Comment nettoyer l’internet pour les enfants ? (2/2)

Suite et fin du didacticiel pour les parents perdus par l’arrivée du  numérique. Dans l’épisode précédent, j’ai parlé des premiers problèmes à résoudre, ceux de la recherche volontaire de contenus inappropriés, ainsi que les problèmes d’affichage de contenus inappropriés publicitaires. Cette suite s’intéressera à la problématique des réseaux sociaux.

3 et 4/ Accroître leur vigilance online

« P* de pop-up publicitaire de m* ! »

Si vos gamins sont des publivores décérébrés, habitués à se prendre les publicités à fort volume dans la face en plein milieu d’un dessin animé, alors bon courage.

En revanche, si vous avez bien appris à vos enfants à ne pas croire la publicité télé et radio, alors sur Internet, ce devrait être assez simple.

a) Distinguer une publicité sur PC, tablettes et smartphones

La première chose à faire, que ce soit sur un PC, une tablette ou un mobile, c’est d’expliquer à l’enfant où ne pas regarder, et surtout où ne pas cliquer.

Pour les très très jeunes (ma gamine a commencé à 4 ans à jouer avec une tablette), il faut leur expliquer que le petit carré qui s’affiche de façon impromptu en essayant de capter son attention est envoyé par de méchants mecs en chemises blanches qui veulent contrôler le monde en insérant des messages subliminaux dans le cerveau de très jeunes enfants crédules pour les transformer en affreux zombies mangeurs de cervelle. Et que si l’enfant clique dessus, il va s’infecter direct.

pub zmbie

Cela devrait marcher un temps. Le temps que votre enfant soit en âge de comprendre que les méchants mecs en chemise blanche veulent en réalité lui vendre quelque chose (cf. épisode précédent) …

b) Apprendre à identifier un contenu textuel suspect 

Avec vos enfants, organisez un jeu que vous pouvez appeler « comment prendre les gens pour des imbéciles« , qui vous permettra de lister avec eux tous les termes et tournures de phrases de spammeurs et autres publicitaires SEO.

  • Les sexo-impératives : « élargissez votre penis ! « , « Devenez un magicien sexuel ! », « ressemblez à une pop star ! », « les incroyables boobs du seat belt effect », etc.,
  • Les supplicatrices : « Bob, plus de nouvelles, vous nous avez quitté ? Revenez achetez chez nous ! », « S’il vous plait, achetez moi un duplex, je suis à la rue ! », etc.
  • Les dénominatrices : « 10 conseils pour améliorer votre stratégie digitale », « 15 façons de prendre vos clients pour des cons », etc.
  • Les dominatrices : « Il te reste 12h pour acheter ce produit, sinon tu es mort. », « Vite, deviens un clone de Justin Bieber, sinon tu es mort ».
  • Les Jean-Pierre Pernault’s style : « Saviez-vous que tous les français votent UMP ? Et vous ? », « Saviez vous que tous vos camarades de classe ont déjà acheté du viagra ? Et vous ? » , etc.
  • etc.

Ces catch-phrases, outils préférés des spammeurs, marketeux digitaux et créateurs de contenus de merde,  doivent être absolument identifiées comme de la manipulation.  Quand on voit la dérive éditoriale des anciens sites de qualité Mashable ou Presse-Citron, transformés aujourd’hui en foire-fouilles du clic, il est nécessaire de préparer les jeunes publics à ne plus croire dans ces accroches imbéciles.

Une fois ces tournures de phrase identifiées comme néfastes, il faut lui donner les moyens de ne pas regarder ces contenus, ou, mieux, à les fermer immédiatement.

 c) En complément, coupez la pub !

Je vous le dit : coupez la pub et la vie est plus belle. Car sachez le, couper la publicité sur internet ne tue pas les services web gratuits, la qualité des médias journalistiques ou des blogs. Et ceux qui vous disent le contraire vendent de la pub.

Alors comment faire pour bloquer la publicité ? Pour ma part, j’utilise des ad-blockers. Le meilleur est sans doute Adblock plus disponible pour tous les navigateurs (même IE, c’est dire).  Je le combine avec Ghostery pour une meilleure efficacité dans la recherche d’un anonymat maximal.

Mais vous pouvez aussi utiliser les possibilités de votre Freebox pour couper la pub.  Une excellente initiative de Xavier Niel qui ne sera certainement pas suivie par les autres opérateurs qui veulent se la jouer Minitel (distributeur + une commission sur la production de contenus).

Sur les tablettes et mobiles, c’est hélas le règne de l’opacité (la CNIL aura peut-être le temps de s’en occuper en 2020). En dehors de rooter (jailbreaker) son smartphone, il nous faudra attendre avec impatience le Firefox OS qui nous permettra peut-être de reprendre le contrôle de ces périphériques.

5/ La vraie problématique des réseaux sociaux

Il n’est donc pas très difficile (avec un peu de travail et de pédagogie) de faire en sorte que nos enfants ne soient pas des victimes passives de la publicité ou des mauvais contenus sur les sites web.  Mais qu’en est-il des réseaux sociaux  ?

Des réseaux de plus en plus dangereux

Les réseaux sociaux ont toujours été dangereux. Depuis 1993 circule l’adage « On the Internet, nobody knows you’re a dog » qui résume la situation : il faut être prudents quand on discute sur les réseaux.

Seulement, si Internet n’a pas changé, les populations digitales si. Et depuis une dizaine d’années, le grand public a pu découvrir les joies de la discussion collaborative sans forcément avoir la prudence ni l’auto-régulation de leurs prédécesseurs.

Et sur les réseaux sociaux, c’est la même chose. La netiquette si chère  aux forums des années 90 a disparue avec l’arrivée des Skyblogs et de MSN. Qu’importe le langage SMS, le langage vulgaire, et les photos de boobs, si on a la fréquentation du service.

Et cette pratique d’absence de modération complète s’est radicalisée quand les investisseurs ont découvert 4chan, un réseau anonyme à l’audience faramineuse (qui pourtant, lui, a une forme de modération collaborative).

Jessi, 11 ans, s’éclate sur les réseaux sociaux avec sa webcam

Du coup, beaucoup d’investisseurs se sont dit que surveiller les bonnes pratiques sur les réseaux sociaux était inutile et coûteux. La conversation est devenue « libre » ou plutôt foutraque. Et le résultat a été l’explosion des réseaux sociaux bullshit où l’on retrouve tout et n’importe quoi (imgur, 9gag et les autres), mais aussi  des Facebook, Twitter et Instagram où, si le porno est interdit dans vos avatars, il ne l’est certainement pas dans vos timelines (sauf sur Pinterest qui veut lisser son image). Les réseaux deviennent donc chaque fois de plus en plus dangereux.

Alors imaginez sur ces réseaux, un jeune enfant, laissé seul dans cette immense cours de récréation où discutent des adultes divers et avariés. Alors grande question :

Doit on surveiller les réseaux de nos gamins ?

Je ne vois qu’une seule réponse : non, nous ne pouvons pas !

Non, car vous ne pouvez pas surveiller ce qui se dit ou se fait dans la cour de récré de l’école. C’est d’ailleurs de là que votre enfant ramènera quelques truculentes remarques ou quelques comportements dérangeants (du genre « halo nabila » qui vous rassurera sur l’intelligence de la télévision).

Non, vous ne pouvez pas non plus contrôler ce que fait votre enfant la cour de récré, mais c’est tant mieux, car c’est là que votre gamin va prendre ses propres décisions, se construire lui-même, sans que vous soyez derrière. C’est là où il va accepter ou refuser les alternatives qu’on lui propose. C’est là qu‘il va grandir en tant qu’individu, autonomiser ses prises de décision, exister en tant qu’être distinct de ses parents.

3 ans après, le papa de Jessi intervient finalement pour menacer backtracer les internautes plaisantins et les dénoncer à la cyberpolice

Votre seule possibilité d’action est didactique, pédagogique. La cellule familiale doit être là pour répondre aux interrogations de l’enfant, lui indiquer que ce qu’il a appris dans la rue, ou dans la cour de récré (ça dépend où on a été élevé) n’est pas forcément une bonne idée. Et c’est le respect éclairé de cette autonomisation de l’enfant qui créera un adulte responsable et équilibré.

Alors pourquoi ne pas faire la même chose avec les réseaux sociaux : lâcher-prise pour que l’enfant s’autonomise et se responsabilise ? Mais attention, il ne s’agit pas ici de laisser le gamin faire n’importe quoi sur internet. Il s’agit de le laisser dans la plus grand cour de récré du monde où le danger est omniprésent. 

Et votre enfant ira comme un con ou prudemment en fonction de ce que vous lui avez raconté, et du temps et des efforts que vous aurez dépensé pour en faire un être pensant. C’est donc votre responsabilité, certainement pas celle d’un logiciel de protection parentale, de l’éducation nationale ou des politiques qui essaient de vous persuader que tout va bien se passer (c’est leur job).

Certes votre enfant risque gros : avoir une conversation avec un pédophile, écouter le dernier faftpunk, voir une vidéo de nabila nue, écouter un discours de frigide bardot… Et forcément « what have been seen cannot been unseen ». Alors oui c’est dangereux. Mais l’autre alternative c’est de faire vivre vos enfants dans un bocal.

Conclusion : dé-diaboliser Internet partout, tout le temps

Pour parfaire ces deux articles, il faudrait également parler de la responsabilité des politiques et des cadres pédago-administratifs de l’Education Nationale. Car ce sont bien eux qui vont déformer la perception d’internet, d’une part à coup de slogans lénifiants, d’autre part par l’imposition de lois débiles et liberticides.

J’ai ainsi été horrifié quand l’école primaire de ma fille lui a demandé de signer la « charte Internet » de l’éducation nationale. Si l’idée était excellente, un des points était : « loi sur la propriété des œuvres » où on lui demandait de ne jamais récupérer des textes, des images et des musiques parce que c’était illégal et pas en accord avec la loi Hadopi. N’importe quoi.

Dés 8 ans, l’état commence donc à raconter des conneries numériques à nos gamins en leur disant que les méchants pirates pullulent sur Internet et tuent la culture. L’état ne va pas aider, c‘est donc le rôle des parents d’éduquer, c-a-d autonomiser et responsabiliser, leurs enfants. Mais pour commencer, ce serait bien que les parents s’éduquent eux-même. Or, on apprend que 82% des enfants de moins deux ans ont déjà une empreinte numérique. 

J’aurais dû titrer « comment nettoyer internet pour les parents ? » !

Author: Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

2 thoughts on “Comment nettoyer l’internet pour les enfants ? (2/2)

  1. Mon fils de 3 ans mate dès que je joue à Civilization V. Il me demande où sont les baleines, les moutons et les chevaux. Et il a compris que je cassais des gens quand je joue à Starcraft. La frontière avec la mort est mince et l’article ci-dessus est didactique. Ce que j’essaie de lui apprendre, c’est que ce type de divertissement existe et qu’il pourra y jouer plus tard, beaucoup plus tard et que c’est un divertissement d’adulte. De mon côté je prends du temps à lui lire des livres et à jouer aux puzzles, comme avant. Les enfants c’est notre caisse d’épargne : plus on passe de temps avec eux et plus l’avenir nous le rendra. Autant commencer avec des divertissements sains avec eux : pas de consoles, pas de tablettes, pas de portables !

  2. Excellent article! Protéger les enfants sur Internet est une gageure, d’autant plus qu’ils pratiquent le clavier de plus en plus jeune. Et les publicités devenant de plus en plus pernicieuses, ils sont noyés dans un flot d’images et de messages parfois indécryptables. Tout dépend encore une fois de la surveillance des tuteurs et de la distanciation du public par rapport aux images, on ne le dira jamais assez…

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