LeS oUrS, le plus vieux webzine français encore en ligne

L’autre soir, je suis allé anonymement à un pince fesse de blogueurs spécialistes. Les blogueurs spécialistes sont des blogueurs qui vont bloguer uniquement sur une thématique précise (maquillage, marketing à la noix, cinéma, bande-dessinées, référencement, fringues, etc.). Je m’attendais donc à ce que les conversations tournent autour de leurs spécialités, mais non. Après quelques discussions poussives, les 2 seuls centres d’intérêt de ces blogueurs étaient bien la génération de trafic et le tarif du CPC.

Assez désabusé, je suis sorti de cette soirée en repensant avec beaucoup de nostalgie aux débuts des 90’s, à cette époque où l’information, l’humour, l’amour même était disponible gratuitement, sans annonceurs, sans publicité derrière. Alors vu que c’est les vacances et qu’on a le temps, j’ai décidé de vous raconter cette époque de webzines, ce temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître à travers l’épopée des oUrS, le plus vieux webzine français encore dans son formol.

Le webzine : l’arme noble d’une époque (digitale) civilisée

1995 – 1996, l’ère des pionniers du digital. Armés de Windows 95, de HTML 3.0, de modem 14.4, et de chemises à carreaux, ces découvreurs d’Internet ont retroussé leurs manches pour créer les premiers supports d’information gratuits, libres, et souvent rigolos. En effet, à cette époque, on ne pouvait pas (encore) acheter son outil de publication.

NERD A CELUI QUI LE LIRA

LeS oUrS (1996)

Les blogs n’existaient pas, les webmasters et autres community managers non plus. Il fallait donc savoir programmer en HTML 3. Il fallait savoir bidouiller son serveur avec des clients FTP en ligne de commande. Il fallait savoir faire des pages web en 32 ou 64 couleur pour optimiser ses GIF (une image à 4Ko mettait 10 secondes à s’afficher avec son modem). Il fallait savoir écrire, car les premiers internautes lisaient beaucoup (Pinterest et Tumblr n’existaient pas). Il fallait savoir penser car la critique était permanente. Il fallait savoir bien se tenir car le flaming (bashing) était une pratique courante sur les forums et newsgroups.

Une vraie époque de makers. De créateurs, qui mettaient les mains dans le cambouis non pas pour l’argent, ni pour la gloire, mais pour faire connaitre leurs idées, pour changer le monde, emmerder la société, foutre le boxon ! Du véritable CyberPunk, avec du vrai punk dedans ! Et sur ce terreau fertile que naquirent de très belles réussites fanzinesques comme Le Scarabée, La baguette virtuelle, La Rafale, Le scarabée, Nirvanet, La Spirale et bien d’autres dont le nom m’échappe (17 ans ça fait beaucoup).

Et puis dans tous ces webzines prestigieux, un ptit rigolo…

…LeS oUrS

Formée à l’origine autour d’un fanzine papier, la bande des oUrS (Virgile, Presko et moi-même) a sévit plusieurs années de suite au festival Scoop en Stock (un concours de presse géant génial où il fallait créer un fanzine en 24h – une sorte de LAN offline avec du papier tu vois). Son humour ravageur et impertinent, son absence totale de respect pour les institutions, sans oublier le charme irrésistible et le sexe à piles (3xA4) de ses rédacteurs firent de ce fanzine l’un des préféré de Huguette, la voisine de palier de Manu.

Photo de 1998 - Putain 98 !
Photo de 1998 – Putain, 1998 !

Que trouvait-on dans LeS oUrS ?

  • Un état des lieux bienveillant – ou pas – de la presse spécialisée Internet de l’époque : Planète Internet, Internet Reporter et Netsurf – Univers Interactif  (quand Ariel Wizman était encore drôle, bien avant qu’il ne lutte contre les méchant pirates copieurs de DVD). Ou moqueur quand l’AFP découvre Internet en 1996 et qui, comme beaucoup de ses confrères après va raconter n’importe quoi (cf. Agence France poilade).  OU encore plus moqueurs avec les amis comme la Virtual Baguette ou Nirvanet (n’ouvrez pas ce lien ça va faire planter votre browser).
  • Une posture d’hacktivisme avant l’heure :
    • Comme l’appli flash où Estelle Hallyday se fait sodomiser par un ours. Une application de vengeance purement gratuite, en dehors de se venger des premiers actes de censure juridique sur Internet (elle venait de faire fermer Altern.org, un hébergeur gratuit pour enlever les photos de ses seins d’un site web, alors tout le monde les avait déjà vu. L’effet Flamby, déjà à l’époque.
    • Un autre combat des oUrS : la menace de la fermeture de Mygale qui pouvait condamner 6000 sites web français (autant dire tout l’internet français).
  • De la moquerie du nombrilisme technocratique français qui se tape dans le dos en 1995 en comparant Internet et le Minitel (remarquez, ça continue 17 ans après). Exemple de ce qu’on lisait à l’époque : « Le chiffre d’affaires mondial qu’il (l’Internet) engendre ne correspond qu’au douzième de celui du Minitel« . Pour en lire plus : quand Gérard Théry décode les autoroutes de l’information
  • Des cyberpunk–activisto-journaleux-écrivains : Francis Mizio (journaliste, écrivain qui nous a fait l’honneur d’une nouvelle cyber-inédite : les tâches solaires) mais aussi Pierre Lazuly (les chroniques du menteur) ou encore DavDuf et sa Rafale , et surtout Maurice Dantec (bien sympa avant de frayer avec l’extrême droite québecoise).
  • Un jeu de rôle online (mieux que du MUD) : Bernard et Jean.
  • De la politique. Mais je ne préfère pas en parler.
  • De l’homophilie latente. Mais je ne préfère pas en parler.
  • Et plein de choses étranges :

 

Et que devenus tous ces fanzines ?

  • La Baguette Virtuelle (Michel Meyer, Olivier Heckmann et bien d’autres) devint Multimania, un hébergeur de pages web qui intégrait de la publicité dedans. En 2000, Multimania (1 million de membres) rentre en bourse et et valorise la société plus de 600M€ le premier jour de sa cotation. Forcément, après l’éclatement de la bulle internet, ça a fortement baissé alors les dirigeants, plutôt malins, ont revendu la boite en 2001 à Lycos Europe (220M€ quand même). Depuis Lycos qui était parti chercher, n’est jamais revenu. Mais Michel et Olivier, eux, vont encore très bien, merci pour eux.
  • La rafale s’est arrêtée en 1996, 1 an après sa création. Mais son créateur David Dufresne ne s’est pas arrêté, lui, et depuis quelques temps, il réalise des webdocumentaires (Prison Valley ou encore Manipulations sur l’affaire ClearStream).
  • Le scarabée. Son créateur, Arno (Arnaud Martin– un personnage extraordinaire, notamment pour sa passion du Rocky Horror PS) a continué à faire des trucs extraordinaires (Uzine, devenu Rezo.net) et notamment Spip (le Système de publication pour l’Internet), un des premiers CMS grand public incontournable au début des 2000’s.
  • La Spirale continue toujours à explorer les mondes cyberpunks et l’ami Laurent Courau a réalisé des reportages sur les vampyres (les vrais vampires de Harlem) et un bouquin sur les cultures alternatives que je vous recommande.
  • LeS oUrS eux n’ont guère changé malgré les promesses de rachat de grands groupes de presse, l’alcool, le sexe facile et les exhalaisons hallucinogènes de stick-ups d’Air Wick avariés.
    • Virgile n’a rien perdu de sa pilosité capillaire et fais des tas de trucs sur Facebook mais – je ne vais que rarement sur Facebook je préfère aller sur Internet, donc je ne sais pas.
    • Presko n’a rien perdu de son humour ravageur mais maintenant en plus, il fait une sorte d‘Instagram révolutionnaire qu’on peut toucher pour de vrai. Révolutionnaire je vous dis !
    • Et Cyroul raconte toujours des conneries sur Internet (la preuve vous en lisez).

Le webzine n’est pas mort, il gratte encore

Vous le sentez, j’ai une certaine nostalgie de cette époque où il fallait véritablement bosser pour créer son support d’expression (car non, mettre en ligne un blog aujourd’hui n’est pas bosser – ma mère pourrait utiliser wordpress). Mais ce que je regrette le plus, c’est la passion, la liberté de parole, de tons, de points de vue que constituaient tous ces lieux à la fois de diffusion de contenu, mais aussi de discussion. Mais malgré la tendance désastreuse à essayer de gagner de l’argent (du traaafiiiic) avec la moindre photo de chat ou vidéo de merde, la liberté éditoriale existe encore aujourd’hui. Seulement il ne s’agit plus de lieux, il s’agit de gens. En effet, ce sont certaines personnalités qui incarnent encore cette liberté de ton, cette envie d’informer par dessus tout, cette envie de faire avancer l’espère humaine. Qu’ils soient blogueurs, twitteurs, forumeurs, vlogueurs, ou autres, ce sont eux qui vont faire d’internet un endroit meilleur. Je pourrais vous faire mon classement des 100 personnes qui sont libres sur Internet, mais ça serait penser à votre place et mal vous habituer. Sortez vous les doigts et allez les  découvrir vous-même ces personnalités géniales !

Alors ne lisez plus des blogs spécialisés en création de trafic, lisez plutôt ceux qui vous titillent, ceux qui vous agacent, ceux qui vous montrent que la vie est compliquée, mais qu’on peut essayer de la comprendre. Éteignez la télé, éteignez les blogs de merde, éteignez le facebook qui sert à rien (et qui censure l’information peu à peu) et réutilisez Internet comme ce qu’il doit être, le support d’une information libre, gratuite, et qui fait avancer sa connaissance du monde et pas un putain de minitel qui ne sert qu’à s’astiquer.

En attendant, voilà des bises des oUrS (fait avec le Bongapola de Manu).

Photo de 2012 – Putain 2012 !

Soyez punk, merci !

Author: Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

22 thoughts on “LeS oUrS, le plus vieux webzine français encore en ligne

  1. Excellent article et excellent Webzine, ça fait plaisir de trouver des perles comme ça dans une monde squattés par des marketeurs (qui ne connaissent rien au Web) en quête de trafique et qui polluent l’essence même de ce qui fait le charme d’Internet.

  2. L’onanisme et la nostalgie reac, un mal encore plus fort que les « +1 » et les « like ».

  3. Haaaa, mais c’est qu’ils ignorent l’existence de Rennet, premier site participatif autour de la culture rennaise, devenu ensuite plus spécialisé sur le pointu musical… né en 1995 et toujours vivant!

    http://www.rennet.org

    ps: c’est sur Rennet qu’il y a eu les premiers concerts retransmis en direct, ou pas loin!

    @stefsg

  4. Les Ours. Ou peu ou prou, le premier site internet sur lequel je suis tombée quand j’ai fait mes premiers pas sur le net, il y a environ quinze ans.
    Des heures passées à tout lire, à rire, parfois à ne pas comprendre -j’étais ado, dans un endroit où le mot cyber faisait plutôt penser à de la science-fiction-, à découvrir tout un pan de culture avec la douce mélodie du modem qui se connecte, à une époque où on trouvait au kilo les CD AOL et MSN qui promettaient une heure de connexion gratuite.
    Vous m’avez fait découvrir la Décharge, webzine belge caustique dont je n’ai repêché que quelques bribes grâce aux sites d’archivage, le Scarabée…
    En un mot, Virgile, Presko, Cyroul, merci.

  5. Bonjour
    quels webzines lisez vous maintenant ??

    je suis allé fureter sur la spirale mais pas moyen de rebondir ailleurs par une liste de liens

    merci de votre réponse

  6. Un fameux « c’était mieux avant » cet article, pas habitué à lire ça ici.
    Cette déviance d’internet est peut-être due aussi au fait que la démocratisation d’internet ne s’est pas accompagnée d’une démocratisation de l’informatique.
    La plupart des gens ont en horreur tout ce qui peut leur demander un effort à faire, une nouvelle chose à apprendre. Tant que ça marche, ça va bien : un peu comme la relation avec une voiture.
    Il faudrait juste que la vision d’un ordinateur et d’internet comme un « outil technique et barbant » passe à « outil cool qui sert à s’informer de manière impartiale et à se divertir avec du porno nain si on cherche assez longtemps ».

    PS : Je lis le webzine http://42lemag.fr et j’ai le poil beaucoup plus doux grâce à ça.

  7. Il faut se rappeler aussi qu’à l’époque l’échange d’image était quasiment proscrit par le savoir-vivre et le forward sévèrement réglementé par la netiquette, vu le faible débit des connexions. Ca obligeait à bien plus d’imagination textuelle. C’était ces contraintes (parmi bien d’autres) et l’absence d’outils qui créaient un filtre suffisamment puissant pour écarter les touristes et les marchands. C’est d’ailleurs AOL et les fameuses connexions illimitées qui ont, selon moi, sonné la fin du début.
    Mais dans notre nostalgie, n’oublions pas que dès le début, les « autoroutes de l’informations » ont fait fantasmer politiques et investisseurs, menant tout droit à la fameuse bulle. L’internet était peut-être punk dans les faits (porno punk, disons), mais excitait déjà les convoitises, contenait en lui-même les sources de sa propre corruption.

  8. @Jérôme
    Tellement vrai. Il y avait moins de monde connecté, donc chaque connexion avec une personne était importante.
    Aujourd’hui ce sont trop souvent des « like » ou des « +1 ». Avant c’était des gens.

  9. @Jacques Ga. Ben non justement, je ne donne pas de « leçons d’orthographe », trop conscient de mes faiblesses. Je donne des leçons d’écriture (et d’intention d’écriture). Ce qui n’a rien à voir.

  10. CYROUL qui donne des leçons d’orthographe ne connait pas la règle d’accord du participe passé du verbe avoir…

  11. M’ouais, c’était mieux avant… Le souci c’est qu’on ne donne pas tous la même définition au mot punk…
    Bonne suite.

  12. C’était quand même autre chose à l’époque ;-)

    J’imagine les blogueurs spécialistes dont tu parles voyager dans le temps et mettre le nez dans cette autre galaxie… « c’est moche », « absence de design », « pas d’ergo », « aucune visibilité »…

    Et pourtant il y avait de tout cela mais surtout il y avait une histoire pour chaque bout de page.

    Je me souviens, de ce temps-là, avoir échangé plusieurs dizaines d’emails avec une internaute, suite à son passage sur mon site perso. Aujourd’hui et à la place de ces correspondances magiques je crois que j’aurai eu un like.

  13. @Presko (alias Manu) savoir écrire et savoir écrire sans fautes, sont deux choses différentes.
    Puis-je te rappeler le moribond succèsde la plateforme Skyblog dans laquelle moults annonceurs ont versés des sommes indécentes pour se voir « trop kiffé » par des tribus adolescents analphabètes.

    … et d’ailleurs il y a souvent des fautes sur ce blog.

  14. C’est beau ce que tu écris camarade ! Je rectifie une petite chose. Tu parles du savoir écrire. Je te rappelle que mes pages sur les ours sont certainement plus truffées de fautes que le skyblog de Steevie (désolé, je suis vieux, je n’ai pas trouvé à faire de référence plus hype)
    ;)
    Et vivement une mousse tous les trois pour pouvoir trinquer à notre santé, pas des pieds !

  15. :) il n’y a pas que des blogueurs de trafic dans le monde quand même mais les autres sortent peut être moins ? Bises punks

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