Depuis peu nous voyons arriver le Creative Technologist dans les quelques agences françaises (parisiennes) qui osent faire évoluer leur activité. Ce métier de Creative Technologist voulant être le lien privilégié entre la création publicitaire et les dernières évolutions technologiques (dés que j’ai le temps, je vous copie-colle l’article de 3 pages que j’ai écrit l’année dernière pour l’EBG marketing 2013).
Mais à peine arrivé, le métier du Creative Technologist est déjà impacté par la vision que son agence a d’Internet :
- D’un côté une vision purement média où le digital est traité comme un endroit où le spectateur va consommer un message publicitaire. Le Creative Technologist étant là pour créer une idée techno pour une campagne RP. C’est à dire faire de la propagation la moins chère possible autour de l’image de la marque sans achat média. Forcément une image innovante car il s’agit d’une idée « technologique ».
- De l’autre côté une vision large d’internet où le digital est traité comme une réponse utile à des besoins de marque ou de produit (vente, cibles, marque, etc.). Le Creative Techno étant alors là pour répondre à une problématique de marque de façon créative.
Ainsi, les campagnes Creative Techno (CT) vont se retrouver tiraillées entre celles qui sont là pour créer de la notoriété publicitaire et celles qui répondent à de véritables problématiques utilisateur. Et ces deux objectifs ne sont pas antithétiques. On peut tout à faire répondre à une problématique de consommateur et faire du RP autour (cf l’exemple Red Tomato ci-dessous). Le contraire est en revanche beaucoup plus difficile (non, je ne crois pas que j’aurais jamais envie de commander des bouteilles d’eau à partir de mon frigo, je suis trop écolo pour ça).
Voici quelques exemples de campagnes CT classées par objectifs, pour vérifier ce que je raconte.
En préambule, je tiens immédiatement à évacuer tout de suite le cas de Redbull Stratos, car il ne s’agit pas d’une campagne Creative Technologist. Il s’agit d’un partenariat d’une marque avec Felix Baumgartner, une équipe scientifique et un événement international relayé par une campagne media au budget mirobolant. La sponsorisation d’équipe scientifique existe depuis presque 100 ans, et ce n’est donc pas très innovant.
2 règles importantes : non, ce n’est pas parce qu’il y a de la science dans une campagne que c’est « Technologist » ! Et ce n’est pas parce que tout le monde a parlé de la campagne que c’est « Creative » !
Quelques exemples de campagnes Creative Technologist
La pizza connectée
Il y a 3 ans, j’ai commencé à parler d’internet des objets dans un de mes cours du CELSA. J’abordais notamment l’utilisation de ces objets dans la publicité avec l’exemple fondateur de Red Tomato Pizza, un magnet de frigo qui vous commandait une pizza en appuyant dessus. Un excellent produit solution d’une problématique marketing sérieuse.
[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=AU0KYo8_9Zs[/youtube]
- Le brief créatif : permettre de récupérer l’adresse de livraison dans n’importe quelle langue étrangère
- La technologie imaginée : un magnet connecté en bluetooth
- La solution : le VIP Fridge Magnet. Réservé aux clients VIP.
- Taux d’utilité : 100%
- Taux de publicité traditionnel : 0 % -> 100% car la marque a été cité dans quasiment tous les magazines de publicité sérieux autour du monde. Une campagne de RP internationale véritablement gratuite.
La goutte d’eau qui fait plouf
Un peu moins d’an après Red Tomato sortait la Smart Drop d’Evian sur tous les murs de la capitale. Un périphérique à l’usage très similaire à celui du magnet de Red Tomato, mais complètement différent dans son design très léché, dans ses fonctionnalités beaucoup plus avancées, et surtout dans l’intense promotion publicitaire qui en a été faite.
[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=aOLQd4gflGI[/youtube]
- Le brief créatif : parler d’Evian autrement qu’avec des bébés en roller parce que ça va bien là, ho.
- La technologie imaginée : un magnet connecté à l’internet
- La solution : la Smart Drop permettant aux mamans (oui, dans les pubs c’est la maman qui achète) d’acheter de l’eau sur son frigo.
- Taux d’utilité : 0% Non, mais vous achèteriez de l’eau sur votre frigo vous ? En plus, ce joli objet est juste impossible à fabriquer en masse (il doit coûter dans les 100 € en fabrication, ce qui fait un peu cher pour de la fidélisation). Donc j’ai des doutes sur sa véritable distribution aux consommateurs.
- Taux de publicité traditionnel : 100% De l’affichage partout dans Paris et du RP journalistes / blogueurs. Une très belle opération RP pour Evian qui lui a d’ailleurs permis de gagner le Grand Prix Stratégies / Amaury Médias du marketing digital 2013. Oui, l’industrie publicitaire récompense des objets connectés qui n’existeront jamais. C’est aussi ça la beauté de la publicité.
Quel drone de livreur de pizza !
Toujours dans le domaine de la pizza, voilà des drones livreurs de pizza pour Domino’s Pizza. Ceci dit, même si l’idée est intéressante (et soit disant plus rapide qu’une livraison normale), on peut se poser quelques questions sur l’efficacité et la durabilité du dispositif. On verra bien dans quelques années si les promesses sont tenues. Pour l’instant, c’est du teaser.
[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=on4DRTUvst0[/youtube]
- Le brief créatif : rendre la livraison de pizza cool.
- La technologie imaginée : utiliser un drone avec le partenariat de Aerosight, un spécialiste du drone basé au Royaume-Uni.
- La solution : le projet Domicopter dont on peut voir pour l’instant quelques jolies images envoyées via une grande campagne de RP (média + blogueurs).
- Taux d’utilité : 60%
- Taux de publicité traditionnel : 40 %
E-Poultrygeist
Pas facile de communiquer sur des choses vraiment pas bonnes à manger. C’est pourtant le défi quotidien des communicants de KFC.
Une application qui n’a d’autre intérêt que de faire du RP. Car non, le QR Code n’est plus innovant depuis 1998 (il a été inventé en 95). Quand à la reconnaissance d’objet, pourquoi la faire uniquement sur 50 profils. C’est mou. Et puis, il s’agit vraiment d’une appli qui ne sert à rien.
- Le brief créatif : que les gens ne pensent pas à ce qu’ils mangent (du poussin aux pattes coupées élevé dans des cages et boosté aux stréroïdes et autres hormones de croissance).
- La technologie imaginée : une application mobile de reconnaissance visuelle
- La solution : la campagne KFC Bite to win composée d’un dessous de table avec un QR code (arf !), une application à télécharger avec son smartphone (arf 2 !) et un jeu concours (arf 3!)
- Taux d’utilité : 10% (pour le fun de jeunes qui n’ont rien d’autre à faire que de télécharger des apps pour rigoler 5 min)
- Taux de publicité traditionnel : 90 %
Smart ad
Voilà chez IBM, ils veulent montrer qu’ils sont intelligents et malins. Alors au lieu de créer des ordinateurs plus intelligents et malins que les autres, ils ont décidé de faire de la publicité.
[vimeo]https://vimeo.com/67570047[/vimeo]
Le problème : les personnes filmées dans la vidéo ressemblent toutes à un casting d’agence de pub. Ce mobilier urbain n’a donc pas du être utilisé très longtemps et sur une grande échelle. Et cela se comprend car ce mobilier doit se soumettre aux lois sur l’affichage publicitaire. C’est bien dommage, j’aurai adoré que ce mobilier existe pour de vrai.
- Le brief creatif : montrer que l’on est « créatif » de proximité
- La technologie imaginée : du design mobilier urbain minimaliste et utile
- La solution : la campagne Smart Ideas for Smarter Cities, de la production de mobilier urbain très bien pensé qui montre que les designers urbains ne font pas leur boulot. Le tout filmé en vidéo.
- Taux d’utilité : 0%
- Taux de publicité traditionnel : 100 %
The flying flyer
Imagine: tu es brésilien et constructeur de jets privés. Tu veux faire plaisir à tes quelques prospects. Tu as donc intérêt à investir dans un catalogue qui tue comme celui d’Embraer.
[vimeo]https://vimeo.com/65430677#[/vimeo]
- Le brief creatif : montrer que l’on est la marque de jet privé la plus classe du monde à travers son catalogue
- La technologie imaginée : un catalogue sur sustentation électromagnétique
- La solution : le catalogue volant dont la fabrication et le fonctionnement seront filmés en vidéo parce que tu n’auras jamais les moyens de te le payer.
- Taux d’utilité : 90% Il s’agit d’un moyen de recrutement de nouveaux prospects très riche, le ROI de ce truc peut être immense avec une seule vente.
- Taux de publicité traditionnel : 10 %
I’m drunk ! Better check my own piss…
Vu chez WCie, voilà une excellente idée approuvée par Bear Grylls.
[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=e2OdA7DUOAQ[/youtube]
- Le brief creatif : Une boite de nuit de Singapour veut diminuer trop les accidents de voiture dus à l’alcool.
- La technologie imaginée : un capteur d’alcool dans les urines, et une carte RFID pour identifier l’échantillon.
- La solution : le Pee Analyser, un concept où vous donnez vos clés de voiture à l’entrée contre une carte RFID que vous utilisez avant d’aller aux toilettes. Vous aurez les résultats de votre taux d’alcoolémie en récupérant vos clés.
- Taux d’utilité : 70% D’après les stats de la vidéo, ils ont évité à plein de gens saouls de prendre la voiture. En France, nous on installe des radars.
- Taux de publicité traditionnel : 30 % Il y a d’autres moyens pour éviter que les gens boivent, mais ce n’est certainement pas dans l’intérêt de la boite de nuit.
Disparition d’enfants chinois
Il parait que chaque année, 20 000 enfants sont portés disparus en Chine. Pour la plupart esclavagisés, ils laissent des parents désespérés.
- Le brief creatif : faire connaitre le problème et pourquoi pas aider à retrouver des enfants.
- La technologie imaginée : des statues et une application smartphone.
- La solution : Baby Back Home, une campagne où des statues placées dans des endroits stratégiques amènent les passants à télécharger une application smartphone permettant de voir le portrait d’un enfant réellement disparu. Cette application permet également à ses utilisateurs d’envoyer des photos d’enfants qu’ils pensent avoir été enlevés. La photo est comparée à une base de donnée en temps réel.
- Taux d’utilité : 80% -> D’après JWT China, 2 enfants ont été retrouvés pour 20000 téléchargements. C’est bien, mais ce n’est pas assez !! Améliorez l’interface de l’appli pour favoriser son accessibilité, et surtout multipliez les points d’accès à cette appli (web, bornes interactives, etc.) pour qu’elle soit utilisée par un maximum de personnes. Bref, améliorez au lieu de faire du RP !
- Taux de publicité traditionnel : 80 % car ça fait parler du problème. Bravo.
Problématique sectorielle et pas conjoncturelle
Une partie de la profession adore prendre les consommateurs pour des cons. Se la jouer Mad Men, supérieur au vulgum pecus qui s’abêtit devant la télévision et les spots qu’il s’est amusé à lui fabriquer. Alors, depuis des années, il lui vend du rêve. Pour ces publicitaires, le Creative Technologist « RP » est idéal. De l’effet Wahooo, du tournage vidéo, du relais RP, des buzz words « innovation« . C’est un peu comme une campagne de pub des années 80 mais à la sauce cyber. Mes nuggets de poulet sont génétiquement anormaux ? Pas grave, je ne vais rien voir parce que je joue avec mon Iphone. J’ai soif ? Vite, je commande de l’eau en bouteille parce que je peux le faire sur mon réfrigérateur… Non mais sérieux, vous prenez vraiment vos consommateurs pour des abrutis ? Oui certainement, la preuve ci-dessus.
Heureusement, il existe une autre forme de publicité. Plus souvent issus de la branche marketing que celle de la communication, il s’agit de publicitaires qui pensent cibles, segment de cibles et réponse aux besoins utilisateurs. Cette forme de publicité permet de révéler, optimiser, ou même améliorer les qualités du produit ou service vendu. Tout ça en respectant ce nouveau paradigme du Trust Marketing. Cet état d’esprit de communication a les moyens de s’épanouir encore plus avec un process de Creative Technologist. Ca existe, vous en avez également la preuve ci-dessus.
Alors la publicité du futur a aujourd’hui le choix, par l’intermédiaire du Creative Technologist, d’être de la publicité destinée à vendre le rêve de la marque ou, au contraire, d’être de la publicité qui prouve la réalité de la marque.
Le prochain terrain d’affrontement compétitif des agences de com sera celui des Creative Tech où les clients-annonceurs choisiront les agences qui leur ressemblent. Soit celles qui vendent du rêve, soit celles qui améliorent le produit, la marque.
Et ce sont les utilisateurs/consommateurs qui choisiront les meilleures campagnes. il ne faudra pas les prendre pour des imbéciles : ils quittent bien Facebook, ça veut bien dire qu’ils peuvent quitter votre marque un jour ou l’autre !
J’aurais également du tomber dessus plus tôt. Intéressant.
Merci,
J’ai rarement vu le mot « utilité » utilisé à aussi bon escient. :)
Sinon, je n’aurais pas mis la campagne IBM dans les CT… JCDecaux a inventé l’abribus en 1964 (pour une fois, on est jeune) pour protéger les Lyonnais de la pluie ! Donc même si la campagne aurait pu être utile (généralisée à plus grande échelle), niveau Creative c’est pas foufou.
Bon, faut que je recale mon workflow de lecture de blog. C’est pas normal que j’arrive si tard sur ce post ;)