Porno et enfance : comment bien les utiliser pour faire sa communication politique ?

Tout commence par un article de 20 minutes, longue interview de deux secrétaires d’Etat, celui du numérique (Cédric O), et celui en charge de l’Enfance et des Familles (Adrien Taquet).

Cet article, dont le titre est un parfait exemple de clickbait de journaliste stagiaire (mots clés : #Pornographie #protéger #enfants + #AdrienTaquet #CédricO), est un long panégyrique à la gloire du combat des 2 secrétaires d’état contre la pornographie en ligne et qui trouve son incarnation dans la sortie d’une plateforme pour lutter contre l’exposition des enfants à la pornographie en ligne.

Photo originale de Nicolas Messyasz

Comme vous le savez peut-être si vous lisez ce blog, la protection des enfants sur le numérique est un sujet qui me tient particulièrement à cœur (lisez la série des articles nettoyer internet pour les enfants) car c’est un sujet important, complexe et qui ne mérite pas de demi-mesures. Il fallait donc impérativement que j’aille voir les qualités de cette plateforme vantées par cet article, ode aux deux secrétaires d’Etat en mal d’exposition médiatique.

Je protège mon enfant.GOUV.FR

La plateforme porte le titre de « Je protège mon enfant de la pornographie ». Elle est joliment présentée, avec des couleurs douces et peu agressives et ornées de jolis pictos sans aucune personnalité mais sans aucun risque de déplaire non plus.

On peut donc dire que côté création graphique et développement informatique, l’agence a fait du travail correct. Côté contenu en revanche…

Quand tu sais pas, tu dis « Plateforme », ça fait bien

Déjà pourquoi appeler ça « plateforme » quand, en réalité, il s’agit d’un site web de 4 pages. Je veux bien (et encore) que Google, Amazon ou Facebook soit des plateformes, vu leur positionnements centraux dans la plupart des écosystèmes web. Mais un site de 4 pages… Les secrétaires d’Etat prennent leurs rêves pour des réalités ou ils ne comprennent rien à Internet ?

Dans l’interview, Adrien Taquet parle également de « Portail« … Alors portail, plateforme ou site web ? Nos secrétaires doivent penser que c’est la même chose…

Le site a donc en réalité uniquement 4 pages : la page d’accueil, vos outils, vos questions, vos ressources. On va fouiller un peu et tenter de trouver ce qui est intéressant dedans.

La page d’accueil

Le contenu de la page d’accueil est on ne peut plus simple en terme de contenus.

  • 3 statistiques sur la pornographie et l’enfance d’un sondage OpinionWay pour 20 Minutes, 2018 (encore 20 Minutes, ils ont un partenariat ou quoi ?)
  • 2 statistiques sur l’utilisation d’internet par les jeunes sondage IFOP pour l’OPEN, 2017
  • 3 blocs de texte illisibles « les enjeux de la question » qui mélangent véritables enjeux, dangers et solution.

Bref, une page qui ne nous apprend rien. Et qui ne donne même pas envie d’aller voir ce qu’il y a derrière. Mais bon, je prends mon courage à deux mains, et je vais voir les outils.

La page Vos outils

Le gros pavé de texte sur les outils de contrôle parental est introduit par « rien ne saurait remplacer votre présence« . Heu, ça sert à quoi d’avoir une grande partie sur les outils si la première chose que tu dis c’est que ça sert à rien ?

Ce qui aurait été intéressant c’est justement d’expliquer aux gens comment être présent aux côtés de leurs enfants lorsqu’ils vont sur internet. Problème essentiel des parents (car les gamins vont sur internet quand ils ont le dos tourné). Mais non, tout ce qu’on a c’est : 1- voilà des outils pour contrôler internet, 2- mais c’est mieux si vous êtes à côté. Un bel exemple de recommandations contradictoires qui montre la faible connaissance du sujet.

Et la suite est pire. On nous vend « Comment installer et configurer le contrôle parental sur vos appareils » et on obtient une liste de liens vers 10 opérateurs téléphoniques mobiles ou fixes. Et dans cette liste de liens, moins de la moitié donne vraiment des informations, les autres affichant (après un clic) : « Nouveau service disponible prochainement. » Tu te moquerais pas un peu de moi là, le secrétaire d’Etat ?

On continuant dans les outils, on trouve Microsoft, le grand ami de Cédric O. qui nous vend son Microsoft Family Safety. pour enfin tomber sur une liste de sites et applications qui balancent leurs CGU « nettoyées » pour l’occasion. Là, c’est évident, tu te fous de ma gueule , le secrétaire d’Etat.

En bref, une page torchée en deux deux, qui ne sert strictement à rien pour quelqu’un qui voudrait comparer une liste d’outils utiles sur le sujet. Et pourtant ce serait tellement utile.

La page Vos questions

« Heu chef, on a du contenu mais personne pour l’éditorialiser qu’est-ce qu’on fait ? » « Mettez-ça bout à bout, les gens se démerderont ! » Ca a du à peu près se passer comme ça pour cette page qu’ils auraient pu l’appeler FAQ, mais ça doit faire trop ringard pour une « plateforme ».

Résultat, on obtient une liste illisible d’une quarantaine de questions plus ou moins rangées en grandes catégories redondantes (Comment parler de sexualité aux adolescents ? Comment parler de sexualité avec ses enfants? Comment parler de pornographie à mon enfant ou adolescent?, etc.).

Pire, il faut cliquer pour voir les réponses, qui sont dans une petite typo et sans illustrations. Vraiment, ça vous fatiguerait de mettre la couverture des ouvrages que vous conseillez ? Ou des logos pour les institutions ? C’est sûr que pour un site fait en 5 minutes …

Cette page est donc illisible. Je ne vois personne la consulter plus de 3 minutes sans décrocher. Et pourtant cette immense matière textuelle est intéressante. Mais pour la rendre utile, il aurait suffit de l’éditorialiser, de la ranger, de l’organiser pour les lecteurs. Bref, il aurait fallu quelqu’un qui connaisse le sujet (donc ni Cédric O. ni Adrien Taquet).

La page Vos ressources

Il s’agit d’une simple collection de liens plus ou moins éditorialisés. On est plus dans le magazine que dans le guide pour protéger son enfant. On comprend mieux la notion de plateforme (ou de portail) qui, en creux, signifie : on met des liens, débrouillez-vous avec.

Encore une fois, si le contenu est bon, la page est assez inutilisable pour quelqu’un qui a un besoin précis. Si quelqu’un veut un site qui lui donnera de vrais conseils centralisés et organisés, il devra lire toute la page et tester tous les liens. Bref, un agrégateur inutile.

Conclusions

Le sujet de la protection de l’enfance sur Internet est majeur. Pas uniquement à cause de la pornographie, mais aussi à cause de la diffusion d’informations fausses ou néfastes qui peuvent altérer le développement intellectuel de nos gamins (des fakenews à la publicité mensongère).

Aussi, quand 2 secrétaires d’Etat se penchent sur le sujet, ça devrait être une bonne chose. Hélas, quand on voit le résultat, on ne peut qu’avoir un goût amer dans la bouche. Que ce soit par calcul ou par imbécilité, ces deux secrétaires d’Etat se font de la communication sur le dos du sujet de la pornographie et de l’enfance avec un site au rabais (si jamais vous avez payé plus de 60K pour le site, c’est un hold-up), et une campagne de RP (peut-être un peu plus chère).

Pour ma part j’imagine que la vision du numérique de Cedric O est déformée. A force de voir trop de startup qui font des produits de merde en les cachant derrière beaucoup de paillettes et d’effets wahou, il nous propose la même chose : un site inutilisable avec une grosse campagne de RP derrière. Un site dont on oubliera l’existence dans 6 mois. Un site de startup quoi. Pff.

Photo originale de Nicolas Messyasz

Author: Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

2 thoughts on “Porno et enfance : comment bien les utiliser pour faire sa communication politique ?

  1. Ben mazette; j’avoue ne pas être allé voir le site mais ton analyse acérée m’apparaît édifiante…
    Merci pour ton retour…

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