et sphère privée (oikos), et sont donc des proies de rêve pour tous les moqueurs faciles.

Le bashing (ou « casse », démocratisé par l’insupportable « j’tai casséééé!« ) est alors devenu une signature permanente des personnes (mal) élevées par les réseaux sociaux (non je ne parle ni de génération Y, ni de génération digitale, mais de véritables personnes mal élevées par leurs parents).

Allez, petit tour dans les tréfonds putrides de la casse virtuelle mais si réelle. Car même si certains en font leur fond de commerce, ce bashing n’est pas toujours volontaire et on peut facilement faire du mal à quelqu’un sur Internet sans même le savoir. Et ce bashing peut également être utile. Faisons le tri.

Du bashing involontaire…

Vous avez le droit d’insulter votre voiture, votre ordinateur, votre téléphone portable, votre télé, et même vos chaussures. Mais avez-vous le droit de traiter une personne sur Internet comme si c’était une machine ? Même si celle-ci est à des milliers de kilomètres, même si vous ne la connaissez pas, même si vous ne la croiserez jamais physiquement ? Vous allez me dire non. Et pourtant vous le faites tous les jours.

Cette petite vidéo tirée de A real person, a lot like you pointe très efficacement le doigt sur la problématique centrale de la communication sur Internet : les interfaces hommes-machines nous habituent à parler à des gens comme à des machines.

[youtube width= »550″ height= »405″]http://www.youtube.com/watch?v=cfwwHa-7Ux8[/youtube]

Ainsi sur Internet, peut-on casser, basher sans le savoir, en ne prenant pas en compte la psychologie de la personne qui est en face de nous. « Mais ce n’est pas une personne, ce n’est un avatar ! » allez-vous dire. Ou encore « c’est pas grave, c’est sur Internet, c’est pour rire« . Mais qui a dit qu’Internet n’était pas réel en dehors de quelques universitaires et hommes politiques hors du temps ? Internet est réel. Comme le temps que vous passez dessus et l’impact émotionnel que vous pouvez ressentir sur le réseau l’est aussi.

… Au site de casse malsaine…

En explorant les recoins sombres du web, je suis tombé sur le site « Adopte un connard » (trouvez l’url vous même). Le concept de ce site est simple : afficher des screenshots de conversations où le proprio du site humilie des femmes qui cherchent des mecs sur des sites de rencontre. Il se moque de leurs photos, de leurs motivations, de leurs physiques, de leurs faiblesses, etc. Une humiliation dans ce qu’il y a  de pire, psychologique et publique.

Cela m’a fortement rappelé l’époque des brimades scolaires, où des enfants en manque de leur propre individualité imaginaient l’obtenir en humiliant d’autres enfants « différents ». Ainsi il fallait humilier le plus pauvre, le trop cancre ou premier de la classe, le trop gros, le trop maigre, le trop roux, etc. par peur de se faire humilier soi-même. Nous y sommes tous passés. Dans un camp ou dans l’autre. Et puis nous avons grandis et appris à apprécier (ou au moins supporter) les différences des autres.

Mais certains n’ont pas évolués depuis le primaire et veulent sentir encore et encore cette impression de puissance totale qu’ils avaient à la récré quand ils se mettaient à plusieurs pour tabasser le petit étranger qui ne parlait pas bien français. Ces petits chefs ne méritent que notre mépris, qu’ils soient sur la toile ou ailleurs. Non ils ne font pas rire, ne les encouragez pas.

Mais heureusement tous les sites qui bashent ne sont pas des pourris.

En passant par l’indispensable fou du roi

Car il faut se moquer, il faut savoir rire (presque de tout). Et si je conspue « Adopte un connard« , je ris franchement à Doctissimo m’a tuer car leur différence est énorme. Doctissimo m’a tuer récupère en effet des échanges déjà existants sur Internet pour en rire ou réfléchir. Il montre l’existant alors que Adopte un connard crée lui même l’humiliation discussions, et casse volontairement (pour se faire rire) des victimes sur Internet.

Car le bouffon, le poil à gratter, est indispensable dans toute société qui se respecte. Le fou en alchimie est le dissolvant, celui qui décompose. Aux tarots, le Mat est l’errance, la folie mais aussi la liberté et l’insouciance, garant d’une vie et d’une société saine. Car vivre avec un fou avec un bouffon est salutaire.

Avez-vous d’ailleurs remarqué que les experts digitaux se sont nettement calmés sur l’auto-promo permanente depuis la sortie du blog Personal Branling ? Et ne pensez-vous pas que Doctissimo m’a tuer pourrait alerter les pouvoir publics sur une certaine insuffisance pédagogique dans l’éducation sexuelle ou l’éducation tout court ? Et Bashfr n’a-t-il pas plus fait pour la netiquette sur IRC que tous les PDF et pages « conditions d’utilisation » réunies ? Et « se faire older » sur Twitter ne force-t-il pas les twittos à vérifier la fraicheur de leurs liens postés ?

Ces moqueurs sont donc indispensables. Tant qu’ils se moquent de ce qui existe et ne fabriquent pas leur objet et leur échelle de moquerie.

Conclusion : arrêtons de basher pour des cons

« Nul ne sera l’objet ]…[d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. » nous dit la déclaration universelle des droits de l’homme. Sur Internet, nous trouvons ces atteintes à l’honneur et la réputation partout. Ce n’est pas un problème la plupart du temps. Mais que faire quand cette violence psychologique est gratuite et malsaine ?

Et ces psychoses ne s’améliorent pas avec le temps. De nouvelles sources de stress, de blues, de déprime ou de troubles psychiques se créent à chaque nouvel outil Internet (lire aussi Are your Facebook friends really having more fun than you?). Certes il s’agit de troubles psychiques mais ils n’en restent pas moins des fondamentaux importants pour le développement sain d’une société. Car il ne s’agit pas ici de morale, mais d’épanouissement et de bien être, de liberté et de développement personnel. Et Internet n’en est certainement pas la cause, uniquement les gens qui sont dessus (et les interfaces homme-machine que nous utilisons).

Alors qui peut faire quelque chose ?

  • Le gouvernement ? Notre gouvernement est bien trop occupé par faire voter des lois liberticides et à rester ami avec les producteurs internationaux, en faisant des campagnes de propagande pour faire passer ces lois, ou même par essayer de faire peur à Madame Michu avec des campagnes de publicités désastreuses sur le sujet, qu’il n’a pas le temps d’aider les personnes qui souffrent véritablement à cause d’Internet. Et puis comme d’habitude il risque de se tromper de colère.
  • Les juges ? Ils interviennent, quand vous avez suffisamment d’argent pour payer un avocat (lire Fuyons! Les avocats (et les pourris) investissent le web… ou la société Tuto4pc cramée en 6 étapes). Mais tout le monde n’en a pas les moyens.
  • Les associations ? La grande mode en ce moment est l’addiction à Internet, voir le danger d’Internet ou des jeux vidéos pour nos chères têtes blondes. Quantité d’associations se créent autour de ce sujet, en racontant plus ou moins de conneries. Mais, à ma connaissance, rien autour de l’impolitesse permanente sur Internet.
  • Les profs ? Sont-ils vraiment là pour éduquer vos enfants (ou vous-même) ? Et puis il faudrait déjà supprimer les brimades à l’école avant de s’attaquer à Internet.
  • Les parents ? Certainement. Mais tout le monde ne partage pas les mêmes valeurs. Et pour certains, la loi du plus fort/riche/intelligent est naturelle (tant qu’ils sont du côté de la loi).
  • Nous ? C’est peut-être la seule solution. On pourrait peut-être réinstaurer une netiquette librement choisie, avant qu’un petit nabot nous l’impose par la force ?

Je vous laisse répondre, je n’ai pas de solutions.

Author: Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

9 thoughts on “Internautes, vous mêritez des bash, mais pas trop !

  1. Encore un excellent article (Ce commentaire ne contient pas de flagorneries), mais plusieurs choses me chiffonnent..

    Le bashing sur le web est certes facilité par la distance, il est en effet plus facile d’hurler de rire en se tapant sur les cuisses de la tête d’un haltérophile qui se fait tomber une haltère sur les pieds sur Youtube qu’à quelques mètres de lui dans un gymnase.
    Le caractère masqué et anonyme permet cela, mais j’ai peur de ce type d’idées (que certains auront vite fait de simplifier en « anonymat en ligne » = « anarchie et impunité ») ne fasse avancer le flicage en ligne. ( et vu que la France a vendu des outils informatiques de gestion de la population à pas mal de pays on doit bien en avoir qui tournent en projet chez nous :-/ )

    Autre chose, mais toujorus à prendre avec des pincettes car je ne suis pas un théoricien..
    La compassion pour celui ou celle qui vient de subir à ses dépends un gag ou un odieux « bashing »  est très difficile à envisager.
    La réalité des autres internautes (malgré l’essor des réseaux sociaux) n’est bien souvent qu’un concept très vague pour chacun.

    Grandi devant la télé, la téléréalité, le cinéma,effets spéciaux, bousculé sur ses acquis par les différents bidonnages, plagiats, ou autres théories du complot remettant en cause des choses qu’il a lui-même vu.. (pentagone, 11 septembre, ..) l’internaute  a du mal à distinguer le réel… Alors l’humain derrière la machine.
    L’internaute n’a pas développé son sens critique je n’irais pas jusque là.. mais il est devenu sceptique, méfiant..
    Il ne croit pas toujours ce qu’il voit, il se plait à douter, car il pense que douter c’est la preuve qu’il a un esprit critique (il le croit on lui a dit…)
    Tu cites « Doctissimo m’a tuer » qui est drôle parfois, mais certains articles ne sentent ils pas un peu le fake? tout comme les VDM?
    Nul ne sait ce qui est réel ou pas, ce qui est « vrai Fail » ou « pub virale potentielle »..

    Comment croire que ce gag si méchant est réel? N’est pas seulement une blague? Un montage visant à faire le buzz? Un trucage?
    Tout va tellement loin dans l’incroyable ou le sordide aujourd’hui (actualités, la série des SAW, human centipède etc..) que si l’internaute ne prend de distance il est fichu.
    L’esthétique amateur, low-fi home-made ne facilite pas les choses, Ce n’est plus un critère de veracité (district nine, blair witch, inombrables pubs..)

    « Basher », casser, vanner c’est prendre du recul.. Avec plus ou moins de classe je le concède.
    C’est remettre en cause ce qui est dit, C’est lacher un coup de colère c’est dire j’existe, je t’aime pas!..(c’est très jeune-con-punk-adolescent comme réaction) mais je comprends que certains le pratiquent.
    Le plus bel exemple est à mon sens les réactions aux articles sur 20 minutes,le figaro/yahoo,le nouvelobs. en cette période d’elections le bashing est un sport national.

    Si le trait fait mal à une célébrité? bien fait pour lui ca lui apprendra a etre celebre (jalousie)(nombre de celebrités ont été déclarées mortes ou malades sur le web)
    Si le trait fait mal a un inconnu? pas de probleme justement je le connais pas et je suis meme pas sur qu’il existe..
    Comment savoir si la personne existe? et si elle s’expose de façon consciente et réfléchie ou en étant victime?

    Tu évoques « Personnal Branling »(malgré quelques cas crousillants) ce n’est au final qu’un gigantesque « diner de cons » ou chaque participant est invité..
    (Tiens je vais revoir Ridicules de Leconte ca me fera du bien)

    Les railleries n’ont jamais été l’apanage des écoles primaires Cyroul, elle y sont plus visibles car moins hypocrites..
    Appeler gueule d’acier un gamin portant un appareil dentaire, ou se moquer du défaut de prononciation de l’autre la bas le petit rouquin pour faire marrer les copains..
    Cela perdure bien au delà de l’école.. le milieu professionnel est assez abjecte parfois.. Alors je ne vois pas pourquoi le web ne serait pas le reflet de ce qu’est le monde réel

    En France les gens aiment raconter des vannes, basher, casser (d’où le succès de Brice?) le français aime etre incisif (Desproges, D.Porte, S.Guillon, Bedos…) <- qui me font marrer
    Parfois graveleux, borderline, parfois abjecte, parfois dans l'humour noir.. parfois hélas raciste, misogyne,anti-belge, tout dépend
    C'est assez con comme mentalité faut avouer
    A l'inverse, l'autodérision ne fait pas du tout partie de notre "humour national" j'ai l'impression.

    C'est effrayant et cela ne remonte pas le moral du tout.
    tu viens encore de me bouziller mon groove visant à rendre plus joli ce monde sinistre..
    Mais bon article c'est sûr.

    1. Superbe commentaire. Je pense que tu viens de rentrer dans le top 10 du wikio-klout des plus gros commentaire de ce site. Et en plus très intéressant. 
      J’essaie de répondre à tout : 
      1- flicage : oui ! Le danger de ce genre de discours est effectivement le côté répressif. Sauf que si on ne se prend pas en main nous même, de petits teigneux le feront pour nous. Et la clique à Sarko n’attend qu’un petit suicide de gamin dépressif pour justifier de nouveaux moyens de contrôle du réseau. Les internautes ne pourront dire que « bravo, enfin quelqu’un qui veut mettre de l’ordre dans cet internet dangereux ». 
      2- de la virtualisation de la personne : tu as raison. « nul ne sait ce qui est vrai ». Et ça personne ne peut y faire grand chose… 

      Ou si. Faire attention aux autres, comme une société digne et évoluée qui considère la dignité humaine comme une valeur essentielle. Mais une société comme cela a besoin de représentants comme qui porte haut ces valeurs. Et la nôtre n’en fait pas partie hélas. (vivement 2012).

  2. Article interessant et tres detaille.
    Cependant, le denigrement volontaire (troll) et involontaire (bashing) donne aussi un effet cathartique, il donne egalement a developper des capacites de resilience des personnes, et permet aussi de ce voir confronter a des expositions et des opinions differentes. Etrangement, quand on constate la dramatisation de tout evenement, le troll/bashing permet aussi de ce dire: « le monde ne va pas s’arreter de tourner pour autant. »
    Sans l’encourager, je pense que c’est une etape necessaire pour la construction sociologique de l’Internaute

    1. Point de vue intéressant que je peux tout à fait comprendre. 
      Mais un point de vue dangereux également. En suivant ce raisonnement, on peut vite tomber sur « seuls ceux qui sauront s’adapter survivront ». Ce qui exclu donc les personnes âgées (moins aptes à reconstruire leurs connaissances, c’est une réalité physique, ne trollez pas), les « digital underclasses » (lire http://blogs.lse.ac.uk/mediapolicyproject/2011/07/26/digital-underclass-emerges-in-the-uk/ ), les enfants (qui iront sur internet avec ou sans la permission de leurs parents), etc. Pour ma part, je préférerai garder un internet ouvert.

  3. En même temps, si les gens ignoraient les pros du web qui se la pètent on n’aurait pas besoin de personnal branling. Tout comme si on ne riait pas aux blagues des trolls ils ne grossiraient pas. Je pense que les spectateurs, followers et retweeteurs ont aussi une part de responsabilité.

    1. Oui tu as raison. 
      Mais c’est le propre de l’homme de se marrer quand il voit un aveugle se prendre un poteau. Seulement après il regrette et s’excuse (si il en a la maturité). Sur Internet, il change de page.
      Je crois que le problème est définitivement là. L’internaute pense que les gens croisés sur le réseau sont virtuels. Et qu’ils ne méritent donc pas la considération de personnes réelles. 

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