Petit Bateau: une crise ex nihilo

J’aime bien la marque Petit Bateau. Certainement mon côté régressif (j’aime bien Goldorak aussi). Aussi j’ai été très triste de voir que la marque s’est retrouvée dans une sale histoire de #phalocratie #CM #Facebook #badbuzz à laquelle je n’ai strictement rien compris. Heureusement, Maudule (de l’excellent blog StoryPlaying) nous fait ici un résumé de ce qui s’est passé et du rôle joué par des gros méchants marketeux sans scrupules. Vas-y Maudule, mords-y-l’oeil !

Petit Bateau, Grosse Boulette. D’échanges railleurs sur Twitter à un relais plus grand public (ici et ici, par exemple), cette association s’est propagée en une quinzaine d’heures sur la Toile. Le chef d’accusation : des body jugés sexistes. Les représailles : le trolling littéral de la fan page Facebook pendant plusieurs heures. La punition finale : paf, en quelques heures, face au silence de la marque, c’est la terminologie-valise de « bad buzz » qui se retrouve utilisée pour qualifier l’affaire.  Le tout, bien entendu, avec un récit se veut volontairement dramatisant, ça fait monter les stats et ça va effrayer les clients des agences. Et hop,  ça fera bien un nouveau case study pour ta prez ppt sur la « mauvaise gestion de la réputation de la marque », non ?

Non. C’est surtout une bonne étude de cas sur « comment optimiser artificiellement une bonne petite crise d’e-reput’« . Laissons de côté le fond de la polémique (Petit Bateau, marque sexiste ?), pour nous attacher à la forme de ce micro-événement online.
Reprenons les faits : mardi en début d’après-midi, l’activité sur la fan page Facebook Petit Bateau est toute calme. Sauf que, une vingtaine d’heures « ago », il y a eu 9 commentaires négatifs relatifs à un produit. Et la marque n’a pas encore répondu.

« Mais que fait donc le CM ? »

Il faut croire que cela n’a pas échappé à quelques personnes qui propagent l’info sur Twitter, alors même que la photo des fameux body incriminés n’est nulle part sur la fan page.
Et très vite, voilà que ma TL est largement envahie par du hashtag #petitbateau. « Mais que fait donc le CM ? » est en substance la phrase qui revient le plus souvent, bien plus que des commentaires sur les produits mis en cause. Variante : « le CM va avoir du boulot sur la planche », ou bien « J’aimerais pas être à la place du CM »‘, alors que la page Facebook commence à se remplir de posts indignés puis tout simplement  trollesques, amusés ou spammeurs.

Tiens, il y a même une boîte qui en profite pour proposer ses services…

Le trolling continue jusqu’à la réponse laconique de la marque.

« Mais où étaient donc les consommateurs/trices ? »

C’est la question que j’ai envie de poser plutôt que « Mais où était donc le CM ? ».
En effet, si 9 consommatrices se sont indignées du nouveau produit, ce ne sont pas elles qui ont pointé du doigt les failles du social media management de Petit Bateau. Et ce ne sont certainement pas elles qui sont à l’origine du soit-disant « bad buzz ». Mais qui alors ?

Eh bien, tout simplement d’autres CM, ou, de manière plus générale, des personnes travaillant dans ce grand tout qu’est la pub/la comm/le marketing digital. Ceux-là mêmes qui sont censés éduquer leurs clients, les marques, aux réseaux sociaux et combattre les mauvaises pratiques…  comme le trolling par exemple.
Une petite recherche topsy (merci @ansofi) permet d’ailleurs de vérifier ce constat : 30 tweets sont identifiés lors de la toute première heure de la « polémique ». Sur ces 30 tweets, 18 émanent de manière certaine de CM/social media manager/etc, il suffit d’aller regarder les profils où la fonction professionnelle est clairement explicitée.

Il est par ailleurs intéressant de constater que ce n’est pas en effet la marque qui est mise en cause, et son incapacité à faire face à une « crise », mais directement la personne qui a comme fonction le community management (ça ne vous rappelle d’ailleurs par l’affaire Malabar ?).

Mais alors pourquoi cette envie de mettre de l’huile sur le feu et vouer aux gémonies des « confrères » qui auraient mal fait leur job ? Une forte envie de bouc-émissarisation ? Ou bien la jouissance de voir cette fan page endormie se faire rapidement saccager ?
Je suis en tout cas assez interloquée par l’absence d’une posture réflexive du métier de CM dans ces cas-là…

Et maintenant ?

Je ne reviendrai pas sur la mauvaise gestion de la crise par la marque Petit Bateau :  la marque s’est laissée spammer et troller sans réagir.
Or maintenant, les vraies consommatrices ont débarqué. Le relais grand public faisant son œuvre, les féministes, les anti-féministes, et bien d’autres y vont à présent de leurs avis « oui c’est sexiste », « non ça ne l’est pas ». Et Petit Bateau doit donc faire face à un réel problème de réputation – sauf, hypothèse proposée ici, s’il s’agit au final d’une opération marketing rondement menée.

Mais on peut légitimement s’interroger sur le déroulé de la « polémique » si certaines opinions (« Bouuhh Petit Bateau n’écoute pas ses consos, c’est mal, où est donc le vilain CM ») n’avaient pas été largement relayées tout d’abord dans un premier cercle de professionnels – alors même que la situation n’était pas vraiment critique.

Faudra-t-il à présent distinguer de « vraies » crises de réputation (à l’instar de Nestlé mis en cause par Greenpeace) et des crises de réputation ostensiblement fabriquées et forcées ? Non, car la réalité est évidemment infiniment plus subtile : toute crise est d’abord attisée et relayée sans quoi elle n’atteindrait jamais son statut de crise.
Gardons cependant à l’esprit que, dans toute crise online, il faut désormais savoir composer avec deux aspects : l’évident  « mécontentement du consommateur », mais également le jugement, plus pernicieux et parfois potentiellement beaucoup plus néfaste, des professionnels.