Publicité: le story-lying ne paie plus

Le mensonge est une forme de manipulation qui vise à faire croire ou faire à l’autre ce qu’il n’aurait pas cru ou fait, s’il avait su la vérité. In Wikipédia

Le métier du publicitaire est de raconter des histoires, on appelle même ça du storytelling. Des histoires merveilleuses dans lesquelles la marque ou le produit sont les héros et leur cible de consommateurs, son héroïne.

La publicité est donc un métier formidable qui permet d’apporter du rêve dans un quotidien terne, mais aussi hélas de changer l’eau en vin, une voiture en objet écologique, une arnaque en opportunité financière. Un métier qui peut être beau (quand il apporte du rêve et de la beauté) ou répugnant (quand il vous ment sans complexe).

Car la frontière entre une douce exagération pour faire rêver et un mensonge honteux est ténue. Et certains n’hésitent pas à la dépasser sans honte et sans scrupules, pratiquant ce que l’on pourait appeler du story-lying.

Je profite donc de mes vacances pour déblatérer sur le concept du story-lying, une spécialisation de la publicité centenaire mais pourtant si peu connue.

Publicité = menteuse légale

De temps à autres, la réputation immaculée de la publicité est entachée par des affaires comme celle de Roundup, le pesticide de Monsanto, traduit en justice pour pour avoir vendu un produit écologique alors qu’il ne l’était pas (lire Roundup : le mensonge publicitaire de Monsanto confirmé par la cour d’appel de Lyon).

Mais heureusement, il s’agit d’épiphénomènes vite oubliés. Et jamais les grands publicitaires ne se mélangeront à ce genre d’affaires. Même quand ils suggèrent que « manger des céréales Nestlé va vous faire maigrir » ou vous racontent que « dans Oasis y’a des fruits » ou encore essaient de vous faire prendre de l’Actimel pour du yaourt.

Vous allez me répondre que cette communication ne dépasse par le cadre légal. Que la composition de l’Oasis est écrite sur son étiquette (12% de fruits, tout le reste étant de la flotte, du sucre et d’autres trucs étranges), qu’Actimel est un lait fermenté à boire, et que Nestlé ne dit jamais que vous allez perdre du poids en mangeant ses céréales. Tout ceci est donc parfaitement légal (par contre raconter le contraire c’est à la limite de la diffamation, alors circulez).

Et effectivement, la loi est le (seul) rempart sur lequel se reposent les publicitaires. Si c’est légal, on le fait ! Par contre, la vérité n’est que rarement prise en compte dans l’équation. Le premier réflexe du publicitaire sera de vérifier si son slogan ou son dispositif est légal, pas si il est juste.

Une fois le cadre légal établit, plus rien n’empêche donc un publicitaire menteur de raconter ce qu’il veut, comme il le veut. Et là commence le règne du story-lying…

Car les avantages du story-lying (et telling) sont nombreux

Construction rapide d’une marque

Moleskine est une marque de papeterie qui a basé son lancement publicitaire sur un mensonge. Picasso, Matisse, et Hemingway, et bien d’autres auraient utilisé des carnets Moleskine. D’un coup, le consommateur fortuné et cultivé se prend pour Victor Hugo et achète un carnet. Moleskine est devenue ainsi une référence incontournable de la papeterie en quelques années, explosant ses concurrents pourtant monopolistes. Seulement, tout ça est faux. Peut-être que Picasso, Matisse et Hemingway utilisaient un Moleskine, mais ce n’était certainement pas celui de Modo & Modo (la société produisant les carnets actuels).

Aujourd’hui, le mensonge est éventé (lisez Le « Moleskine d’Hemingway » ou la magie du marketing ou encore Le Moleskine, mythe ou imposture ?), et Moleskine est bien moins catégorique dans ses communications à propos de ses illustres précurseurs.

Réponse rapide à un besoin consommateur

Question : qu’est ce qui différencie une serviette hygiénique d’une autre ? Réponse : uniquement l’histoire (la publicité) qu’il y a derrière.

Il y a quelques années je travaillais sur le sujet des serviettes hygiéniques. Malgré une part importante de R&D sur le sujet, l’innovation était proche de zéro et les bénéfices produit pour les consommatrices étaient semblables.

Dans ce cas, il faut savoir raconter des histoires (plus sympas que celles avec le sang bleu) pour vendre SA marque à la place de l’autre. Le storytelling devient un critère déterminant pour se distinguer de la concurrence. Et le lying n’est jamais loin (vous avez envie de faire de la gym en string, vous, quand vous avez vos règles ?)…

Création de besoin (du quelque chose plutôt que rien)

Les smoothies ne sont rien de plus que des jus de fruit storytellés – donc plus chers – mais ils sont devenus un accessoire indispensable de l’urbain eco-consommateur qui veut le montrer (qu’il est consommateur eco et urbain).

Seulement, certaines histoires de smoothies sont devenus de véritables symboles (notamment Innocent et sa success story écologique basée sur des canettes). Et aujourd’hui la couleur verte et les petites fleurs vont vous évoquer le bio et l’écologique là où il n’y en a pas forcément. Car l’histoire du smoothie est tellement bien implantée dans l’esprit du consommateur ciblé que ce dernier achètera ou testera le produit si il y a écrit smoothie dessus.

Faire durer votre produit le plus longtemps possible

Si vous êtes familier avec le concept marketing (ancien) du cycle de vie d’un produit, vous savez que la « phase de déclin » (decline stage) sera douloureuse car elle se caractérise par une diminution constante des ventes, dûe en générale par l’apparition de nouveaux produits, tendances, concurrents, etc.

Face à cette diminution inéluctable des ventes, deux choix (je simplifie à l’extrême) s’imposent à vous : (re)investir dans de la R&D pour travailler sur les évolutions de votre produit ou investir dans de la communication pour essayer de vendre votre produit le plus longtemps possible.

Et c’est là où le story-lying peut être utile. Rajoutons un peu de citron dans la formule et hop, vous voilà avec un nouveau smoothie innovant et original qui ne vous aura rien coûté.

Alors pourquoi investir dans de la R&D et de coûteuses études consommateurs alors qu’il est si facile de faire de la pub – un peu mensongère mais bon, un placebo n’a jamais tué personne hein ?

Le story-lying a payé pendant des années, mais ça change

Car aujourd’hui les clients s’informent dans le dos des marques.

Moleskine avec sa belle histoire a fait rêver ses consommateurs. J’en suis un et je peux vous assurer que c’était un beau mensonge. Seulement, la révélation a été dure à avaler. Heureusement que le produit est de très bonne qualité (- ceci n’est pas un billet sponsorisé-) car ça aurait été le bad buzz assuré pour la marque.

Néanmoins je ne croirais plus jamais dans les annonces de Moleskine. Oui je continue à utiliser le produit, mais, je n’éprouve plus aucune sympathie pour cette marque. Le jour où un concurrent fera des carnets aussi bons, je changerai sans un regard en arrière.

Car la réputation d’une marque ou d’un produit va aujourd’hui plus vite que le mktg et la com.

L’exemple idéal est celui de la musique.

Susan Boyle, a été sacrée star internationale en moins d’une semaine grâce à sa superbe voix mais surtout à Youtube. Elle n’aurait (n’a?) eu aucune chance dans les années 90. Vous l’imaginez castée chez les Spicegirls ?

Avant il suffisait de sortir un bouse musicale à grands renforts de marketing et hop, le bon public achetait car il entendait ça à la radio, ou voyait le clip à la TV. Aujourd’hui le méchant public se renseigne, écoute ce que lui envoient ses amis et n’achète plus le girlsband inaudible mais hyperbrandé.

Résultat : une industrie basée sur le mensonge dans le rouge (alors même que les vrais artistes s’en sortent grâce à leurs concerts). Non ce ne sont pas les pirates qui sont responsables, mais les producteurs face à une industrie spécialisée en story-lying confrontée à ses mensonges.

Car il peut vous arriver de mal dormir

Certes, si vous arborez une Rollex comme gage de réussite, vous n’en avez certainement rien à cirer de raconter des mensonges pour vendre votre produit. Mais si avez vous quelques idéaux un peu philanthropiques (ou même tout simplement une conscience morale), vous risquez de mal dormir la nuit.

Je me demande toujours comment font les agences, non, les salariés d’agence (car il faut arrêter de se planquer derrière le système) qui vendent du crédit revolving pour continuer à se regarder dans une glace sans vomir. Derrière quels arguments se planquer pour entrainer à la ruine des milliers de pauvres gens ? L’obligation de s’acheter le dernier scooter 125 ? La peur de se faire virer ? Le peur qu’on fermer sa société ? La conviction que seuls les plus forts doivent vivre ?

Le story-lying ne vend plus

Car dans une société qui tente de devenir responsable, ce story-lying devient une notion de plus en plus critiquée. Si mentir était cool dans les années 80, aujourd’hui cela devient dangereux et peux vous coller aux basques pendant longtemps.

Par ailleurs, en 2010, la transparence devient une valeur recherchée par vos consommateurs (qui commencent à en avoir marre de se faire mener en bateau) et le marketing conversationnel devient un argument de vente qui fait ses preuves.

Alors ce contexte suffira-t-il à faire disparaitre plus de cent ans de pratiques publicitaires mensongères ?

Vous le saurez peut-être dans la suite de cet article (qui devrait sortir bientôt – je suis en vacances, profitons-en).

Author: Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

6 thoughts on “Publicité: le story-lying ne paie plus

  1. Merci, cela fait plaisir à lire: tous ne souscrivent pas à ces méthodes!

    En tant qu’éditeur du site http://www.codepromo.com, je suis particulièrement sensible au paragraphe sur le crédit revolving: je me suis toujours refusé à en faire la promotion (sauf à y voir un vrai bénéfice pour mes visiteurs), malgrès les revenus allechants qui m’étaient (et me sont toujours) proposés.

    A ce titre, lire que je ne suis pas seul me rassure un peu. Donc merci!

    Wally.

  2. Bon post, comme d’hab.! J’ai lu il y a quelques jours un post sur un sujet assez complémentaire intitulé « Unlike Advertising, Social Media Can’t Save A Bad Brand, Product Or Service ». De plus en plus, il faudra dire : Même la publicité ne peut pas sauver une mauvaise marque ou un mauvais produit…

    PS: Si tu arbores une « Rollex »(avec deux « l » au lieu d’un), la seule réussite que tu arbores, c’est celle de ton voyage en Chine… ;)

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