Mais enfin, combien y’a-t-il de Français sur les internet ?

stats-pronPour le bien-être mental de mes étudiants et de mes clients, il m’a fallu récemment mettre à jour mes datas, notamment celles sur le nombre de Français connectés à Internet ainsi que les Français connectés sur les réseaux sociaux.

Mais cette année, ça a été dur…

En effet, depuis 8 ans environ, j’avais pris l’habitude de récupérer les 2 ou 3 études assez proches qui sortaient par an pour en faire une moyenne. Mais cette année (2014/2015), il y a définitivement eu trop de chiffres qui ont circulé, des chiffres complètement divergents voir ridicules.

Forcément, Internet devenant un enjeu stratégique pour les entreprises, toutes les agences un peu opportunistes lancent leurs propres infographies « chiffres d’Internet«  pour d’une part se faire du référencement pas cher (le linkbaiting marche tellement bien) et d’autre part se créer facilement une image d’agence spécialisée en Internet.

Résultat : des statistiques dans tous les sens, plus ou moins sourcées et sérieuses, et des blogs-à-publicité qui s’empressent de publier tout ça sans aucune vérification ou commentaire. Alors pour vous, chers lecteurs que j’aime, voilà une petite revue des ces chiffres et interprétations statistiques, des plus fantaisistes aux plus sérieuses, pour vous donner une idée de l’ampleur du problème.

Journal du Net : 91% des internautes consultent les réseaux sociaux (en 2011)

jdPour trouver des chiffres d’Internet, vous allez assez naturellement faire un tour sur le site du Journal du Net. Site qui était la meilleur source d’information en… 1999. Seulement depuis que le JDN a été racheté par un grand groupe que je ne citerait pas, le seul objectif du site est de vous faire manger de la pub ou acheter des formations du CCMBenchmark. On peut donc légitimement mettre en doute sa capacité de vous informer objectivement.

Vous pouvez trouver assez facilement la page des chiffres clés de l’internet, sur laquelle vous trouverez Le taux de pénétration des réseaux sociaux en Europe. Là, vous apprenez sur une page publiée en 2012 qu’en France, 91% des internautes sont des utilisateurs de réseaux sociaux.

En regardant précisément, vous verrez que ces stats viennent de Comscore, The Social Media, octobre 2011, sans aucun lien, ou explication de la méthodologie. Bref, des stats réservées aux commerciaux qui veulent vendre du réseau social à leurs clients.

L’Argus de la presse, Ipsos / Steria : 8 Français sur 10 utilisent au moins un réseau social et 62% des Français ont un compte Facebook

reseauxsocauxipsosEn novembre 2014, le pôle Aura Mundi de l’Argus de la presse en collaboration avec Ipsos/Steria a sorti une « étude-enquête »sur l’usage des réseaux sociaux. Cette étude nous apprend que 8 français sur 10 utilisent au moins un réseau social, et que 62 % des Français ont un compte Facebook.

Cette enquête est un beau foutoir. Si on lit le protocole, elle a été réalisée en ligne auprès d’un échantillon de 1 005 personnes. Et elle mélange allègrement 80% du panel d’internautes avec 80% de Français. Il faudra peut-être expliquer à Ipsos/Aura Mundi que 100% des Français ne sont pas connectés. Cela changerait un peu leur vision du monde.

En lisant l’article résumant cette étude, nous apprenons que les gens qui ont réalisé cette étude connaissent très mal le sujet. Non, les gars, les réseaux sociaux ne sont nés pas du « web 2.0 ». Les réseaux sociaux ont existé en même temps qu’Internet, il y a donc, quoi, 40 ans (the WELL est né en 85, mais on aurait pu remonter à l’e-mail qui est un premier réseau social, en 1972 je crois).

Donc, au vu de votre culture digitale inexistante, je me vois obligé, Argus de la presse/Aura Mundi/Ipsos/Steria, de n’apporter aucun crédit à votre étude.

Harris Interactive : 82% des internautes sont inscrits sur au moins un réseau social

sociallife3Le baromètre sur les « usages » des réseaux sociaux en France de Harris Interactive nous apprend que 82 % des internautes sont inscrits à un réseau social. Un peu moins que chez Comscore.

Wahou ! Des chiffres qui décoiffent. Surtout que le slide parle d’un panel « d’internautes français de 15 ans et plus« . Ce qui signifie qu’il y en forcément beaucoup plus sur les réseaux (le nombre de jeunes de moins de 15 ans sur Facebook est impressionnant, allez faire un sondage chez votre famille). On pourrait donc supposer qu’il y a nettement plus de 82% de « socionautes » (horrible mot cyber-tendance marketing) connectés sur Facebook.

Seulement, en lisant bien, on voit que le panel est constitué d’un échantillon représentatif de 2000 personnes de 15 ans et plus interrogées online.

Le profil de ces gens interrogés est intéressant :

  1. ils sont connectés
  2. ils ont du temps à perdre online

Il n’est donc pas étonnant d’imaginer que 80% d’entre eux sont inscrits à Facebook, terre d’asile pour les gens qui s’ennuient online. Maintenant, qu’ils représentent la population Française connectée, cela m’étonnerait.

PS : Attention, ces chiffres ont été récupéré par quelques blogo-journalistes qui n’ont pas hésité à dire que « 82% des Français » étaient inscrits sur au moins un réseau social. Ca n’est pourtant pas dit dans l’étude ça. Mais les cyber-journalistes ne sont pas là pour faire dans la subtilité, ça se saurait.

Médiamétrie : 82,6% de foyers connectés 

L’étude « l’année Internet 2014 » de Médiamétrie nous apprend qu’Internet concerne au moins 8 foyers sur 10 (82,6%) pour 43,8 millions d’internautes français. Sur la question du nombre d’inscrits aux réseaux sociaux, on remarquera que Médiamétrie ne le donne pas. Cela voudrait-il dire qu’il est impossible (ou pas sérieux) de connaitre ce nombre d’inscrits ?sourcemediametrie

Les sources de cette étude sont multiples et difficiles d’accès (aucun lien sur le communiqué de presse ou le document de l’étude). On est donc obligé de croire aveuglement Médiamétrie. Je n’aime pas cette situation, car c’est la même que celle des annonceurs qui croient aveuglement l’audience de des chaines de TV grâce à un petit boitier mystérieux disposé derrière la TV d’un panel mystérieux (ça s’appelle la mesure du GRP et c’est le secret le mieux gardé de la publicité).

N’aimant pas trop le mystère (dans les chiffres). Je vous propose de consolider les chiffres Médiamétrie avec d’autres chiffres.

83% de la population française est connectée et 68% des Français sont inscrits sur un réseau social

L’agence We Are Social Singapour a lancé en début d’année un slideshare résumant plein de chiffres à l’international et en France. On y apprend que 83% de la population française est connectée, que 68% des français sont inscrits sur un réseau social et que 42% des Français sont connectés sur Facebook.

Manque de bol, ces chiffres (les 83%) sont issus de Médiamétrie, donc ça ne nous apprend rien.

Insee : 4 personnes / 5 ont accès à Internet de leur domicile (en 2012)

inseeL’Institut National de la statistique et des études économiques devrait être le plus à même de nous donner des statistiques intéressantes.

Hélas, ces stats ne sont pas mises à jour régulièrement (celles concernant la consommation Internet datent de 2012).

On y apprendra néanmoins qu’en France, 4 personnes sur 5 ont accès à Internet, et que 30% des gens « participent à des réseaux sociaux ». Oui, ils ont besoin d’être un peu digitalisé à l’Insee.

Mais cela nous donne une référence. 4/5, c’est 80% de la population. Donc ça colle à peu près avec les 83% de Médiamétrie. OUf, on commence à y voir clair.

CEE : 80% de la population a accès à Internet et 46% des Français sont inscrits sur un réseau social

2015-02-25-10_04_45-France-_-Digital-Agenda-for-Europe-_-European-CommissionIl s’agit ici d’un indice développé par la Commission Européenne et permettant de comparer les différents pays entre eux. On sort donc du point de vue pseudo-subjectif « Cocorico, les Français sont tellement trop connectés ! » pour aller vers le comparatif qui ne nous fait pas honneur (car « Putain, on est des brèles en France, et carrément à la bourre par rapport au Danemark !« ).

Cet indice combine plus de 30 indicateurs et applique un système de pondération pour classer chaque pays en fonction de son degré de numérisation. Bon, j’y voit immédiatement 2 biais :

  1. On parle de la population âgée de 16 à 74 ans. On met donc de côté la population de moins de 16 ans qui est (hélas) déjà fortement utilisatrice d’Internet et des réseaux sociaux.
  2. Les « experts » de la Commission européenne vont attribuer une pondération spécifique à chaque groupe et sous-groupe d’indicateurs. Evidemment, ces « experts » ne sont pas identifiés. Du coup, on doit se certainement se retrouver avec une majorité de pique-assiettes fréquentant les bons restos de Bruxelles et qui ne connaissent d’Internet que ce qu’ils entendent dans les médias et lisent sur les blogs marketing 2.0.

Mais ces 2 biais n’empêchent pas cet indicateur d’avoir ma préférence. Tout simplement parce qu’il s’agit d’un indicateur comparatif, et donc débarrassé du chauvinisme marketing qui n’a rien à voir avec Internet. Je vous conseille de jouer avec cet indicateur sur la page « Digital Economy and Society Index« .

En conclusion, pour les 80% de Français connectés, on est à peu près bon (on va pas chipoter pour 3% de la population Française, ça fait à peine moins de 2 millions de personnes). En revanche, il n’y aurait que 46% de Français sur les réseaux sociaux versus 68% chez Médiamétrie.

Banque Mondiale : 81,9 % en 2013

La Banque Mondiale nous gratifie d’une étude sur les utilisateurs d’Internet dans le monde qui va définitivement nous convaincre que les français dépasse les 80% de connectés. C’est plutôt bien fait, on peut récupérer les datas et jouer avec.

banquemondiale

 

Ceci dit, l’indication sibylline : « sIndicateurs du développement dans le monde » ne nous apprend rien sur la façon dont ces datas ont été récupérées. 

Conclusions : polysémie digitale et intentions désastreuses

Il y a des bonnes explications à toutes ces statistiques contradictoires.

Utilisation de mots polysémiques

Le problème vient des mots comme le disait A. Korzybsky, ces mots qui sont à la base de toutes les incompréhensions. Car sur Internet, la néosémie rejoint la polysémie, accroissant les ambiguïtés et la confusion. 3 exemples simples :

  • Prenons par exemple le mot « Internaute« . Un mot simple mais qui peut être tout à fait discutable. En effet, décrit-t-il le membre d’un foyer qui a un abonnement à Internet ou un français qui peut accéder à Internet hors de chez lui ? Une petite précision qui touche 30% de la population Française, rien que ça. Heureusement, Internet World Stats nous propose une définition neutre de l’Internaute : « personne de plus de 2 ans, qui s’est connectée durant les 30 derniers jours« . Une définition qui invalide toutes les études précédentes, basées sur des panels âgés de plus de 16 ans.
  • Un autre exemple, prenons la définition de « Réseau Social« . Certaines études vont considérer uniquement Facebook, Twitter, G+, Linkedin, Instagram et Snapchat alors que d’autres vont intégrer Youtube, Badoo, Copains d’Avant, Tumblr, Deviant Art, ou même Skype. Les statistiques produites n’auront rien à voir.
  • Encore un autre exemple avec « utilisateur d’un réseau social« . Qu’est ce que ça signifie ? Que l’utilisateur s’est inscrit 1 fois (en on ne vérifie pas qu’il revient) ? Ou que l’utilisateur est actif sur ce réseau ? Quand on sait que seulement 73% des gens inscrits à Facebook y retournent, et que 42% de ces inscrits sont actifs, ça change tout.

L’intention des études

Il faut également savoir que la plupart de ces études ne sont pas réalisées pour le plaisir de créer du contenu gratuit, mais parce qu’il s’agit de « commandes » faites la plupart du temps pour être reprises par les médias. Du coup, l’institut responsable de ces études va orienter l’étude dés sa conception pour coller aux résultats attendus (on vous aurait menti ? Ben oui).

  • Ainsi la conception des « questionnaires online » va fortement conditionner le résultat. Les questions sont-t-elles ouvertes ou fermées ? Car si vous demandez à un Français sur quel réseau social il est, il y a une majorité de chance pour qu’il vous parle de Facebook ou Twitter. Il faudrait un entretien qualitatif pour découvrir qu’il est abonné à Meetic, Badoo et Copains d’Avant.
  • De plus, « l’enthousiasme » de ces études est une signature évidente. Le but est de montrer aux annonceurs que tout le monde est sur Internet et sur les réseaux sociaux. On ne va pas commencer à lui parler des 30% de Français pas ou peu connectés. Ou des gens qui s’inscrivent sur un réseau sans jamais y retourner. Non, tout cela brouille le message. Faisons simple… Comme l’annonceur.

Le manque de définition exact et d’intention neutre impose la nécessité d’un référentiel d’études Internet, qui permettrait de les comparer entre elles ou au moins d’avoir quelques certitudes. Seulement mais qui pourrait le faire ?

Qui pourrait concevoir un référentiel d’études Internet ?

  • Le gouvernement ? Ils avaient un moyen de le faire il y a 6 ans avec le site Internet.gouv.fr qui listait les études publiques sur le sujet d’Internet, mais qui s’est transformé en site de propagande politique sous l’ère Zarkozy. Aujourd’hui le site renvoie vers une page 404 ridicule sur www.gouvernement.fr… Non, ce n’est décidément pas le gouvernement qui va nous proposer des chiffres crédibles.
  • Chiffres-cles-2015_couv_mediumLe Ministère de la Culture ? Ils viennent de sortir un bouquin payant (tu m’expliques à quoi servent mes impôts, Toto ?) sur les chiffres clés 2015 dans lequel il y a 1 chapitre sur Internet (page 160). Je n’en sais pas plus. Et non, je n’achèterai pas leur putain de bouquin tant que je ne sais pas ce qu’il y a dedans.
  • L’Insee ? Mais ça ne ferait pas déjà partie de leur mission ? Faut croire que non. En tous les cas, on ne leur a jamais dit qu’Internet était en constante mutation car ils n’ont pas mis à jour leurs stats depuis 2012.* Mais ça devrait changer, car on apprend récemment que l’Insee s’inspire des résultats de Google... pour les indications d’achat de certaines catégories de produits. Oui, mais ça, le moindre spécialiste SEO le fait depuis 2005.
  • Alors des spécialistes de stats, Médiamétrie ou Ipsos ? C’est vrai ça, c’est cool de s’appeler Ipsos ou Mediametrie. Ca te pose une étude, les gens te respectent. Quand tu sors une statistique, tout le monde peut la reprendre tranquillement en se disant qu’il n’a pas d’erreur car tu fais ça depuis 30 ans. Seulement il y a 30 ans quand tu as mis au point tes protocoles d’étude, Internet n’existait pas. Et entre ta faible connaissance des usages Internet et ces agences qui t’achètent des stats pré-trafiquées sur le sujet, tu te retrouves à pondre un peu n’importe quoi. Alors évidemment tu peux jouer les indignés et te réfugier derrière tes formules mathématiques, mais ça ne change rien. Extrapoler des comportements numériques Français à partir de 1000 ou 2000 personnes, ca reste un moyen ridicule. Sache le, malgré ta « méthode des quotas » qui ne marche pas sur Internet. Ou alors prouve moi le contraire.

La solution pour les marques : construisez vos propres ressources documentaires

Il n’est donc pas facile de trancher entre toutes ces stars contradictoire et tellement bien présentées. Et il ne s’agit là que d’une étude de base sur le nombre de français connectés. Vous imaginez quand ça touche à des comportements d’achat, ou des usages spécifiques ?

Alors, peut-être est-ce le signe pour les agences et les entreprises qu’il va falloir arrêter de prendre des stagiaires pour récupérer leurs stats mais au contraire se constituer un véritable pôle études internet, géré par des pros qui s’y  connaissent.

Alors, évidemment, si c’est pour faire des claquettes à un client afin de lui vendre du Facebook en lui disant que tous les Français sont connectés, elles n’en ont pas besoin. Mais si elles utilisent ces chiffres fantaisistes comme base d’une vraie stratégie digitale alors on peut parier qu’elles vont se planter.

Ca doit être Sun Tzu qui disait que pour remporter une bataille il fallait avoir de bonnes datas. Il disait ça en mandarin mais il avait raison. Pensez y la prochaine fois qu’on vous vend des datas venues d’on ne sait où.

Author: Cyroul

Explorateur des internets et créateur de sites web depuis depuis 1995, enseignant, créateur de jeux, bidouilleur et illustrateur. J'écris principalement sur les transformations sociales et culturelles dues aux nouvelles technologies, et également sur la façon dont la science-fiction voit notre futur.

3 thoughts on “Mais enfin, combien y’a-t-il de Français sur les internet ?

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