Pornification de la communication (et du marketing)

La course à l’audience et à l’attention qui caractérise les stratégies de communication de beaucoup d’agences aujourd’hui force les campagnes à se concentrer sur des leviers d’attention primaires. Parmi ces leviers, le porno a une place de choix, mais on y trouve également la violence gratuite esthétisée (cf le très très beau mais dérangeant clip de  The Shoes où le bogoss Jake Gyllenhaal devient un serial killer http://bit.ly/HqWqna ), les chats (les internautes sont tous des furries en puissance) et évidemment les bébés (« les bébés ça fait babaver les conconsommatrices« ).

Bref, plus ça va, plus les campagnes sans idées se ressemblent. En 2009, j’osais penser que c’était une mode ou une passade adolescente (il faut bien que la pub découvre son corps). Mais non, le phénomène s’amplifie laissant craindre le pire pour le futur de la pub et celui de nos enfants. Petit tour de cette pornification lente mais certaine de la publicité.

Petite précision : non je ne déteste pas le cul, l’érotisme, le sexe et tous ces termes qui font augmenter le trafic sur mon blog. Au contraire, j’adore le sexe et je crie très fort vive le cul ! Seulement mettre du porno partout, tout le temps, ça a de quoi faire débander même un journaliste du tag parfait (et il en faut).

Viral ça rime avec anal… Mais c’est pas une raison.

La preuve avec quelques campagnes de ce début d’année (et nous ne sommes qu’en mai – le printemps arrive).

Tout d’abord la campagne « Naked Ambition » de Saatchi-Saatchi où un réalisateur de film porno fait de la pub. CBNews, toujours sympa, trouve cette pub « Drôlissime » nous défiant de dire le contraire sans passer pour de vieux cons rétrogrades, ou pire coincés. Mais hélas non, cette pub n’est vraiment pas drôle. D’un sous-humour potache de premier degré, ce film ne valorise ni l’industrie pornographique, ni la publicité, ni le produit. Du 10 minutes à perdre publicitaire. Car la question qu’on peut se poser après avoir vu cette pub, c’est : « Ca vendait quoi déjà ?« .

Autre campagne, celle de Diesel (rappelez vous sa vidéo #nsfw très originale en 2008) qui essaie de rester dans la morue, pardon, le ton (pouf pouf, ça c’est drôle) avec leur campagne DIESEL_Bowl. Au programme : une fille va faire des trucs avec ses doigts et on va imaginer des choses parce qu’on a l’esprit mal tourné

[vimeo width= »550″ height= »375″]http://vimeo.com/4516269[/vimeo]

Consommateur complice, lol, cul, références pron, etc. Mais vraiment, ça vous fera acheter plus de fringues chez Diesel ça ?

Tourisme sexuel

Continuons avec la campagne Liligo. Un double sens (« s’envoyer en l’air » = « prendre l’avion ») qui devrait faire sourire les amateurs de Jean Roucas. Ah non, on me souffle dans l’oreillette que Roucas c’était drôle. Mais et alors ? Cette campagne ne vend pas le produit elle se contente d’agiter une promesse sexuelle en le pointant du doigt. Le jour où ils arrêtent, le produit n’existera plus dans la tête du consommateur. Ils auraient du définitivement mettre des hôtesses de l’air en petite tenue, ça aurait aidé.

Échangisme

Utilisation de dildos érotiques (ou auto-érotisation instantanée)

 

 

 

 

 

 

Ce genre d’humour de type CollaroShow (émission de Stéphane Collaro – humoriste populaire des années 70 – beaucoup moins drôle depuis qu’il vote Sarkozy) était réservé à la télé mais maintenant, grâce à la publicité, cette vulgarité – et les choix sexuels des publicitaires qu’ils revendiquent – sont étalés sous les yeux des enfants qui prennent le métro (et qui savent lire à partir de 5 ans). « Dis papa c’est quoi s’envoyer en l’air ? »

Allez, encore un exemple : l’échangisme c’est cool, surtout si c’est votre mère qui pratique…

[youtube width= »550″ height= »405″]http://www.youtube.com/watch?v=P_LVBcnDDQ4[/youtube]

Et vous pouvez trouver plein d’autres d’exemples ici, dans les archives du sous-entendu graveleux.

De la mauvaise pub donc qui vise la création de trafic sur la vidéo en oubliant le produit et finalement le consommateur final. Cette pratique n’est pas nouvelle dans le monde de la pub, mais le problème est que c’est de plus en plus facile à vendre aux annonceurs idiots. L’équation « Internet = cul or cul = trafic donc pub de cul = trafic » est la formule rêvée pour tous les commerciaux publicitaires sans imagination (mais qui veulent faire du trafic).

Dans la pub il faut coucher pour réussir

En attendant, ta gueule à toi la femme à qui n’est pas adressée cette publicité et continue à montrer tes seins car tu ne sers qu’à ça. La preuve avec la campagne pour la marque Stussy: vas-y clique sur cette application Facebook pour déshabiller la fille. Le bon vieux retour de la prostitution. Bientôt, avec quelques interfaces haptiques, l’utilisateur pourra ressentir du plaisir en regardant une pub (note-le, c’est le futur de la pub ça coco). Par contre, je ne comprends toujours pas pourquoi on interdit le racolage passif dans la rue si c’est pour l’autoriser sur Facebook…

Je trouve qu‘il est bien normal d’aimer les seins (« les boobs » comme disent chez les jeunes adeptes de la navigation sur les sites pornos). Alors Fiat nous montre qu’il faut aimer les seins mais aussi la conne qui va avec. Parce qu’une  fille aussi stupide pour raconter ce qui est dit dans ce film dépasse la simple bêtise.

[youtube width= »550″ height= »405″]http://www.youtube.com/watch?v=_Ub1WshU6Zo[/youtube]

Certain(e)s se plaignent de la place de la femme dans la pub. Et pourtant elle est toute trouvée : objet sexuel, objet de fantasme, objet stupide forcément (on va pas demander à un objet d’avoir des idées non plus). Et si ça bouge un peu au Canada (lire les actes du colloque L’image de la femme dans la publicité), en France, c’est plutôt un joli consensus mou (ou alors les publicitairettes françaises aiment ça ?).

L’intellectualisation du Porn comme outil de création de trafic décomplexé

Autre phénomène remarquable de ces dernières années, l’intellectualisation de la pornographie. Quand Brassens chantait le pornographe, c’était drôle et gras. Voilà maintenant que l’on nous raconte qu’il y a tout plein de valeurs humaines, de subtilités culturelles, et de bienfaits esthétiques dans la pornographie. Certes, quand c’est le Tag Parfait qui me raconte ça, je veux bien le croire, le porn étant son fond de commerce. Mais quand c’est Influencia, je me pose des questions. En effet, associer la figure de la pornstar à une « sorcière postmoderne » est certes un travail de SEO et de création de clic intéressant, mais c’est surtout une étude fourre-tout où l’erreur évidente est de mélanger la pornographie « projection masculine » avec l’amélioration de la condition féminine (via shamanisme et symbolisme Maffesolien). Non, ce n’est pas sérieux.

Il existe aussi la pub pornographique légitime dans le cas de certaine marques. Notamment celle qui vivent du sexe comme les préservatifs. La campagne de Buzzman pour Durex n’est donc pas critiquable (et déjà nettement mieux réalisée que celle de Diesel en utilisant exactement le même levier de surprise).

Néanmoins, le discours de Thomas Granger, DG de l’agence est assez troublant : « On parle de sexualité dans des codes acceptables ». A partir de ce constat, Buzzman a construit cette nouvelle campagne destinée au web (dailymotion et facebook) et aux 18/25 ans.   « Too big for her »,  « Creamy », « It’s gonna be hard » et tout ça accompagné d’un discours bien trouvé sur l’émancipation des peuples du printemps arabe.

Seulement qui définit les codes acceptables de la sexualité ? Une éjaculation faciale peut déranger certaines personnes (moi même je ne suis pas pour me prendre plein de sperme sur la gueule – et vous ? Je parle aux hommes hétéros c’est plus drôle). Y’a-t-il donc un conformisme sexuel qui voudrait que certaines pratiques soient « normales » ? Et dans ce cas qui fixe cette normalité ? Le ministère du sexe ? Ou pire les créatifs publicitaires ?

Alors on aura beau entourer l’acte sexuel avec de belles phrases, il se doit de rester personnel et différent pour chacun. A partir du moment où l’on commence à le définir, à le montrer, on commence à créer de la normalité et par corollaire de l’anormalité. L’ejac faciale est normale ? Alors si je refuse l’ejac faciale, je suis anormale va se dire la pauvre pucelle de 15 ans… Tout benef pour la domination masculine tout ça.

La pornographisation du marketing

Car la pornographie sort des affiches et films publicitaires pour descendre dans les rayons de votre supermarché. « Excusez-moi le rayon sex toys svp ? » Je vous propose de lire l’excellent article Le dauphin vibrant en supermarché : ai-je vraiment envie de voir des sextoys partout ? pour constater que l’extimité rentre dans notre quotidien. Certes certains diront que le rouleau de massage vibrant de forme oblongue a toujours été la meilleure vente de la Redoute et des 3 Suisses, mais ce produit était planqué dans un catalogue de VPC, pas étalé à la vision des gamins.

Et dans les librairies aussi. L’autre jour je suis allé faire un tour chez Virgin, au rayon BD (j’ai un faible pour les comics). En passant devant les têtes de gondole bien exposées, je regarde toujours les nouveautés. Et là, j’ai ouvert un bouquin en à la couverture pas vraiment éloquante pour tomber devant la pire BD porno-scato-BDSM que j’ai jamais lue (et j’en ai lue des cochonneries, Youporn existait pas quand j’étais petit, mon gars). Une bande dessinée posée là, à l’entrée du rayon BD du Virgin Megastore de Grands Boulevards, à la disposition de n’importe quel gamin.

Heureusement, que les seuls gamins de moins de 12 ans présents étaient au rayon manga en train de lire quelques manga inoffensifs (MPD Psycho, une histoire de serial killer détective privé avec des jeunes filles à poil qui se font torturer toutes les 5 pages, ou encore Love Story où un jeune couple découvre la sexualité).

On va me dire que ce n’est pas la fautes des distributeurs, eux ils distribuent. Et ce n’est pas un produit interdit, alors pourquoi l’enlever ?

Du porno dans la pub : un désastre programmé pour les marques et pour la société

C’est très mauvais pour les marques

Grand prix de l'affichage 1982...

Grand prix de l'affichage 1982... No comment.

« Si tu n’as pas d’idées, mets du sexe ou des bébés !« . Vous le reconnaissez ? C »est le credo du créatif d’agence depuis au moins 30 ans. Et ça marche toujours (aujourd’hui, il faut rajouter des chats).

Alors une marque doit-elle se rabaisser au niveau des chasseurs d’audience primitifs pour exister sur Internet ? Une marque qui « montre ses fesses pour faire du beuze », ne va-t-elle pas plomber son histoire, son « adn », son positionnement futur juste pour un petit coup média rapide ?

Car oui, il est facile de succomber à l’attrait du beuze assuré: le sexe crée un attrait immédiat, et le sexe bien montré, une viralité garantie. Mais dans quel état récupérez-vous votre marque après ? L’agence qui vend son buzz, fait son beurre, mais dévoie la marque et l’appauvrie. Comme dans la vraie vie : les nanas ou les mecs qui sont obligés de montrer leur cul / seins / bite pour se faire apprécier ne sont certainement pas les meilleurs et ne parlent certainement pas au public le plus intelligent. Alors votre marque doit-elle montrer ses seins/fesses pour convaincre ?

C’est catastrophique pour la société

Ce n’est donc la faute de personne si aujourd’hui un gamin de 8 ans ne peut pas se promener dans un supermarché ou une librairie sans risquer de tomber sur un porno adulte ou ne peut pas prendre le métro sans voir des stéréotypes de pétasses se tortiller en petite culotte, sourire au bec, QI en berne. Et pendant ce temps, le gouvernement bienveillant nous protège du téléchargement illégal, de la cigarette de Gainsbourg et de la pipe de Tati. Certains gouvernements pensent même censurer le porno sur Internet. Laxisme incroyable d’un côté, répression forcenée de l’autre. Du grand n’importe quoi qui avantage les marques et les agences au détriment du « vivre ensemble » social.

Affiche censurée 2009... No comment

Car cette banalisation de la pornographie, mélangée à l’irruption de la publicité dans des comportements personnels est très dangereuse socialement car on franchit la limite de l’intimité. Certains chercheurs en sciences humaines se gargarisent sur la notion d’extimité mais oublient complètement ce viol de plus en plus permanent de notre intimité mentale, sexuelle et comportementale par les médias (dont la pub). Cette frustration permanente (la pub crée du désir; que vous le vouliez ou non), associée à un dirigisme de plus en plus forcené (habille toi comme ça, montre tes seins comme ça, suce comme ça, baise comme ça, …) supprime les repères sociaux et les repères moraux.

Alors devons nous laisser une sale société à nos enfants ? Une société où les marques (la pub) déciderait des critères intimes acceptables et ceux qui ne le sont pas ? Évidemment non. Et les consommateurs ne sont pas (tous) stupides. Alors les mouvements anti-pub ne se désemplissent pas. Et Internet favorise les initiatives où les publicités sont moquées,trafiquées, analysées sérieusement. Pourvu que ça dure…