Du larsen sur la toile

Chaque jour voit apparaître de nouveaux services web plus ou moins utiles qui se battent pour remporter le titre de l’application « must-have » du mois, ou mieux de l’année (cf. combien de services “web2.0″ sont devenus populaires?).

Mais en regardant cette profusion de services et outils 2.0, quelques questions s’imposent : tout cela à véritablement un sens, voir une utilité ? L’internaute early-adopter ne tourne-t’il pas en rond ? Ne produit-il pas plus de larsen que d’efficacité dans son usage intensif de ces nouvelles technologies ? Et comment faire pour éviter cette amplification désastreuse du bruit inutile ?

Un très long article pour les passionnés du web…

Le larsen du web, ou « comment perdre son objectif de vue en essayant de bien faire »

Le larsen est un effet de rétroaction acoustique. C’est-à-dire un son qui se transforme par auto-amplification. Ce phénomène va écraser le son originel et le rendre souvent inaudible (sauf si on s’appelle Jimi Hendrix).

Le larsen du web fonctionne de la même manière. Il s’agit d’un service, d’un outil qui, en s’auto-repliquant ou en accumulant des fonctionnalités supplémentaires, va noyer le sens originel de ce service ou de cet outil.

Le larsen fonctionnel : toujours plus pour un résultat négatif

On peut en trouver un exemple frappant dans le nouveau service Yoowalk. Ce service est un monde virtuel en 3D isométrique (2D et demi) qui possède la particularité de pouvoir être utilisé facilement à l’intérieur d’un navigateur. Plus besoin d’installer un logiciel ou un plugin spécifique pour pouvoir gouter aux joies du virtuel, car ce service est tout en flash, génial non ?

Et, cerise sur le gâteau (croyez-vous), Yoowalk vous permet de surfer sur le web grâce à son navigateur intégré.  Alors forcément, j’ai testé pour vous le lancement de Yoowalk à l’intérieur de Yoowalk. Et ça marche (voir ci-dessous) ! Pas la peine de tester le niveau 3 (lancer Yoowalk à l’interieur d’un Yoowalk lancé dans Yoowalk), pour voir une évidente incohérence fonctionnelle.yoowalk

Car pourquoi ouvrir un navigateur web propriétaire (à l’intérieur d’une application en flash), elle-même à l’intérieur d’un navigateur web  ? La réponse est simple (du point de vue marketing) : rendre l’internaute captif de ce service. Seulement, l’internaute va vite arrêter d’utiliser Yoowalk, perturbé par l’obligation de passer dans un monde en 3D pour ouvrir un navigateur web qui en plus ne vaut pas son bon vieux Firefox 3.

Mais ne vous moquez pas. Ce service n’est pas le seul à tourner en rond, succombant comme tant d’autres aux sirènes du « plus j’en ajoute, mieux c’est« .

Le larsen RSS ou comment se noyer dans de l’information redondante

Le XML est peut-être le responsable du plus d’effet larsen sur la toile. En effet, depuis quelques années la plupart des contenus sur Internet sont traduits en flux d’informations lisibles par tous appelés flux RSS.
Ces flux peuvent être générés, traduits, transformés et affichés par des applications web qui créent des flux ou qui les lisent (ou les agrègent). Seulement il arrive que l’application fasse les deux et on arrive à cette situation aberrante où l’agrégateur devient également producteur de flux.

Le bruit inutile commence…

Widgetisons le widget widgetisant

Voici ci-dessous un widget qui permet d’afficher le flux RSS du blog (formidable! -ceci était une publicité-) que vous êtes en train de lire. Il s’agit de widget courant, qu’on peut réaliser en 30 secondes avec des services de type Widgetbox.
L’objectif de ce widget est de pouvoir publier des articles d’un blog sur n’importe quel autre blog. Voilà qui est bien utile, vous dites-vous de cette innocence naïve et béate qu’on ne retrouve plus guère que chez les téléspectateurs de TF1. Car sous cette apparence de cohérence, se cache un redoutable facteur de bruit : la possibilité de lire un article à l’intérieur de ce même article. Une sorte d’accélérateur de (b)logorrhée quoi (whaou, le jeu de mot logorrhée/blogorrhée, vous l’avez vu celui-là ?)…

Cette blogorrhée (je ne m’en lasse pas) risque de ne pas s’arranger, car dans quelques temps on l’espère, le XML pourra véhiculer des informations riches, comme pourquoi pas le code d’un widget. On pourra ainsi lire un article dans un widget inclus dans un article lui-même à l’intérieur d’un widget inclus dans ce même article. La mise en abîme absolue du contenu, se répliquant lui-même… à l’infini ?

Un marteau au bout d’une perceuse…

De plus en plus de services web vous permettent de centraliser vos informations privées et services web personnels afin de vous permettre de les retrouver et exporter facilement. L’intention est excellente : il faut certainement un lieu où centraliser nos informations personnelles (lire One Id to rule them all).

Etant un grand admirateur de l’agrégateur de flux RSS Netvibes, j’ai pourtant été très déçu par deux des nouvelles fonctionnalités de sa dernière version « Ginger » : le statut, et les contacts. En effet, j’avais déjà beaucoup de mal à expliquer l’utilité (l’utilisation elle, va tout seul) de ce service à des profanes. Mais avec l’ajout de ces fonctions, c’est devenu infernal : s’agit-il d’un agrégateur ou d’un réseau social ? Que répondre ?

Car si l’utilité de ce service est évidente pour certains d’entre nous (nous savons ce que sont les RSS et nous avons besoin de lire beaucoup de blogs tous les jours), ce n’est pas le cas de la majorité des utilisateurs (voir RSS is good for you). Netvibes était à l’origine un agrégateur d’informations. Y rajouter des fonctionnalités de réseaux sociaux (amis et statut) parce que c’est « ce qui marche en ce moment » a dilué sa signification et son utilité.

Un peu comme si vous rajoutiez un marteau à l’extrémité d’une perceuse. Oui, vous avez besoin des deux outils, mais pas ensemble sinon ça n’est pas efficace et c’est plus compliqué à comprendre.

Le larsen web : le gaspillage qui amplifie la fracture numérique

Avouez, si vous ne suiviez pas l’actualité quotidienne de Mashable et Techcrunch, vous ne seriez pas capable de distinguer l’utilité et la particularité d’un Ziki, DoyuouBuzz, Tweeter, ou encore Pownce… Ces services web se ressemblent beaucoup et vous proposent tous d’avoir des amis, de publier votre statut en ligne et de récupérer des flux de données d’autres services web. On a vraiment l’impression qu’ils sont fait par et pour des early adopters.

Sauf que cette opacité de l’objectif utile de ces services trouble l’utilisation de ces mêmes services. Et il ne faut pas oublier que votre service web sera utilisé par un internaute « de base » qui n’a pas le temps ou l’envie de réfléchir à l’intention du concepteur. Imaginez ce débutant en bricolage à qui on donnerait cette perceuse-marteau. Il risque de ne pas beaucoup progresser.

Ce larsen du web gaspille donc du temps (pour les développeurs, mais également les utilisateurs), des octets (à réafficher la même information partout), mais aussi de la bande passante (à transférer les mêmes données au même endroit).

Les solutions : de bons concepteurs et une petite (r)évolution technique?

Saint-Exupéry disait « Il semble que la perfection soit atteinte non quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retrancher. » ? Il aurait fait un bon concepteur web.

La base de la conception-ergonomie web est de penser besoins utilisateur (et objectifs de marque). Ai-je besoin sur mon Netvibes d’avoir des amis spécifiques ? Non ! Ai-je besoin de récupérer mes amis de mes différents réseaux sociaux ? Sûrement, mais je ne peux pas le faire. Alors pendez les concepteurs car ils sont responsables de ce larsen du web!

Heureusement, certains conçoivent des services qui essaient de résoudre (ou au moins d’ordonner) ce flou d’informations. Je pense immédiatement à ping, un service web qui vous permet de publier un contenu à partir d’un de vos sites/services/outils et de le publier sur n’importe lequel de vos sites/services/outils. NB: Vous pouvez d’ailleurs tester la version beta avec ce code : pingbewithyou (merci Cyroul).

D’autres services web reprennent ce principe (voir Le fondateur de MyBlogLog lance Gnip afin de faciliter la portabilité des données), ce qui peut augurer enfin une certaine rationalisation des flux d’information dans le future. Le filtrage social est également une solution probable à ce larsen (voir Le filtrage social comme remède à l’infobésité).

Mais les concepteurs ne sont pas les seuls à pouvoir résoudre ce problème. La technologie est en effet un déterminant indispensable de l’évolution des usages sur le web. Sans XML pas de portabilité des données et donc pas de séparation de la forme et du fond. Sans AJAX ou flash, pas d’interfaces riches (et donc pas de web 2.0).
Il faut donc attendre une nouvelle évolution technologique pour enfin mettre de l’ordre dans ces flux de données.

Il est difficile de savoir quelle forme prendra cette évolution, mais ce qui est évident, c’est qu’elle tournera autour de l’individu.

Car c’est l’individu qui publie et lit (voir Vouloir un web coopératif). C’est donc l’individu le plus petit déterminant sur lequel travailler. Et si l’on arrive à identifier cet individu de façon unique, alors on saura toujours d’où vient un contenu (qui l’a écrit) et éviter les redondances et ces fameuses mises en abîme informationnelles. Des initiatives sont prises dans ce sens comme par exemple le MicroID qui permet d’identifier les auteurs de commentaires (toute l’explication là : Vers de la micro-authentification avec MicroID).

Ce larsen n’est donc pas inévitable.

Travailler à le réduire vous fera gagner du temps à vous, à vos utilisateurs, et leur permettra de comprendre facilement à quoi sert votre service web.

Alors pourquoi ne pas commencer maintenant ?

Author: Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

1 thought on “Du larsen sur la toile

  1. Très bon billet.
    C’est vrai, beaucoup de services se lancent avec pour seule idée d’attirer les early adopters ou brancher inutilement plusieurs technos/services à la mode.

    On en revient trop souvent à oublier les besoins de l’utilisateur, à négliger l’ergonomie du service (et pas seulement du site web) – c’est là que le principe de dogfooding est assez sympathique: si tu éprouves de la frustration en tant qu’utilisateur de ton service, alors tu devrais te remettre en question en tant que concepteur…

    Mon avis sur la prochaine « révolution à la mode »? Après la convergence d’informations, c’est sûrement le web sémantique qui va prendre le relai – de l’aggrégation d’info vers la création d’info…

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