dabtondab, la campagne la plus courte de l’histoire de twitter

Mercredi 26 avril 9h. Moins de taff aujourd’hui. J’ouvre mon tweetdeck et là un tweet me heurte en pleine poitrine et manque de me faire recracher ma 3e tasse de café. Le Crédit Agricole lance une campagne DabtonDab, un jeu concours où le défi est de se prendre en photo devant un DAB (distributeur de billet) en « dabant » (le truc de jeune qui ressemble à un salut nazi mais la tête dans le bras) en faisant la promotion du hashtag #dabtondab.

Immédiatement les twittos lolent et twittent qu’ils lolent. Il faut dire que le jeu de mot est drôle (dabtondab, moi ça me fait rire, mais je suis bon public) et la campagne très conne. Ben oui, se prendre en photo devant son DAB n’apporte rien à une marque en dehors du « buzz » occasionné. Seulement, il aura fallu moins de 30 minutes pour que la marque supprime son tweet sans explications.

Et il aura fallu attendre 11h pour que le CM du Credit Agricole reçoive enfin l’autorisation de répondre aux quelques twittos qui ont trop lolé.

La réponse du Crédit Agricole : la promotion sur twitter est stoppée, mais le jeu existe toujours sur Instagram, Snapchat et Facebook. Bref, aux endroits où les gens n’aiment pas lire, et où les réponses aux campagnes sont fortement encadrées (si ce n’est censurées) par le service. Allez donc essayer de pourrir une marque sur facebook aujourd’hui, impossible. Seulement, cette réponse amène des questions sur la ligne du Crédit Agricole : le CA a-t-il peur des réactions des twittos ? Le CA considère-t-il que les utilisateurs de FaceBook, d’Instagram et de Snapchat sont trop cons pour réagir ? etc.

Cette campagne de pub – qui me semble la plus courte de l’histoire de Twitter France – nous force alors à nous interroger sur la façon dont une marque peut intervenir sur les réseaux. D’où vient le problème et qu’aurions nous fait à la place du Crédit Agricole ?

Le problème : confondre tactique et stratégique


La plupart des stratégies digitales actuelles vont en réalité être des actions tactiques qui nuisent à la stratégie générale sur Internet de la marque.

Le commanditaire (je ne sais pas, mais on va imaginer ici qu’il s’agit du pôle communication digital du Crédit Agricole) va avoir des objectifs précis à atteindre qu’il va mesurer grâce à des KPI gentiment proposés par l’agence de pub qui travaille pour lui. Par exemple : « nombre de RT« , « nombre de mentions« , « nombre de like« … Dans le cas où l’annonceur est très crédule, ces mesures seront compilées dans un indicateur proposé par l’agence, le fameux « taux d’engagement » qui permet de ne rien dire tout en montrant que l’opération est un succès. Je ne le dirais jamais assez, mais le taux d’engagement est le GRP du social media = un indicateur qui permet aux annonceurs de se rassurer et de se congratuler avec de jolis dashboards, mais certainement pas un indicateur stratégique.

Donc, notre pôle communication digital a ses indicateurs de performance (le taux d’engagement) et décide de faire une campagne pour le « booster » (ça se dit beaucoup chez les gens qui veulent vous vendre quelque chose sans trop savoir quoi).

Le résultat : l’opération #dabtondab, certainement imaginée par des créatifs défoncés à la bière sur une terrasse du 8e arrondissement (je ne connais vraiment pas l’agence qui a fait ça, alors toute coïncidence serait vraiment involontaire, merci de ne pas me faire un procès). Une opération rigolote, qui fera hater les haters (un gage de buzz), qui fera rigoler les autres (autre gage de buzz) et qui fera surtout participer les opportunistes et autres chasseurs de bons plans (autre gage de buzz, la présence du hashtag étant obligatoire). Bref, sur le papier une campagne idéale pour « booster le taux d’engagement« .

Le Pen n’est qu’au 2e tour et déjà les collabos lèvent le bras…

Seulement, cette campagne, si elle est tactique, n’est pas stratégique. 

En effet, cette campagne ne dit rien de positif sur le Crédit Agricole ou la qualité de ses services. Elle montre juste une opération opportuniste où la marque fait gagner des trucs à des gens qui voudront lui faire de la pub, tout en s’humiliant devant un DAB. Parce que daber avec ses potes, c’est bien, mais devant un DAB, tu as l’air vraiment con.

Pire que ça, pour les prospects prêts à basculer, cette opération décrédibilise la marque. Pourquoi irai-je m’engager avec une marque qui dépense de l’argent (mon argent) sur des réseaux sociaux pour draguer du jeune ou de l’opportuniste ? Je vous rappelle qu’on est en pleine période de doute (Macron VS Lepen) et qu’il y aura des impacts forts sur les comptes en banque d’ici peu. On parle #Argent là, on ne parle pas #LOL ! Donc il y a de fortes chances que notre prospect trouve cette banque peu sérieuse. Ce sera aux commerciaux de la marque de dépenser beaucoup plus d’énergie pour le récupérer.

Le résultat, c’est une perte de qualité de l’image de la marque, pour gagner un taux d’engagement éphémère. C’est l’opposition intrinsèque entre le résultat d’une action tactique et ceux recherchés par une stratégie digitale globale de marque. Des actions online qui ne sont pas coordonnées.

Ce qu’il aurait fallu faire

La première étape est évidente : réfléchir à ses objectifs stratégiques.

Forcément, ça me semble un préalable évident parce que c’est la façon dont je fais des stratégies digitales depuis 10 ans. Mais force est de constater que les clivages (communication/marketing ou RP/pub ou digital/offline ou …etc) sont encore présents dans les entreprises. Le résultat, on le voit plus haut : des campagnes de pub ou RP décorrelées d’une stratégie digitale globale. Une vraie réflexion stratégique oblige la marque à réunir tous les postes de l’entreprise qui ont un impact Internet sur le consommateur (ou internaute). Ainsi, dans le cas du CA, il aurait fallu réunir pour faire travailler ensemble les commerciaux, le marketing, la com et les RP. Un effort extrêmement rare encore aujourd’hui dans les grands groupes ou les réunions inter-directions sont descendantes (ou autour d’un buffet). Mais cet effort permet de se mettre d’accord sur une stratégie commune, mesurable, qui aboutit à fixer des actions tactiques dont les indicateurs de mesure de performance ne sont pas en contradiction avec les Kpi de la stratégie commune.

La deuxième étape se situe au niveau tactique et concerne la compréhension des publics.
Pour les sociétés qui traitent Internet comme un média traditionnel (les sociétés qui n’y comprennent rien), l’internaute est défini simplement par son âge et éventuellement ses « passions ». Il est très facile de travailler comme ça car la plupart des plateformes sociales-publicitaires (et des agences qui les vendent) vont être capables de vous segmenter votre public très facilement. Sur Facebook, cibler une personne via son âge et ses intérêts est évident.

Seulement, la vraie vie d’internet n’est pas comme ça. Un réseau social est très différent d’un autre. Pas uniquement dans le format publicitaire, mais surtout par ceux (les internautes) qui l’utilisent. Facebook n’est pas Twitter. Instagram n’est pas Snapchat. Chacun de ces réseaux aura des publics différents. Quand je parle de différences, je parle d’état d’esprit, de disponibilité, d’envie de jouer (à se prendre en photo), et de connaissance de la publicité ou de la marque.

Oui c’est bien un billet sponsorisé… Il y a donc eu de l’achat média pour cette opération…

L’erreur est de considérer que les stats qu’on lit dans les médias sont évidentes : « les jeunes qui aiment se prendre en photo ou vidéo utilisent snapchat et instagram ». « Les gens qui aiment RT utilisent twitter ». « Les cons utilisent Facebook », etc. Mais il s’agit d’une réalité simplifiée pour correspondre à des gens qui ne voient Internet que comme un simple média. Mais non, Internet n’est pas un simple média. Sur Internet il y a des gens qui interagissent. Et le résultat c’est une campagne qu’on doit stopper en urgence parce qu’on ne comprend pas ce qui se passe. Ce qui d’ailleurs rend la marque encore plus ridicule.

La troisième étape est d’assumer… 

Comme je le disais au début de cet article, cette campagne n’est pas mauvaise. Certes le timing tombe mal (le dab ressemble vraiment trop à un salut nazi pour ne pas contenter les électeur de Le Pen), mais en dehors de ça, l’idée -basée sur un jeu de mot terrible – est très marrante (les créatifs bourrés ont bien fait leur job).

Et puis, il était évident que cette campagne allait déclencher les 3 types de réaction :

  • le buzz négatif des haters,
  • le buzz positif des lolers,
  • le buzz opportunistes des chasseurs de cadeaux.

Mais alors pourquoi arrêter la promo sur twitter ? Pire, pourquoi arrêter la promo juste après une dizaine de tweets « non positifs » ? C’était évident qu’il allait y en avoir. Une campagne qui tourne sur les réseaux est forcément la cible de critiques. Et plus elle aura de succès, plus elle sera la cible de critiques plus ou moins gratuite. C’est comme ça les réseaux, c’est comme ça Internet.

Supprimer un tweet, c’est se faire de la mauvaise publicité. C’est montrer que 1/ on avait pas prévu de critiques et donc qu’on envisage pas le pire et 2/ on n’est tellement pas sûr de notre bon droit qu’on préfère effacer les traces et 3/ qu’on ne sait pas ce qu’est l’effet Streisand. Bref que la marque n’est pas capable d’anticiper, qu’elle à peur des conséquences de ses actes et qu’elle ne comprend rien à Internet. Ca fait mal pour une banque-assurance.

Et nous arrivons à notre conclusion : il faut avoir des convictions en communication digitale. Nous sommes en 2017, et les vieilles marques continuent à se la jouer pitoyable, avec des petits coups sur Internet qu’elles n’assument pas et qu’elles sont prêtes à renier dés le premier coup dur. Ca ne donne pas envie aux consommateurs de consommer. Ce sera peut-être le gros défi de la communication du 21e siècle : apprendre aux marques à avoir des convictions et à les défendre.

Author: Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

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