Stephen du Tag Parfait : du pr0n à tous les étages

J’ai décidé de faire des interviews des gens intéressants d’Internet, pas les gens qui font beaucoup de bruit, qui passent à la TV ou qui se la jouent experts du digital. Non, des interview de vrais gens qui ont créent des chosent qui n’existaient pas avant, histoire de garder une trace de ce qui se passe dans l’histoire du réseau en France.

Et je vais commencer par Stephen (@desgonzo) qui a largement bousculé le territoire pornographique français depuis son arrivée en 2010. Alors oui, on va parler pornographie (une fois par an j’ai le droit)., mais on va surtout parler d’internet et de sexe, et des évolutions de l’un et de l’autre.

Une interview Safe For Work, mais truffée de liens qui ne le sont pas…

Bonjour Stephen, qui es-tu ?

stephen1J’ai 28 ans, j’habite à Paris, j’ai quelques passions : la musique, le sexe, la bouffe et internet ; le reste est dispensable pour moi. J’ai monté il y a 3 ans le site le Tag Parfait et j’en suis toujours le rédac chef.

Mais c’est quoi le concept du Tag Parfait ?

C’est parler de porno comme d’une culture à part entière et de le traiter avec recul, humour, subjectivité… On ne fait pas véritablement d’actu porno, on préfère les histoires à côté, le porno à travers le prisme du net et surtout comment il est consommé. J’aime aussi l’idée qu’on soit lu par des gens qui s’en foutent du porno, on est un peu le So Foot du porn, So Porn !

Plus précisément, ce nom de “tag parfait” vient de cette utopie de croire qu’en associant des mots clés, un tube va nous sortir la vidéo qui corresponde à nos attentes. Plus le porno s’est développé sur le web, plus on y a eu accès facilement, plus on est devenu exigeant. C’est savoir pourquoi telle vidéo fonctionne et pas une autre qui m’intéresse, bien au-delà du porno en lui même. C’est les mécanismes de l’excitation qui me fascinent, les actrices, les acteurs, je m’y intéresse évidemment mais ça n’est pas (personnellement) ma priorité. Je n’ai pas monté ce site pour approcher ce milieu ou traîner dedans.

Es-tu content du site ? A-t-il beaucoup changé ? Va-t-il encore évoluer ?

Le Tag PArfaitJe suis content qu’au bout de 3 ans, on ne se soit pas rabaissé à faire de l’audience à tout prix, ou accepter n’importe quoi, que cette ligne éditoriale tienne la route et qu’on me dise “vous n’avez jamais changé”, c’est très important pour moi. Le site a évolué, s’est enrichi, s’est plus ouvert, mais on peut encore faire énormément de choses, notamment sur la vidéo et le passer en anglais (mais ça coûte un bras de faire traduire/adapter correctement les textes). C’est également extrêmement dur de contenter tout le monde, on a un lectorat assez large et exigeant, j’imagine qu’on doit créer des attentes et des frustrations. Comme on est vraiment très loin d’avoir fait le tour de la question, beaucoup de choses sont encore à faire.

J’ai un vieux fantasme de magazine hédoniste, organique, dédié entièrement au plaisir, on verra ce qu’il se passe dans le futur, mais si j’avais les moyens, j’irai rapidement vers là, une sorte de Playboy moderne sans non plus s’éloigner de la base qui est de parler de porno.

Ton site sort enfin des gros clichés du primitif qui prend la femme pour un bout de viande et l’acte sexuel comme un divertissement honteux pour rentrer dans l’expression du sexe comme un acte mental et esthétique. C’est voulu ?

On prend le porno comme il est : essentiellement un support masturbatoire, donc on le relie au plaisir visuel, tactile, mental. On va pas se mettre à intellectualiser à outrance, ou à tomber dans le vulgaire, on essaye d’exprimer un entre deux qui n’est pas si courant en France, c’est l’idée du cool, d’accepter l’entertainment et de le promouvoir de manière – j’espère – agréable. Le porno est également un support pour exprimer des fantasmes, on fait vraiment la part des choses entre ce qu’on voit et ce qu’on fait, il y a forcément des ponts, mais il ne faut pas oublier que ça reste du spectacle, c’est sublimer la réalité.

Mes articles préféré sont ceux qui parlent de l’industrie du porno digital. Dans quelle mesure peut-on comparer le monde du porno à celui du digital ?Et comment as-tu récupéré toutes ces informations ?

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Stephen a des chapeaux rigolos

Le porno évolue essentiellement dans le monde digital donc il fait face aux mêmes problématiques (piratage, accessibilité gratuite du contenu, business model à réinventer, secteur de la publicité en ligne…) et aux évolutions d’usage (streaming, réseaux sociaux…). Les infos je les récupère comme le google journaliste que je suis, via internet ! La différence c’est que je suis peut-être plus curieux que d’autres et que j’ai pas attendu que Fabian Thylmann se fasse arrêter pour m’intéresser à lui.

L’histoire des sextubes est assez fascinante, on a très peu d’infos là-dessus, il faut arriver à comprendre comment marche ce business et essayer de glaner les infos comme on peut, surtout du côté webmaster (la face cachée du web en ligne, qui est tout aussi intéressante, y’a tellement à raconter ! Les gens ignorent complètement comment ces gens se font de l’argent). C’est assez excitant, car c’est récent, flou, en perpétuelle évolution ; il faut réinventer un modèle, les mecs se cachent dans des paradis fiscaux, ça sonne un peu comme un polar pour geeks avec une bonne dose de sexe (bien que les webmasters en ont souvent rien à cogner du porno, ils vendent ça comme s’ils vendraient des pots de yaourts).

Quand je te vois en photo (ou quand je te croise dans des endroits confidentiels), je trouve toujours que tu as une tête de grand timide. Est-ce vrai ? Dans quelle mesure le web t’a-t-il permis de vaincre ou compenser cette timidité ?

J’ai toujours été très timide, dans ma bulle, même si ça peut m’arriver d’être expansif quand je suis excité ou que j’ai bu. Le web m’a permis de m’exprimer plus facilement, car j’ai l’impression de mieux maîtriser le terrain sur lequel j’évolue. Derrière un ordi tu te sens moins observé ; quand t’es timide, pour être à l’aise, tu as besoin de dominer la situation, ce qui peut passer souvent pour de l’arrogance. Je suis peut-être maintenant plus assuré en société car je maîtrise certains sujets, mais il suffit d’un rien pour que je retourne dans ma coquille. Par contre le Tag, à force de rencontrer des gens, faire des interviews ou y répondre, m’a donné un poil plus d’assurance, avant j’avais vite tendance à rougir et à fuir (au moins dans ma tête).

Le succès du tag parfait a-t-il changé ta libido ? Ta vie sexuelle ?

tagparfait
Le tumblr du tag parfait est très cochon

Je ne pense pas que ça ait changé grand chose, j’ai toujours eu une libido “développée”, mais les filles viennent me parler plus facilement qu’avant, ce qui m’arrange pas mal vu que la drague c’est pas du tout mon truc, je suis très introverti, contrairement à ce qui peut transparaître sur mon Twitter ou sur le site. Au niveau sexuel, ça m’a permis de parler plus ouvertement de tout et d’assumer ouvertement plus de choses. Je vois le sexe comme un bel espace de liberté, et je déteste les conventions ou les “normes” là-dedans, ça doit être rester animal, sauvage, sans limite, dédié uniquement au pur plaisir.

Le porno web c’est aussi une mafia. As-tu eu des contacts avec cet aspect peu reluisant de la profession ? Comment arrives-tu à gérer cela ?

On reste assez indépendant et pour le moment on n’a pas encore vraiment mis un pied dans la production, donc on reste à l’écart de ce milieu qui est un peu déconcertant par son manque de recul ou d’éthique. Puis on n’est pas forcément bien vu, tu sens que ça grince des dents, on parle ouvertement du porno comme il est consommé à l’heure actuelle et massivement : c’est à dire via les tubes, qui est un gros tabou dans le milieu, c’est devenu le bouc émissaire de la crise qu’il traverse. Si on passe pour les petits cons prétentieux du web, pourquoi pas, que le milieu en France commence déjà à essayer de faire des bons pornos et après on en reparlera.

Sinon concrètement on m’a déjà menacé, parce que je faisais simplement mon job de journaliste. Le genre de coup de pression à l’ancienne qui est assez désagréable à recevoir, mais j’imagine que c’est pareil un peu partout dès que tu mets le doigt sur un truc louche qui devrait pas se savoir. Après ça reste que des paroles, des coups de pute dans le dos, c’est pas bien grave. Le jour où on fera de l’argent, ça sera sûrement une autre paire de manches.

Penses-tu que le porn web peut changer les relations sexuelles entre les hommes et les femmes ? Quels vont être selon toi les évolutions possibles de ces changements de comportement à 5 ans, à 10 ans, à 30 ans ?

Stephen mange des moules
Stephen mange des moules, non des huitres (pardon)

Je ne pense pas que le porno change grand chose (et ne changera grand chose) dans les relations sexuelles entre les hommes et les femmes, ça serait assez étonnant qu’un produit culturel ou de divertissement ait une telle emprise sur l’humanité. Par contre, il y a et il va y avoir une réelle évolution de la pratique de la masturbation. Ça fait déjà quelques temps que les sextoys pour mecs sont devenus aussi cool que ceux pour filles, et on peut déjà clairement parler de masturbation augmentée : orgasme plus puissant, sensations différentes, on est dans le grand 8 de la masturbation. Mais la vraie révolution va arriver quand (et c’est déjà un peu le cas) le porn web va réellement s’associer avec l’industrie du sextoy et proposer des produits en adéquation. On peut déjà “baiser” à distance, même si ça coûte un peu cher et qu’on est encore au stade de l’expérimentation, mais d’ici 5 ans je suis persuadé qu’on pourra se passer de “mains” et laisser des sextoys faire le taff contrôlé par l’ordi et en rapport avec l’image. Dans 10 ans, on inventera une drogue qui rendra le sexe encore plus intense et dans 30 ans, on aura enfin des hologrammes pornos et on aura des porn stars à la maison. Possible aussi que l’humanité s’effondre dans une overdose de dopamine/endorphine et qu’on ne trouve plus l’intérêt de baiser pour se reproduire. Ça fait rêver ou pas ?

Pourrais-tu définir les différentes époques du sexe sur Internet depuis les années 80 (voir depuis le minitel) ?

3106821891_1_5_fSNAmBMnJe vais parler des périodes que j’ai vécu parce que je suis vraiment pas une encyclopédie du porn. Le porno en ligne a vécu à mon sens trois révolutions : l’arrivée d’internet dans les 90s, qui a permis d’accéder à du porno sans avoir à raser les murs, ou aller dans un sex-shop avec un imper noir et un chapeau. L’arrivée de l’adsl au tournant 00s qui a permis d’accéder plus facilement à la vidéo et enfin l’arrivée des tubes à partir de 2006-2007 qui a fait exploser son accessibilité en prenant le modèle de Youtube. La prochaine révolution, et on l’attend avec impatience, sera pour nous le développement d’un business model sérieux autour des tubes qui permettrait de les sortir du le no man land’s dans lequel ils évoluent (c’est le carnage niveau droits, ces sites restent dans une sacrée zone d’ombre, même si certains essayent de mieux légitimer leur présence, notamment le réseau Pornhub). Pour faire simple, le consommateur a besoin d’avoir accès au plus grand nombre de vidéos, de qualités, avec un forfait ou en acceptant la pub. C’est le modèle de la musique actuel, et c’est très bien comme ça.

Y’a-t-il différences culturelles de la consommation de pron sur Internet ? Entre la france et les USA ? L’asie ? La russie et les balakans ? L’amérique du sud ?

J’aimerais bien le savoir ! Les seuls à pouvoir sortir des chiffres intéressants là-dessus seraient les tubes, mais à part Youporn et Pornhub qui essayent de crédibiliser leur travail en faisant pas mal de social media (pas forcement toujours bien fait) et en publiant quelques chiffres (cf http://www.letagparfait.com/2013/01/21/classement-youporn-france-infographie/ et http://www.letagparfait.com/2013/01/23/50-cent-brazzers-major-distribution/ (Brazzers appartient à la même boite)), les autres sont plus que discrets, voire impossible à contacter.

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Youporn, synonyme de porn en France

 

stephen5On a commencé à analyser la différence de conso entre les français et les marocains pour un reportage en regroupant des stats qu’ont bien voulu nous envoyer des webmasters, mais ça reste du tâtonnement. Je rêverai d’avoir accès aux stats de xHamster par exemple, et passer mes journées à analyser tout ça. Donc pour le moment, je préfère pas trop te raconter de conneries à ce sujet, mais une chose est sûre, le reste du monde consomme très peu français, c’est un tag mais comme german ou russian, on a très peu d’aura (sauf pour les actrices ou acteurs qui bossent aux states, mais c’est déjà une autre histoire).

As-tu d’autres projets en ce moment ? Des trucs publics ? Des trucs croustillants ?

J’aimerais bien commencer à avoir un salaire décent, ça serait vraiment un chouette projet pour 2013. Partir en vacances aussi, ça pourrait être pas mal avant que je tape un énorme burn out. Sinon j’ai toujours plein de projets en tête mais pour le moment le plus important est de développer le site et ses ramifications.

Merci Stephen, On te souhaite un avenir humide et chaud.

Author: Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

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