Le reposting n’est pas du blogging ni du journaling

Tout a commencé par un tweet anodin :

Une étude à la con ? Peut-être. C’est surtout une étude qui revient tous les 6 mois dans les médias. Alors légende digito-urbaine ou réalité scientifique ? Etant très curieux des néo-comportements induits par les nouvelles technologies, et n’ayant jamais pris le temps de vérifier si cette étude était sérieuse ou pas,  je décide d’en savoir plus. Là commence mon long périple vers la vérité… (tatatsoin)

L’autre info

Le lien proposé emmène provient du blog/média L’autre info, actualité insolite, drôle et buzz – ce qui augure mal de la crédibilité du sujet. On tombe sur un article daté du 4 octobre 2013 et ayant très peu tourné (56 like Facebook / 1 Tweet / 0 G+). En terme de contenu on y trouve essentiellement une citation d’un certain Docteur Larry Rosen qui nous parle de comportement compulsif obsessionnel. Nous n’y apprendrons pas grand chose d’autre – tout est dans le titre.

repost-1

L’article se clôt sur une traditionnelle question d’activation de commentaire (« et vous ? »). Mais cite comme source un autre site (mais sans lien) : Gizmodo.fr Je décide de tenter ma chance chez Gizmodo.

Gizmodo

Je tombe sur un article publié un jour avant (le 3/10) qui aura beaucoup plus tourné (479 Facebook  / 159 Tweets / 16 G+). Forcément Gizmodo a une belle audience. Enfin 480 like c’est pas bézef non plus. En terme de contenu on apprendra en plus que le nom officiel de la perception des vibrations fantôme est Ringxiety ou hypovibochondria. On y retrouvera la même citation du Docteur Larry Rosen, sans avoir aucune précision sur son titre de Docteur. Aux US tout le monde pouvant être docteur, je me méfie. repost-2 Mais Gizmodo aura la qualité de mettre un véritable lien vers sa source – le site Dvice. Je me précipite dessus pour trouver la vérité.

Dvice

Je tombe sur une page en anglais datée du 02/10 (un jour avant Gizmodo) avec des scores de propagation assez moyen (pour une page anglaise) : 929 Facebook / 77 tweets / 10 G+. Il est intéressant de remarquer que la façon de propager l’article semble catégoriser celui-ci. Beaucoup de Facebook pour nettement moins de tweets et de G+. Cela signifierait-il que c’est un média (Dvice) ou un article à vocation très grand public et pas très sérieux ? repost-3 Mais je ne suis pas là pour ça. Je suis là pour savoir d’où vient cette étude.  Hélas, je n’y trouve pas plus d’information. En dehors du fait que ring-xiety est écrit avec un tiret, ce qui change tout (j’avais pas saisi le jeu de mot). Heureusement une source linkée indique NPR. Je reprend ma quête vers la vérité.

NPR > all tech considered

Enfin on tombe sur un vrai contenu. Un article du 27/09 (5 jours avant Dvice donc) de la catégorie techno/culture du site National Public Radio (NPR) va commencer à véritablement nous informer. repost-4 On y trouvera notamment un lien sur la publication scientifique Phantom vibrations among undergraduates: Prevalence and associated psychological characteristics de Michelle Drouin, Daren H. Kaiser, Daniel A. Miller (d’Indiana University–Purdue University Fort Wayne -US). Une publication récupérable sur Science Direct (un site d’agrégation de publications de chercheurs). Cet article nous proposera également une autre référence au syndrome de vibrations fantômes remarqué en premier chez les équipes médicales sur le site BMJ (un site pour les professionnels de santé) : Phantom vibration syndrome among medical staff: a cross sectional survey. Et nous apprendrons enfin que le Dr. Larry Rosen, est un chercheur en psychologie qui travaille sur la façon dont les technologies affectent nos cerveaux.

Bref, nous avons donc trouvé nos sources sur le site NPR. On peut remercier la journaliste Elise Hu qui a écrit un véritable article sourcé et intelligent (et court – le format idéal pour Internet).
Mais nous ne saurons pas le succès de cet article car les boutons de propagation sont cachés dans la barre de droite, accessible en 2 clics et sans mentions des RT/like et G+.

Cela voudrait-il dire que le vrai journalisme n’a pas besoin de faire le beuze sur les réseaux sociaux ?

Le triomphe du blogo-journalisme de daube

Il m’a donc fallu visiter 4 sites/blogs/médias pour trouver une information potable. La distinction entre site, blog et média est quasiment impossible. Le blog faisant des articles soit-disant sérieux (comme un site) pour faire de l’audience (comme un média).

Newseum-trust-blogs
nous sommes mal barrés

Et hélas, le nombre de ces sitesblogomedias augmente. Le nombre de récupération d’article augmente dans la même proportion et la qualité baisse peu à peu jusqu’à atteindre le niveau de la sous merde informationnelle. Vous riez ? Vous me trouvez pessimiste ? Vous ne croyez pas que le niveau puisse descendre ?

En 2008, Mashable était l’une de mes sources techno/économique favorites. On y trouvait des articles pointus sur le digital, sur la technologie, sur les usages. Je lisais et recommandais ce site en permanence. Aujourd’hui, sur sa page d’accueil on y trouve du cul, de la télévision, des stars, bref du mainstream qui fait du clic. Par exemple : 

  • The Evolution of Lingerie Through the Ages 
  •  Vote for Your Favorite Video Game of 2013 
  •  HBO Wants You to Bring Your Worst to Joffrey on Twitter 
  •  Naked Stop-Motion Empowers You to Love Your Body 
  •  9 Times Taylor Swift Was an Actual Disney Character,
  • etc..

A peu près 70% d’articles à clics (aka « de merde ») sur la page d’accueil de ce qui était l’un des meilleurs blogs traitant d’Internet il y a 5 ans. Et ne dites pas que c’est purement américain. Le blog Presse Citron que j’aimais beaucoup a pris un goût sacrément amer depuis quelques années.
Mais c’est hélas un processus normal, tous les médias donc le modèle économique est basé sur la page vue ou le clic sont peu à peu obligés d’appauvrir leurs articles pour n’en garder que la portion congrue,  cette couche croustillante qui provoque le clic (le trash, le cul, l’étonnant, le gore, le comique, etc. – ce sont les mêmes que les piliers du viral).

Le choix des sources sauvera le web

Alors cet appauvrissement des articles, des journalistes, et des médias est-il inéluctable ?
Non, pas forcément. Tant que nous gardons la main sur les sources que l’on regarde. Et l’une des avancées technologiques qui aurait pu (et qui peut encore) nous permettre de garder le contrôle est celle du flux RSS. Avec les RSS, au lieu d’être pris dans une tourmente de liens venus des réseaux sociaux, c’est vous qui choisissez les liens que vous allez regarder en fonction de VOS sources sélectionnées. Ainsi, aujourd’hui, je viens de virer Mashable de mes flux RSS pour y rajouter NPR/all tech (et ça fait longtemps que Presse Citron n’y figure plus). rss_drop

Le flux RSS, c’est le contrôle de l’internaute sur les sources d’informations gratuites. C’est la possibilité de virer les médias de merde pour ne garder que la crème des journalistes. C’est retrouver un web de qualité (ou au moins un web non guidé par des taux de clics). Et c’est d’ailleurs pour cela que Google a arrêté Google Reader. Car un web de qualité lit beaucoup, mais clique nettement moins qu’un web plein de photos de chats. Et sans clic, point d’argent, ma bonne dame. Car un flux RSS n’a pas besoin d’intermédiaire entre l’émetteur (le site) et le récepteur (vous). Alors que Google préférerait que vous passiez toujours par lui pour faire vos recherches. Car le flux RSS correspond à l’esprit du web, cet esprit de partage gratuit et de propagation horizontal (sans intermédiaires).

Alors pour lutter contre Google et ce journalisme médiocre, reconstruisons nos flux RSS ! Apprenons aux gens qui nous entourent à s’en servir. Reparlons en (et pas seulement quand Aaron Swartz se suicide). A bas de le reposting !  Vive le flux RSS !

Author: Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

15 thoughts on “Le reposting n’est pas du blogging ni du journaling

  1. Merci pour le lien NPR, qui va de fait atterrir aussi dans mes flux.
    Petite pondération : en fonction des gens que je suis, qui ne partagent que peu d’info de type « buzz à deux balles », les partages sociaux me permettent aussi de faire découvrir de nouvelles sources – comme ton article vient de le faire.

  2. Merci Cyril pour cet article. Je constate le même phénomène d’appauvrissement de l’information fortement lié à la montée en force des réseaux sociaux. Je suis sidéré de voir que les articles postés sur Facebook par LeMonde recueillent 10 likes et 1 comment quand une photo un peu virale est diffusée de mur en mur. On ne prend plus le temps de lire les articles à rallonge argumentés et pondérés. Avec la masse d’info qui arrive dans les tuyaux, entre un article sur le conflit afghan et « un petit Buzzfeed de fin de journée », généralement c’est le Gif qui l’emporte.

    On pourrait penser qu’il faut de l’info pour tout le monde : l’une légère et l’autre pointue. Sauf que les médias traditionnels sont obligés de s’adapter, de remplacer le texte par le visuel, le contenu de fond par du contenu SEO. Et c’est comme ça que j’ai droit sur mon appli L’Express à des tutos maquillage. Je ne leur en veux pas, la guerre est féroce en ce moment pour la presse.

    Enfin un dernier point important : le fait que les réseaux sociaux sont devenus le lieu du « community management de sa vie » où chacun pose pour se donner un style (il y a l’engagé politique, celui qui se fait rare, l’intellectuel, l’ironique, le critique etc…). Le relai d’informations pas toujours vérifiées vient généralement renforcer cette image que les gens cherchent à se construire sur les réseaux sociaux (« regardez cette petit pépite trouvée sur Fubiz les gars » « Lisez le dernier Sartre, c’est une bombe » « HONTEUX, des opossums défenestrés en Afrique du Sud »..).

    Je suis atterré par le relai d’informations de propagande politique sur Twitter (photos racistes, « scandales », complots…) et l’indignation générale sur tout et n’importe quoi. Des « informations » qui généralement nécessitent une recherche sur Google pour être démontées.

  3. NPR :
    Facebook – 5 505
    Twitter – 142
    G+ – 52
    LinkedIn – 36

    Voilà voilà ^^

    Marrant quand même cette baisse de popularité du flux RSS depuis qqs années, il n’y a pas si longtemps, tout le monde dans le petit écosystème webeux en utilisait un. Et cela semble révolu, on préfère tweeter vers un Scoop-it ou s’informer via Facebook. Assez réducteur, et marrant du coup de voir des gens se plaindre de trop voir tel ou tel site, avec des infos vraiment pourries. Comme s’ils n’avaient pas le choix et que leurs lectures leur étaient imposées…

    Bref, je suis globalement d’accord, avec la nuance « si on aime pas on lit pas, tout simplement ». Les tentatives de machines à clics ont toujours existé, elles se sont juste décomplexées depuis que Buzzfeed est érigée comme sauveur du journalisme et que l’étiquette Native advertising est utilisée à toutes les sauces pour survendre de l’espace. Perso je n’y vois pas vraiment d’inconvénient, tant que les sites en question ne se vendent pas comme des journalistes, comme tu dis…

    Que je te prenne pas à virer le blog du Modérateur de tes flux en tout cas, vil coquin !

    1. Le blog du modérateur est fossilisé dans mes flux RSS, aucune chance de le virer :)

      Certes, quand on aime pas, on ne regarde pas. Seulement, le web se transforme en télévision géante, avec 4 canaux imposés : Google (search, youtube, gmail, g+) / Apple (itruc) / Facebook / Microsoft.
      Comment les gens non informés pourront-ils aller chercher de l’info ailleurs sans passer par ces 4 grandes chaines de télévision ou les chaines annexes des providers (orange, free, sfr) ?
      Une seule solution, revenir à des systèmes sains de syndication de flux en temps réel : RSS !

      1. Pas mieux, je reste fidèle au RSS. Sinon, penses que Yahoo va réussir à entrer à nouveau en 2014 dans le cercle des canaux digitaux imposés ?

    2. J’ai l’impression d’être complètement déconnecté de vos histoires (j’entends par là ce qui raconté dans le billet et ton commentaire). Sûrement parce que je n’ai jamais cessé d’utiliser les flux RSS. Et en même temps, je trouve que le billet saute une étape dans la réflexion et que Cyril donne justement dans la réponse à ton commentaire : Seulement, le web se transforme en télévision géante, avec 4 canaux imposés : Google (search, youtube, gmail, g+) / Apple (itruc) / Facebook / Microsoft.

      Là forcément, on comprends pourquoi parler des flux RSS, on les choisit, indépendance tout ça. Par contre, d’une part, les flux RSS ne sont pas indispensables pour la gestion des sources (sauf pour une gestion à grande échelle, ce qui doit être le besoin de 5% des internautes, ouais j’aime tirer des chiffres du chapeau). D’autre part, les 4 noms cités ci dessus n’influencent pas vraiment mon choix des sources d’infos. En même temps, comme je l’ai dit, je crois que je suis hors cible dans l’histoire. Ca fait déjà pas mal de temps que je ne crois plus du tout aux filtres sociaux et encore plus longtemps que je regarde de très loin les sources d’infos « grand public ».

      1. Forcément, tout dépend de ton utilisation du web. Là je parle du grand public, qui se fait informer par Buzzfeed et autres outils de médias de beuze. C’est lui qu’il faut apprendre les qualités du flux RSS, avant que ce flux RSS se fasse supprimer.
        Non je ne crois pas être pessimiste, Google a supprimé G Reader, il y a bien une raison.

        1. Mais le grand public lit-il ton blog ? Tu devrais mettre ton article sur Buzzfeed :p
          Plus sérieusement, le « malheur » de ces billets, c’est qu’ils sont lu uniquement par des gens qui pensent la même chose et ne peuvent pas faire grand chose d’autres que compatir. Ce n’est pas tous les jours qu’une minorité arrive à faire bouger une majorité (mais ça arrive ! Un peu d’optimisme :D).

  4. C’est un bon exemple de ce que j’expérimente souvent pour rechercher une source. Mais merci de ne pas assimiler ces blogs à du journalisme – ni même à des blogs d’ailleurs, il faudrait un autre terme…

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